Judeus brasileiros, par Jean-Paul Fhima

La population brésilienne est jeune et métissée.

Son histoire est riche et multiple.

Fiers de leurs racines,

les Juifs y ont une pris une part belle et méconnue.

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Des crypto-juifs aux esclavas blancas, des Séfarades d’Amazonie aux Paulistanos, cette ‘’communauté mosaïque’’, malgré mixité et assimilation, est restée fidèle aux lois de Moïse.

Les crypto-Juifs du Nordeste

martyrs de leur foi.

Obligés de renier la foi de leurs pères, les premiers Juifs du Brésil cachent leur fidélité à la religion juive qu’ils continuent de pratiquer en secret. Pour cette raison, on les appelle plus couramment crypto-juifs ou marranes. Ils sont originaires du Portugal ou des Pays-Bas.
Leur fief historique est établi sur la côte du Pernambuco, au Nord-est. Rabbins mais aussi juristes, médecins, diplomates, officiers, certains sont aussi écrivains et poètes. Tous témoignent de cet attachement fort au judaïsme.
Isaac Aboab de Fonseca, rabbin de la première synagogue de Recife de 1642 à 1653, est traducteur des textes cabalistiques. Ce professeur respecté et charismatique est aussi un poète de premier plan (Dan Kohn-Sherbok, The Dictionary of Jewish Biography, Londres, 2005).
Jacob Lagarto est le premier écrivain talmudique de l’Amérique du Sud (Jewish Encyclopedia). Vers 1680, il est hakham (sage ou rav) dans l’île de Tamarica (près de Recife) connue pour être la première communauté juive du Brésil (Bruno Feitler, Inquisition, Juifs et Nouveaux-Chrétiens au Brésil, Louvain 2003).
Parce qu’ils pratiquent le shabbat en famille et sont souvent dénoncés pour cette raison, les marranes sont arrêtés, renvoyés au Portugal où ils sont emprisonnés et torturés. Plusieurs centaines sont condamnés à mort et brûlés en public (Henri Méchoulan, Les Juifs du silence au siècle d’or espagnol, Paris 2003).
Certains d’entre eux ont laissé leur nom dans l’histoire du pays.
Bento Teixeira Pinto est le premier poète brésilien. Il est l’auteur du prosopopéia, (1601) considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature épique portugaise qui raconte la conquête du Pernambouc. Professeur de grammaire à Bahia, il a une vie romanesque dont on sait peu de choses. Accusé d’être un mauvais chrétien, il reconnait pratiquer le judaïsme devant le tribunal de l’Inquisition qui le pourchasse. Il est mort, semble-t-il, au Portugal (en prison ?).

Isaac Aboab da Fonseca
Isaac Aboab da Fonseca

Ambrose Fernandes Brandão est lui aussi inquiété par le Saint-Office pour pratique illégale du judaïsme. Installé dans le Paraïba, il devient planteur mais se fait connaître par ses six Diflogos das Grandezas do Brasil (Dialogues de la grandeur du Brésil, 1618). Il y décrit avec réalisme et précision la vie et les mœurs de la société brésilienne de l’époque. Son témoignage est particulièrement précieux sur les conditions de vie des Indiens et des esclaves noirs d’Afrique sur fond de critique acerbe et sans concession des mentalités coloniales de ses compatriotes. Il vante les richesses naturelles de l’Amazonie dont il décrit la découverte digne « d’un nouvel Eden ».
Isaac de Castro, marrane portugais né en France, à Tartas en Gascogne, vit à Amsterdam puis à Bahia. Accusé de vouloir enseigner la Torah et renvoyé au Portugal, ce jeune homme de 23 ans refuse pendant un long procès de deux ans de se convertir au catholicisme. Il est condamné au bûcher avec cinq autres Juifs sur la Terreiro do Paço (Place du Palais) à Lisbonne, le 15 décembre 1647 (Arnold Wiznitzer, Isaac de Castro, Brazilian Jewish martyr; American Jewish historical society, 1957). De célèbres sermons commémoratifs en sa mémoire ont été publiés à l’époque par Manasse ben Israël, fondateur de la première maison de presse hébraïque et ami de Rembrandt.
António José da Silva est un autre grand dramaturge marrane brûlé à Lisbonne par l’Inquisition en 1739, à l’âge de 34 ans. Avocat et poète très populaire, il a écrit des satires mordantes et des pièces d’opéra. Un film (de Jom Tom Azulay, 1995) et une pièce de théâtre (de Bernardo Santareno, autre grand dramaturge juif portugais du XXème siècle) lui ont été consacrés sous le même titre « O Judeu » (le Juif), surnom qu’il portait de son vivant.

