"Ich Bin Ein Juden", le discours de Laurent Goldberg

 Le témoignage de toute une vie

Discours de M. Laurent Goldberg le 27 avril 2014

lors de la cérémonie d’ouverture de Yom Ha Shoah au Mémorial de la Shoah de Paris *

en mémoire des victimes de la Shoah et des héros de la Résistance juive pendant la Seconde Guerre mondiale.

On a beau savoir, Yom Ha Shoah reste un choc, une incompréhension renouvelée à chaque nouvelle commémoration et malgré les années qui passent.
Voilà soixante-dix ans que la barbarie nazie décimait, dans une effroyable et implacable rigueur, les communautés juives d’Europe. Entre 5,9 et 6, 2 millions furent exterminés, plus de la moitié des Juifs du Vieux Continent, plus du tiers du peuple Juif dans le monde.
YomHashoah
Hommes, femmes, enfants, vieillards, des familles entières comme en témoignait encore, les 27 et 28 avril, la longue liste des noms de déportés lue, sans interruption, durant ces deux jours de commémoration au Mémorial de la Shoah de Paris.  C’est une bien curieuse sensation que celle de les entendre, un à un, puis de rentrer chez soi, et de les retrouver le lendemain. Ce ne sont plus des nombres, ni des statistiques, mais des noms et des prénoms. Les convois furent nombreux en cette année 1944.
Dimanche, lors de la cérémonie d’ouverture et avant que les lectures ne commencent, Laurent Goldberg, résistant, fils de déportés, a  prononcé un discours émouvant qu’il nous a autorisé à retranscrire ici dans son intégralité. Un témoignage personnel simple et fort, l’instantané d’une vie, en quelques feuillets. Voici son texte.

