Le chaos arabe : Israël est-il acteur ou spectateur ? Par Anthony Samrani (L'Orient Le Jour)

Israël est-il un acteur ou un spectateur dans la profonde phase de mutation qui bouleverse l’équilibre des puissances au Moyen-Orient ? Est-il impliqué d’une manière ou d’une autre dans les guerres intestines qui déchirent le monde arabe en Libye, en Égypte, en Syrie, en Irak et au Yémen ?
À ces questions, qui peuvent être considérées comme naïves ou au contraire comme tendancieuses selon les affiliations politiques, deux types de réponses sont généralement apportées. La première, inspirée par les théories du complot, extrêmement populaires dans le monde arabe, rend Israël responsable de tout ce qui se passe de négatif dans la région. Selon cette version, Israël – et son allié américain – a un plan bien défini qui vise à démembrer les États du Moyen-Orient, potentiellement dangereux pour sa sécurité, les uns après les autres. La deuxième, notamment avancée par les responsables israéliens, prétend que les conflits actuellement en cours dans la région ne concernent aucunement Israël puisqu’ils sont liés à des divisions internes aux sociétés arabes, et surtout à l’islam.

La première position ignore volontairement la responsabilité des autres acteurs régionaux dans cet engrenage de conflit tandis que la seconde apparaît douteuse du point de vue du bon sens politique : comment l’acteur le plus puissant du Moyen-Orient peut-il être complètement étranger à un ouragan régional qui, dans les faits, a tendance à servir ses intérêts ? De facto, Israël est partie prenante dans, au moins, trois zones de tensions au Moyen-Orient : le conflit israélo-palestinien, la guerre froide avec l’Iran et la guerre en Syrie. À partir de là se posent en fait les questions du degré d’implication de l’État hébreu et de l’évolution de ses relations avec les États ou organisations concernées au cours de ces dernières années.

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Photo AFP
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Photo AFP

Concernant le conflit israélo-palestinien, est-il encore nécessaire de rappeler à quel point celui-ci participe à la radicalisation des mouvements politiques qui se disputent le pouvoir au Moyen-Orient ? Les guerres menées contre la bande de Gaza, la diabolisation du Hamas, la politique de colonisation des territoires palestiniens et surtout le refus d’engager un processus de paix avec l’Autorité palestinienne contribuent très largement à la popularité des mouvements les plus extrémistes, parmi lesquels l’organisation de l’État islamique (EI), dans le monde arabe et dans le monde occidental, ce que même le secrétaire d’État américain, John Kerry, a admis. La réélection du Premier ministre Benjamin Netanyahu et la montée en puissance de Naftali Bennett, le chef du parti nationaliste religieux Foyer juif, notamment connu pour ses propos : « Les terroristes, on doit les tuer, pas les libérer. Je me suis battu toute ma vie pour défendre les deux propositions contenues dans cette phrase », ne risquent pas d’inverser le déroulement du processus en cours. Bien au contraire.
Dans cette lutte contre ce qu’il appelle « les terroristes », Israël a trouvé un allié de poids en la personne du président égyptien Abdel Fattah al-Sissi. Considéré comme une branche des Frères musulmans, à qui il a déclaré la guerre, le Hamas est désormais confronté à la répression des autorités égyptiennes qui ont notamment détruit tout ou une partie des tunnels qui reliaient la bande de Gaza au Sinaï et qui constituaient la seule source d’approvisionnement pour l’organisation.
À en croire les propos des responsables israéliens, particulièrement ceux de M. Netanyahu, l’Iran constitue la menace numéro un pour Israël. Du point de vue des Israéliens, l’Iran est perçu comme une puissance qui arme et finance des organisations qui combattent Israël (Hezbollah, Hamas, Jihad islamique), qui tient des propos négationnistes et menace l’État hébreu de disparition. La perspective d’un accord entre l’Iran et les 5 + 1 a été très largement critiquée par Israël pour au moins deux raisons, outre celles qui concernent la politique interne : d’une part, Israël considère qu’il est impossible de faire confiance à l’Iran ; d’autre part, il a peur que la levée des sanctions encourage Téhéran à accroître ses soutiens envers les ennemis de l’État hébreu.
Encore une fois, Israël a trouvé dans cette lutte un allié circonstanciel dans le monde arabe, avec l’Arabie saoudite. Pendant que les tensions sectaires ou politiques ont divisé la société égyptienne entre pro-Morsi et anti-Morsi et le Moyen-Orient entre sunnites et chiites, Israël a profité des reconfigurations des rapports de force qui s’en sont suivis pour apaiser ses relations avec les deux leaders du monde sunnite, l’Arabie saoudite et l’Égypte. Autrement dit, non seulement Le Caire et Riyad ne sont plus des soutiens de poids à la résistance palestinienne, mais en fait ils deviennent quelque part des alliés objectifs de l’État israélien.

LE DIABLE QU’ON CONNAÎT

Sans nul doute, la Syrie est l’épicentre des tensions qui parcourent actuellement la région. Mais elle semble aussi être l’épicentre de la politique régionale israélienne puisque la guerre syrienne oppose, sur le terrain, deux potentiels dangers pour la sécurité d’Israël : d’un côté des mouvements jihadistes qui souhaitent sa destruction, de l’autre l’axe de la résistance Iran/Hezbollah/Syrie qui investit un deuxième front. Beaucoup plus mesurés que les Occidentaux, et probablement mieux renseignés, les analystes israéliens ont tout de suite expliqué que cette guerre risquerait de durer un bon moment.

Jusqu’alors, Israël s’est gardé de prendre une position définitive en faveur de l’une ou de l’autre des parties. Son principal souci étant d’éviter que le conflit déborde sur son territoire. Pourtant, Israël est le seul pays à être directement intervenu en Syrie, et à plusieurs reprises, ciblant des convois transportant du matériel de la Syrie au Liban ou des membres du Hezbollah et/ou des pasdarans iraniens. Concernant l’issue qui serait la plus profitable à Israël, les analystes sont partagés. Certains considèrent que les groupes islamistes et jihadistes, dont le Front al-Nosra avec qui Israël a conclu une sorte de pacte de non-agression dans la partie syrienne du Golan, sont beaucoup moins dangereux pour la sécurité de l’État hébreu que les combattants de l’axe de la résistance. Ces combattants verraient d’ailleurs sans doute d’un bon œil une participation plus accrue des Israéliens au conflit qui, par le biais de frappes chirurgicales, pourrait fragiliser le régime. D’autres, au contraire, estiment que l’axe de la résistance est une menace connue pour Israël et que de ce fait il est préférable à l’inconnu des jihadistes, selon le vieil adage « le diable qu’on connaît est préférable à celui qu’on ignore ».

” QU’ILS  SAIGNENT ! “

Quoi qu’il en soit, la poursuite du conflit, le statu quo profite indéniablement à l’État hébreu, dont les dirigeants résument la situation en une formule assez limpide : « Qu’ils saignent ». Israël aura profité de la guerre en Syrie pour au moins deux raisons. Un : les armes chimiques du régime, qui pouvaient constituer une grande menace pour Israël, ont été détruites. Deux : le conflit syrien occupe le Hezbollah et l’Iran.

Plus généralement, le chaos général qui ravage la région favorise le démembrement des États et la formation de petits États nations, kurdes, druzes ou alaouites, nettement moins menaçants pour Israël et avec qui il pourrait entretenir des relations comme il le fait avec le Kurdistan irakien.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, Israël n’est jamais apparu autant en sécurité que depuis que la région est à feu et à sang.
Anthony Samrani

http://www.lorientlejour.com/article/924558/israel-et-le-chaos-arabe.html

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