Des Séfarades d’Amazonie

aux Ashkénazes du Sudeste

En 1810, la liberté de culte est enfin accordée. En 1822, le Brésil est indépendant et plein de promesses.
La pratique du judaïsme n’est donc plus illégale ni passible de poursuites. Il faut toutefois attendre 1891 pour que les lois restrictives cessent tout à fait.
Les Juifs en profitent pour se déployer plus largement dans l’immensité des fronts pionniers amazoniens et dans les régions agricoles du Sud-Est. Originaires de toute l’Europe et d’Afrique du Nord, les flux augmentent peu à peu dans la seconde moitié du XIXe siècle.
La ligne maritime Tanger-Belém permet à des centaines de Marocains originaires du Tétouan de tenter leur chance dans le commerce du caoutchouc puis dans les grandes plantations ou l’industrie. Poussés par un esprit aventureux, ils pénètrent dans les Etats intérieurs du Pará et de l’Amazonas, le long du rio Amazone et de ses nombreux affluents et s’établissent à Garupa, Cametá, Macapá, Breves, Itaituba et Santarem. Ils s’installent aussi sur la côte, à Salvador de Bahia et bien sûr à Belém où ils fondent une première synagogue en 1824 puis une autre en 1889 (source Darnna.com).
Une importante communauté séfarade est fondée à Rio de Janeiro.
Une étude de l’Université de l’Etat du Minas Gerais a montré que 16 % de la population actuelle d’Amazonie descendent de ces Juifs marocains et pratiquent le Judaïsme.
Les réfugiés d’Europe de l’Est, chassés par les pogroms et l’antisémitisme grandissant, arrivent sur les côtes brésiliennes à la fin du XIXème siècle. Encadrés par la Yidishe Kolonizatsye Gezelshaft (Association pour la Colonisation Juive, créée en 1881), ces nouveaux migrants de la pauvreté s’installent dans les colonies agricoles du Rio Grande do Sul où des bourgades entièrement juives se développent.

Communautés juives du Brésil
Communautés juives du Brésil

Des milliers de jeunes juives originaires d’Europe centrale et orientale sont envoyées dans toute l’Amérique latine entre 1860 et 1930, sous prétexte d’y trouver une vie meilleure. En réalité, elles sont victimes d’une traite des blanches qui les réduit à la prostitution dès leur arrivée (enquête Der Spiegel, juillet 2013).
Elles sont exposées aux fenêtres du quartier rouge de Rio de Janeiro et des autres villes portuaires, comme l’a décrit Stefan Zweig dans son journal intime en 1936. On les appelle les « esclavas blancas » ou plus généralement « Polocas », les Polonaises. Méprisées et bannies par leur propre communauté, elles continuent toutefois de pratiquer la religion juive et achètent le droit d’être enterrées dans des carrés spéciaux au sein des cimetières juifs de Rio ou de São Paulo. Une importante exposition leur a été consacrée au Centrum Judaicum à Berlin d’août à décembre 2012.
Des flux importants de migration juive s’accentuent au début du XX e siècle, en provenance d’Europe orientale, de Turquie, de Grèce ou de Rhodes.
A la vielle de la première guerre mondiale, il y a entre 5 et 7 000 Juifs au Brésil puis 30 000 nouveaux arrivants dans les années 1930.
Parmi les Juifs installés à Porto Alegre (Dans l’Etat du Rio grande do Sul) nait en 1937 un fils de réfugiés de Bessarabie, Moacyr Scliar.
 
