Les juifs dans le Coran, de M. Bar-Asher. Par Daniel Sibony


 C’est un livre qui apporte beaucoup d’informations trouvables via internet, mais qu’il a le mérite de rassembler. Son objectif est d’apporter des références communes aux deux religions, de montrer des proximités, des croisements de contenus, des emprunts au corpus hébreu. Et il le réalise, avec forcément des silences et des manques signifiants.

Quelques exemples.

Concernant l’épisode du Veau d’Or dans le Coran ; il donne de nombreux détails et il oublie ce fait majeur : Moïse et Aron demandent à Dieu, non pas de pardonner, comme dans la Bible, mais de les éloigner de « ce peuple pervers » que sont les juifs. Ce passage de (5,25) est occulté, il est pourtant essentiel : Moïse rejette les hébreux dès le premier mois de la sortie d’Egypte (dans la Bible, il reste encore avec eux 40 ans et les mène jusqu’à la terre promise).

Autre exemple, l’auteur cite le verset (3,110) : « Vous (les musulmans) formez la meilleure communauté suscitée pour les hommes », et il occulte la fin, qui est cruciale : « Si les gens du Livre croyaient, ce serait meilleur pour eux, il y a parmi eux des croyants, mais la plupart d’entre eux sont des pervers ».

Troisième exemple, il cite (p.126) le verset (3, 65-67) : « Abraham n’était ni juif ni chrétien, c’était un homme pieux (hanifane) musulman (muslimane) ». Il occulte le début du verset : « Ô Gens du Livre, pourquoi vous disputez-vous sur Abraham alors que la Torah et l’Evangile ne sont descendus qu’après lui ?… » Ce début présente un vrai trouble logique si l’on suppose que le Coran est descendu normalement avec Mahomet ; à moins de supposer qu’il précédait la Bible, croyance qu’on retrouve aujourd’hui dans les classes de banlieue, ce qui pose quelques problèmes.

Les juifs dans le Coran. Meir M. Bar-Asher. 2019. Albin Michel

En fait, l’auteur cite des traits communs sans s’occuper du traitement qui en est fait, de la manière dont ils sont travaillés pour tirer un trait sur les juifs et produire la vindicte que l’on sait ; il rassemble ces traits sans penser la stratégie textuelle du Coran qui consiste à retourner contre les juifs les emprunts qu’il leur fait. (Après tout, ce n’est pas rien de retravailler l’histoire d’un peuple pour lui prouver qu’il est maudit. Et déjà pour lui dire qui il est : tous les grands hébreux de la Bible étant « musulmans », ils pointent comme traitres leurs descendants qui persistent à ne pas l’être.)

Meir M. Bar-Asher

L’auteur veut montrer les parties communes des deux religions sans parler de la dynamique où la seconde distord la première pour rendre ses tenants haïssables. Or les épisodes bibliques sont repris et retournés contre les juifs grâce au fait qu’une Bible hyper simplifiée défile dans le Coran pour les rejeter. J’étudie ce retournement dans Coran et Bible et je montre que ces bricolages sur l’original ont toujours un point de justification : il est arrivé lors d’épreuves désastreuses que Moïse traite son peuple d’idiots, mais le Coran pérennise l’échec de l’autre pour fonder sur lui son accomplissement, gardant du coup un reliquat vindicatif, que l’islam aussi payera cher : fonder sa réussite sur l’échec de l’autre ne permet pas de grands succès culturels. Les juifs des terres arabes l’ont aussi payé ; le retournement a organisé contre eux un ameutement symbolique et parfois physique pendant 13 siècles. Il a aussi enfermé les musulmans religieux. On devrait d’ailleurs admirer leur attitude de retenue, car avec de telles incitations, il y a de quoi agresser tout juif qui passe, et ce n’est pas le cas.


Son but est de dire que le Coran a un regard « complexe » sur les juifs (p. 243), qu’au fond on y trouve tout et son contraire (ce n’est pas ce que montre la réalité séculaire et actuelle), pour inviter à laisser cette « ambivalence » (sic) au nom de tout ce qu’il y a de commun. Or c’est qu’il y a de commun qui est bricolé dans le sens de la vindicte.

On comprend que certains veuillent la passer sous silence au nom du vivre ensemble. Mais le vivre ensemble ou plutôt côte à côte existe, c’est une réalité, le vrai problème est que cette vindicte antijuive se transmet dans les familles et dès l’enseignement primaire du Coran, donc dans la gestion de l’identité.

L’auteur veut contourner ce fait majeur : il n’y a pas dans le Coran de référence aux juifs, fût-elle élogieuse ou paisible, qui ne soit retournée négativement. Or c’est là le programme antijuif de base : si les juifs sont distingués pour le bien (en se disant « élus » ou « bénis »), il faut le démentir et faire en sorte qu’ils soient distingués pour le mal. Dans le Coran, le peuple juif n’est reconnu comme élu que pour être déchu, la terre sainte n’est reconnue comme promise que pour être compromise. (Dialogue réel dont je témoigne ; le rabbin : « Votre Coran lui-même dit que cette terre nous est donnée. L’imam : Oui, mais il dit aussi qu’elle vous a été retirée. ») Il ne s’agit pas seulement, comme l’auteur le dit, de disputer l’élection aux juifs, ou même de les remplacer ; mais de les vouer à une vindicte jubilatoire qui s’inscrit comme colère divine.