goldberg

le 27 avril 2014« Nous quittons la Pologne en 1923, ma mère Szyfra, mon frère aîné Maurice, 4 ans, et moi-même, 9 mois, pour rejoindre mon père Lejb déjà en France depuis environ un an qui, au prix d’un travail acharné, à réussi à nous faire venir de Pologne.
Il avait avec bien du mal trouvé une chambre pour nous loger, sans presque aucun confort, un taudis au 20 rue de l’Hôtel de Ville. Dans ce quartier du Marais, le Pletzel si cher à nos cœurs et qui a été une terre d’accueil pour tant de familles juives où nous demeurons 4 ans.
Mon père, cordonnier, travaille très dur et économise pour nous trouver un logement avec boutique où il travaille désormais à son compte à Ménilmontant. Je passe ma scolarité rue des Panoyaux où j’ai reçu un très bon enseignement, enrichi par la transmission de l’instruction civique, l’amour de notre pays d’accueil déjà enseigné par mes parents, et le patriotisme pour la République française.
J’obtiens mon certificat d’études en 1936, à l’âge de 13 ans, l’année du Front Populaire.
Rapidement, je demande à entrer dans la vie active et deviens apprenti dans la confection.
En 1938, après bien des difficultés, nous sommes enfin naturalisés français à notre grande joie.
Je suis politisé très jeune dans les JC et la nouvelle des Accords de Münich et du Pacte Germano-Soviétique me révolte.
En 1939, mon frère Maurice est mobilisé. C’est ensuite la débâcle de l’armée française. Avec mon père, je quitte Paris en direction de la Bretagne dans le but de rejoindre l’armée pour défendre la France. Seulement, lorsque nous arrivons à Saint-Brieuc, nous sommes suivis de près par les blindés allemands alors il ne nous reste plus qu’à retourner à Paris.
Dans la capitale occupée, c’est déjà les premières mesures antijuives telles que les affiches sur les magasins juifs.
Fin juillet 1940, je décide de rejoindre la Résistance, qui à l’époque était non armée, dans le groupe du Colonel Fabien où l’on me confie la direction de la section Ménilmontant-Père Lachaise puis celle du XXème arrondissement.
Notre travail consistait à faire des inscriptions sur les murs, des lancements de tracts et de journaux dans les cinémas, les marchés, et dans les rues avec tous les risques que cela comportaient. Un jour, nous sommes dénoncés et donc recherchés par la police française au service de Pétain et des allemands.
Je pars, par une filière, en zone non occupée où je rejoins mon frère prisonnier évadé et qui est réintégré dans l’armée de l’Armistice, à Toulouse. Mais je reste inquiet sur le sort de mes parents en apprenant les premières rafles de juifs dans le XIème arrondissement en août 1941.
Je suis toujours recherché par la police française et me cache donc dans les environ de Montauban, dans un camp de réfugiés principalement alsaciens, où je travaille comme bucheron pendant presque un an. Puis je reviens à Toulouse où mon frère sera bientôt démobilisé.
Après la rafle du Vel’ d’hiv, mes parents nous rejoignent à Toulouse. N’ayant pas eu de contact avec un groupe de résistants sérieux, nous cherchons d’autres moyens pour ne pas rester passifs. Mon frère et moi voulons nous battre pour libérer notre pays.
Fin novembre 1943, nous parvenons à trouver une filière pour passer en Espagne, par les montagnes des Pyrénées orientales, dans des conditions extrêmement pénibles, dans la neige et le froid, pour rejoindre les Forces Françaises Libres du Général De Gaulle.
Mais dès que nous arrivons en Espagne, nous sommes arrêtés et passons cinq mois dans les prisons de Franco.
Les conditions lamentables de détention ne manquent pas de nous affaiblirent par le peu de nourriture, d’hygiène, et par la dysenterie.
Puis nous sommes libérés par les Anglais, comme futurs combattants, en échange de blé, de pétrole, etc.
Nous rejoignons l’Afrique du Nord en passant par Gibraltar et arrivons à Casablanca.
Nous nous engageons pour la durée de la guerre comme volontaires.
Après peu de temps de formation, nous embarquons à Oran pour rejoindre la 2ème DB du Général Leclerc en Angleterre.
Quelques semaines d’instructions sur char blindé d’artillerie et nous embraquons à Southampton sur un navire puis sur une péniche pour arriver sur la plage de Utah Beach en Normandie, près de Sainte-Mère-l’Eglise, le 3 août 1944.
Enfin la France ! Chacun prend une poignée de terre de notre pays. Ici notre division autonome est versée dans la 3ème armée de Patton. S’enchaîne la bataille de Normandie où le deuxième jour de notre arrivée, nous sommes bombardés de nuit par l’aviation allemande.
Puis nous libérons Alençon pour ensuite remonter vers Falaise. Nous continuons de nous battre jusqu’à la Libération de Paris.
Le 27 août, je me précipite dans mon quartier pour avoir des nouvelles de ma famille et de mes amis et j’apprends la déportation de nombreuses familles juives et d’amis ainsi que de résistants fusillés.
Je continue le combat en ayant le poste de tireur sur char d’artillerie. Je n’ai toujours aucune nouvelle de mes parents. Nous libérons les villes de l’Est, de la Lorraine, ensuite les Vosges et enfin Strasbourg.
Nous partons ensuite en permission à Paris, où j’apprends que mes parents qui souhaitaient nous rejoindre en Espagne, ont été livrés aux Allemands par leur passeur, transférés à Drancy et déportés vers une destination inconnue. Abattement, détresse, sont les mots qui se rapprochent le plus de ce que je ressentais. Mais nous espérons encore.
Je rejoins de nouveau notre division. Nous entrons en Allemagne que nous traversons avec peu de combats car ceux qui se prenaient pour la race supérieure et pour des « surhommes » se rendent en masse.
Nous franchissons la Bavière à toute vitesse et arrivons à Berchtesgaden où nous montons au nid d’aigle d’Hitler pour hisser le drapeau français !
Alors que je suis debout sur mon char. C’est ici  que le petit juif que j’étais, croise, presque à l’arrêt, un camion d’officiers supérieurs allemands prisonniers qui nous regardent avec mépris et je leurs crie en me frappant la poitrine : « Ich bin ein Juden !  »
Je vois un colonel allemand particulièrement arrogant. Je le gifle devant tous les autres officiers. Son képi et ses lunettes volent dans la nature.  Ce n’est qu’une petite vengeance. J’aurais pu jetter une grenade sur leur camion, mais je ne l’ai pas fait.
Ensuite, vient le 8 mai, jour de la capitulation allemande. Peu après, nous repartons pour la France.
A Paris, j’apprends par des témoins la mort de mes parents, après la marche de la mort. Mon père est décédé d’épuisement à Mathausen et ma mère à Terezin, du typhus.
Ce n’est que des années plus tard que j’en apprendrais plus, grâce aux travaux de Serge Klarsfeld, sur leur déportation dans le convoi 76 du 30 juin 1944, parti pour Auschwitz.
Début juin, je rejoins mon campement dans l’Essonne pour ensuite défiler avec ma Division le 18 juin 1945. Je suis démobilisé fin décembre 1945. Parmi les 80 000 victimes juives de France, aucun membre de ma famille n’est revenu de déportation.
Je retourne à la vie civile avec toutes les difficultés pour pouvoir refaire « une vie normale ». Ma douleur me poursuit et continuera à me poursuivre jusqu’à la fin de mes jours.
Ma grande victoire sur ceux qui voulaient tous nous anéantir, c’est d’avoir eu le bonheur de reconstruire une famille avec mon épouse, fille de mère déportée, mes deux fils et mes sept petits enfants.
Mais aussi d’avoir vu la création de l’Etat d’Israël.
Hélas, 70 ans après mes combats, cela me désole et m’inquiète pour l’avenir de nos enfants de voir remonter le racisme, l’antisémitisme et l’antisionisme ».
Monsieur Laurent Goldberg  est détenteur de la Légion d’Honneur à  titre militaire, de la Médaille militaire, de la Croix de guerre avec citation étoile de bronze, de la Médaille des combattants volontaires et des Résistants, de la Médaille des Évadés, de la Médaille des Internés Résistants et de la Presidential Unit Citation USA.
Propos recueillis par Brigitte Thévenot
* Cette cérémonie est organisée au Mémorial de la Shoah pour la 9ème année consécutive. Initiée en 1990 par le Mouvement Juif Libéral de France (MJLF) et l’Association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France (FFDJF), elle est aujourd’hui organisée en partenariat avec le Mémorial de la Shoah et le Consistoire de Paris, sous l’égide de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
 
 
 

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