Moacyr Scliar, grand romancier brésilien
Moacyr Scliar, grand romancier brésilien

Cet auteur plusieurs fois récompensé par des prix prestigieux est « une figure emblématique de la littérature brésilienne et latino-américaine » (L’Express, 28 février 2011). Conteur et fabuliste de grand talent (décédé en 2011), on le compare volontiers à Borges et Albert Cohen. Dans son roman, La guerre de Bom Fim (1972), il raconte la vie communautaire foisonnante de ce quartier juif de Porto Alegre qu’il a mondialement fait connaître.
A la fin des années 1930, le régime présidentiel de Getulio Vargas instaure un populisme d’Etat, centralisateur et dictatorial appelé Estado Novo. Pour la première fois, face à l’afflux massif des migrants européens qui fuient l’Allemagne nazie, sont prises des mesures restrictives et discriminatoires.
L’immigration est contrôlée par des quotas. Les Juifs en font les frais. Du moins officiellement, avec une chute de 75 % de l’immigration légale.
Mais les entrées clandestines qui perdurent restent considérables. L’Etat ferme les yeux, à l’exception de quelques rares cas d’extradition politique, comme celui de la militante communiste Olga Benário renvoyée en Allemagne et assassinée par les Nazis. On estime que 17 500 Juifs allemands ont trouvé ainsi refuge au Brésil entre 1933 et 1939. En 1940, 3 000 Juifs allemands convertis au catholicisme immigrent à leur tour avec la participation du Vatican.
Le Brésil fait partie des très rares pays d’Amérique latine (avec le Mexique) à avoir envoyé dans l’Europe en guerre contre Hitler une Force Expéditionnaire (FEB) de 23 000 soldats intégrés à la 5ème armée britannique pendant la campagne d’Italie en 1943.
Il existe une exception notoire à cette bienveillance qui a sauvé des vies. Ciro de Freitas Vale, ambassadeur du Brésil en Allemagne de 1939 à 1942, fervent catholique et antisémite, a défendu une fermeture rigoureuse des frontières aux Juifs d’Europe pour préserver « la moralité de la famille brésilienne ». Malgré l’autorisation de son gouvernement, il a refusé de délivrer 2 000 visas à des réfugiés qui ont péri dans les camps d’extermination.
La dictature mise en place de 1964 à 1985 n’a pas non plus été tendre avec les Juifs. Les cinq Actes Institutionnels imposés par la junte militaire toute puissante instaurent un nouveau centralisme autoritaire fait de sévère censure et de restriction des libertés. L’identité chrétienne de la nation brésilienne est soulignée. Les Juifs, suspects de choix, émigrent en nombre vers Israël.

Brasil 2014 :