Il est donc inexact de dire comme l’auteur que beaucoup de versets « mêlent les louanges à la réprobation ». La louange rarissime s’inverse en réprobation ; quand le Texte élève les juifs à bout de bras, c’est pour les jeter de plus haut, ou pour les « sacrifier ».


L’auteur propose enfin la même issue que tant d’autres : contextualiser, ramener les propos du Coran au contexte historique de l’époque. Il dit (p 85) que cela peut les « neutraliser ». Mais ceux qui absorbent le Coran de façon normale et régulière et qui ne sont pas des érudits, prennent ces paroles pour ce qu’elles disent être : des paroles divines à durée de vie illimitée. Ils ne les « contextualisent » pas, car c’est comme paroles sacrées qu’ils en ont besoin. En outre, il n’est pas dit que ce serait les neutraliser car le contexte de l’époque était aussi celui du massacre et de l’expulsion pour obtenir une Arabie pure de tout juif. Mohamed ne maudit pas que les juifs de Médine, il maudit les juifs, même ceux qui ont écrit la Bible (« malheur à eux pour ce qu’ils ont écrit… ») ; cette colère qui poursuit son objet au-delà de la mort a bien traversé les siècles ; elle se nourrit de l’actualité quand les forces lui manquent.

L’issue serait-elle de dire qu’on a le même Dieu ou la même religion ? C’est difficile car c’est là que le bât blesse et que les manipulations fourmillent. On peut donc avoir des deux côtés les mêmes mots dans la prière, mais ils n’ont pas la même visée. (Une idée, en passant : et si un jour les musulmans religieux faisaient, comme la minorité juive, une prière pour la France et tous ses habitants ? Cela voudrait dire déjà qu’ils perçoivent le problème et ne transmettent pas la vindicte. Et si plus tard ils faisaient une prière pour qu’Allah suspende sa malédiction contre les juifs et les chrétiens ? Cela ferait du bien à tout le monde ; mais ne rêvons pas.)

J’ai apprécié deux points du livre où l’auteur soulève le voile sans commentaire.

1 Il pointe que la sourate 1, prière quotidienne du croyant, qui semble très paisible, se termine par la dénonciation de ceux qui « encourent la colère divine et qui sont égarés », lesquels sont identifiés dès la sourate 2 comme étant les juifs et les chrétiens. (Un gosse qui prie et qui demande qui sont ceux qui encourent cette colère, et qui sont ces égarés, saura qu’il va les rencontrer à l’école.)

 2 Quand le Coran fait dire aux juifs : « nous avons écouté et nous avons désobéi », l’auteur relève avec raison (p. 83) qu’il tord pour cela le mot hébreu (nous avons fait devient nous avons mal fait). En somme, le Coran leur reproche de « tordre la langue » au moment même où il tord la langue de leurs versets qu’il adopte. C’est dire que le retournement suit parfois une logique projective (et persécutive) où l’on reproche à l’autre ce qu’on fait soi-même. Dans cette même veine, vient ce reproche persécutif : « Ils oublient une partie de ce qui leur a été rappelé » (5,13) ; difficile en effet de « tout » retenir ; mais qui peut « tout » retenir s’il ne s’identifie au tout, s’il ne devient totalitaire ?

Bref, le livre rassemble des données, collecte des relevés, les classe par thèmes, mais il fait comme si le Coran n’avait ni projet ni stratégie, comme si c’était un texte factuel. Que cet auteur israélien ne se pose pas trop de questions, soit, mais qu’il n’aille pas jusqu’à penser que les auteurs du Coran s’en posent, qu’ils réfléchissent et font des choix très signifiants, bref qu’ils pensent, voilà qui est surprenant. La peur de penser est très mauvaise car elle laisse place à d’impuissantes indignations, parfois délirantes: Zemmour en est un exemple.

Toujours est-il qu’en faisant passer pour circonstancielles les paroles antijuives du Coran, il fait passer l’humiliation des juifs pendant 13 siècles en terre d’islam pour également circonstancielle alors qu’elle fut intrinsèque, indissociable du texte sacré dans son esprit et dans sa lettre.

Cela dit, la recension qu’il fait est relativement honnête comparée à la compilation de Stora-Meddeb (que j’examine dans Un certain « vivre ensemble » où je montre qu’elle construit le grand déni), ou comparée à d’autres livres d’islamologues niant qu’il y ait dans le Coran des appels au djihad, ou des malédictions quelconques. Coran et Bible en est un exemple:

Daniel Sibony parle de Coran et Bible en questions et réponses

Daniel Sibony

   Daniel Sibony  est psychanalyste et écrivain. Coran et Bible en questions et réponses est paru chez Odile Jacob en mars 2017. Un cœur nouveau, son dernier ouvrage, est paru en janvier 2019 chez le même éditeur

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