A l'Hyper Cacher, défier chaque jour les fantômes du 9 janvier

“Ce matin, je me suis dit +Allez, stop. Il faut y aller maintenant+”: après six mois d’hésitations, Caroline Naccache brave sa peur pour revenir avec sa fille à l’Hyper Cacher, théâtre d’une sanglante prise d’otages le 9 janvier.

Le magasin Hyper Cacher à Paris le 15 mars 2015 (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)
Le magasin Hyper Cacher à Paris le 15 mars 2015 (Photo Kenzo Tribouillard. AFP)

Ce vendredi, à quelques heures du shabbat, cette mère de famille de 37 ans a décidé d'”arrêter de réfléchir” et “de passer à autre chose”. Elle n’était revenue qu’une seule fois dans le magasin de la porte de Vincennes, qui a rouvert le 15 mars. Jamais encore elle n’avait osé y emmener sa fille, aujourd’hui âgée de 4 mois.
Poussette dans les mains, elle confie “une appréhension” et ne s’attarde pas dans les rayons: “Je veux faire mes courses rapidement et partir. Il y a toujours un petit stress. Quand je rentre, je remémorise ce qui s’est passé”.
Il reste pourtant peu de traces de cette journée de janvier pendant laquelle, deux jours après la tuerie de Charlie Hebdo, quatre hommes juifs ont trouvé la mort sous les balles d’Amédy Coulibaly.
A l’entrée du magasin, deux policiers sont en faction derrière des barrières encore ornées de pancartes de soutien et de restes de couronnes de fleurs. Mais derrière eux, les lieux ont changé: la façade a été repeinte en blanc, une baie vitrée a été ajoutée, l’enseigne redessinée, les rayons à l’intérieur élargis et réagencés…
“On a essayé de redonner de la vie – si l’on peut dire – au magasin en essayant de ne pas sacraliser les traces, les impacts de balle, tout ce qui peut rappeler l’attentat”, explique Laurent Mimoun, un des dirigeants du groupe qui compte onze magasins.
“Les gens sont revenus progressivement, les choses reviennent presque à la normale”, estime-t-il, “même si rien ne sera jamais pareil”.
“Un jour de shabbat, c’était plein à craquer. Là, on dirait un jour de semaine normal”, remarque une caissière.

CANDIDATURES SPONTANÉES

Pour beaucoup de clients, l’angoisse et la violence des six heures de huis clos planent toujours au-dessus des rayons. “Ça prend au coeur, aux tripes. Il y a beaucoup d’émotion à chaque fois (qu’on rentre). Ce n’est pas forcément de la peur, mais plutôt des frissons”, explique William Dukan.
Ce gestionnaire de patrimoine de 28 ans venait “une à deux fois par mois” avant l’attaque. Depuis, il vient “deux fois par semaine” pour “montrer qu’on est toujours présents, qu’ils n’ont pas gagné”.
“Si on a peur, on ne fait plus rien. Il y a une appréhension la première fois, la deuxième fois, mais à la vingtième, c’est fini”, assure-t-il. Lui qui “envisage sérieusement” de faire son aliyah (émigrer vers Israël) est devenu fataliste: “S’il se passe à nouveau quelque chose ici, c’est dur à dire mais… c’est la vie”.
A l’exception d’un employé, qui ne veut pas s’exprimer, les salariés présents le 9 janvier ne sont pas revenus travailler porte de Vincennes.
“Etonnamment, on a eu énormément de candidatures spontanées. J’ai reçu des appels de gens sans savoir d’où ils tenaient mon numéro”, raconte M. Mimoun.
Christian Mabula Matanda, “chrétien” originaire de République démocratique du Congo, a proposé ses services “pour honorer ceux qui étaient morts”. Il travaille comme manutentionnaire à la place du “héros” Lassana Bathily.
Beverly Scemama, elle, a quitté son poste dans une école maternelle pour rejoindre le magasin où travaillait son ami Yohan, tué durant la prise d’otages. “On m’a dit +T’es folle d’aller là-bas+. Ma famille était très réticente mais aujourd’hui, ils sont fiers de moi”, explique la caissière de 20 ans.
“C’est pas toujours facile”, avoue-t-elle. Outre le souvenir de son ami à qui elle pense “tous les jours”, les clients lui parlent quotidiennement des événements de janvier. “Et puis, il y a quelques semaines, un monsieur est venu me remettre en mains propres un papier marqué +Je ne suis pas Charlie+, +Fuck le système+”, raconte-t-elle: “La peur reste mais on arrive à la gérer”.
Simon Valmary

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