 une communauté vivante et dynamique

Aujourd’hui, il y a environ 120 000 Juifs brésiliens (0,06% de la population totale du pays), merveilleusement bien intégrés dans une société qui ignore les pensées et les actes antisémites. Les Paulistanos, habitants de São-Paulo, représentent une communauté de 40 000 personnes. Il y a environ 25 000 Juifs à Rio, plus de 7000 à Porto Alegre.
La communauté juive est actuellement organisée sous forme de fédérations. Il n’y a pas de rabbinat central, tous les courants du judaïsme coexistent. On compte une trentaine d’écoles juives actuellement sur tout le territoire brésilien. A Recife, la plus ancienne synagogue du Brésil, Kahal Zur Israël, détruite au début du XXème siècle, a été reconstruite et transformée en musée de l’histoire juive en 2001.
Les Juifs paulistanos sont concentrés dans les quartiers d’Higienópolis et du Bom Retiro, ainsi que ceux de Santo Amaro (Juifs allemands) et de la Vila Zelina (Juifs espagnols et lituaniens).
La délégation juive de São Paulo dirigée par Ricardo Berkiensztat et Alberto Milkewitz, a été reçue pour la première fois par le président du CRIF le 9 octobre 2013.
La vie juive est étonnamment maintenue au cœur de la jungle amazonienne, y compris en ce moment, pendant la coupe du monde. « le Rav Arieh Raichman, codirecteur de ‘’Habad-Loubavitch’’ de Manaus, utilise le fleuve Amazone comme mikvé pour préparer les ustensiles de cuisine » (Chabad.org). Il est prêt à accueillir les nombreux touristes juifs venus de tous les continents qui pourront manger casher et suivre les offices religieux tout en assistant aux matches dans le stade flambant neuf ‘’Arena da Amazonia’’, spécialement construit pour la coupe du monde de football et d’une capacité de 42 374 spectateurs.
A Manaus où vit environ la moitié des Juifs séfarades d’Amazonie (2 000 en tout), la tombe du Rabbi marocain Chalom Mouyal, considéré comme un saint homme (inhumé en 1910), est un lieu de pèlerinage réputé, pour les Juifs et les Chrétiens (The New York Times, 12 juin 1987). Il y aurait eu des miracles !
Dans ce pays immense et coloré où beaucoup de progrès restent à accomplir contre les discriminations ethniques et sociales, on peut dire qu’il existe une insoupçonnée ‘’judéo-brésilianité’’ laquelle laisse de nos jours (enfin !) la part belle aux femmes.
La présidente brésilienne actuelle, Dilma Rousseff disciple et successeur de Lula depuis 2011, a laissé entendre devant la Confédération israélite de son pays qu’elle a elle-même des origines juives par sa grand-mère maternelle.

La tombe du saint rabbi à Manaus (Brazilmax.com)
La tombe du saint rabbi à Manaus (Brazilmax.com)

Debora Waldman, chef d’orchestre israélo-brésilienne de réputation internationale, est née à São-Paulo.
Partie vivre avec sa famille dans un kibboutz jusqu’à l’âge de quatorze ans, elle s’est formée en Israël, puis à Buenos Aires et enfin à Paris. Cette jeune femme brillante fait aujourd’hui une carrière remarquable et prometteuse.
Révélée lors du festival musical Campos do Jordão en 2007, elle se distingue par une « gestique claire et précise» (Marcel Quillévéré, France Musique 3 mars 2014).
En décembre 2009, c’est à la tête de l’Orchestre national de France qu’elle rend hommage au compositeur brésilien Heitor Villa-Lobos. En 2013, elle crée l’orchestre Idomeneo et dirige le « Alma Chamber Orchestra tour in Israël » qui se produit à Tel Aviv.
Elle sera tout l’été aux commandes du Don Giovanni de Mozart dans l’Opéra itinérant et en plein air mis en scène par Patrick Poivre d’Arvor (du 26 au 28 juin 2014 au château de Vincennes, puis à Carcassonne le 4 juillet, aux Invalides du 9 au 13 septembre).
Debora Waldman, ‘’conductor’’
Debora Waldman, ‘’conductor’’

Incontestablement, les Juifs ont influé dans la longue histoire du Brésil, comme d’ailleurs le Brésil a influé dans la longue histoire des Juifs.
Luís Martins de Sousa Dantas, ambassadeur du Brésil en France sous le régime de Vichy, a sauvé des centaines de Juifs en leur délivrant des passeports. Il a été reconnu Juste parmi les nations le 10 décembre 2003.
Le 29 novembre 1947, quand fut votée la création de l’Etat d’Israël, le président de l’assemblée générale de l’ONU, Oswaldo Aranha, était … brésilien.
Alors, il n’y a qu’un mot à dire : « Vive le foot ! »
 
Jean-Paul Fhima
JPF-Signa
 

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