Israël-Afrique, destins croisés, par Jean-Paul Fhima

A l’université hébraïque de Jérusalem (HUJI) l’actuel président de la République de Côte d`Ivoire, Alassane Ouattara, rappelait à la conférence “Facing Tomorrow 2012”, que « l’afro-pessimisme » qualifiant l’Afrique de « hopeless continent » ou de « failed continent » était une notion dépassée. Reconnaissant avec fierté que « l’Afrique opère un tournant sans précédent », il a encouragé le HUJI, et au-delà tout Israël, à « surmonter ensemble les défis imposés par les bouleversements en cours. »
« Notre destin est intrinsèquement lié. » (Abidjan.net, 20 juin 2012).
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Ce destin commun entre Israël et l’Afrique s’organise autour de deux axes majeurs : lutter contre le terrorisme, menace permanente qui nécessite une coopération militaro-stratégique d’envergure ; multiplier les accords et les programmes de développement économique et social.

Lutter contre le terrorisme

Le Conseil de la paix et de la sécurité de l’Union Africaine (UA) s’est tenu à Nairobi (Kenya) le 2 septembre 2014, près d’un an après les quatre jours d’attaque des Al-Shabbaab somaliens contre le centre commercial Westgate de Nairobi (21-24 septembre 2013, 68 morts, plus de 200 blessés).
Les attentats islamistes se sont multipliés dans toute l’Afrique : Somalie, Cameroun, Nord Sinaï, sud libyen, ouest tunisien, Niger, Mali, Burkina, Ouganda, Centrafrique. Les escadrons sanguinaires de Boko Haram, dont le chef Abubakar Shekau a fait allégeance à l’Etat islamique, ont attaqué au Nord Nigéria les églises ou les écoles et pris en otage 250 lycéennes chrétiennes mariées de force à des musulmans dans une foire probable d’esclaves sexuelles rendant désormais impossible leur libération (14 avril 2013).
L’UA fait preuve d’« une prise de conscience (du) danger qui menace » (JDD, 31 août 2014). Un danger qui ne peut que la rapprocher un peu plus de l’expertise et du savoir-faire israéliens.
C’est dans le cadre de ce rapprochement stratégique contre le terrorisme que le ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, a effectué une tournée de 10 jours en juin dernier. En compagnie d’une importante délégation, il s’est rendu dans cinq pays africains (Rwanda, Côte d’Ivoire, Ghana, Ethiopie et Kenya), a annoncé une aide de 100 millions de dollars à l’économie ghanéenne et souligné la volonté d’Israël d’intégrer l’UA en tant que membre observateur (i24News, 19 juin 2014). « Actuellement 39 pays africains sur les 57 que contient le continent ont des liens diplomatiques et commerciaux avec l’État juif. » (Faouzi Ahmed, Le monde juif.info, 10 juin 2014).
 

Avigdor Lieberman en Afrique, juin 2014
Avigdor Lieberman en Afrique, juin 2014

« Il y a de nombreux domaines dans lesquels Israël peut aider au développement : l’agriculture, la gestion de l’eau, la médecine et la lutte contre le terrorisme », a ajouté Lieberman.
Au Kenya par exemple, Israël s’impose comme un partenaire militaire d’envergure. Depuis le double attentat anti-israélien de Mombasa contre des Israéliens le 28 novembre 2002, l’Etat hébreu a tissé dans ce pays un réseau conséquent de forces de sécurité et de défense (renseignement, unités d’élites, équipements). « Nous allons aider à la formation d’une coalition contre le fondamentalisme en Afrique de l’Est » (Benjamin Netanyahou, Jérusalem, novembre 2011). Depuis, de nombreuses personnalités africaines visitent Israël et renforcent les liens diplomatiques (Pascal Ayrault, L’Opinion, 24 septembre 2013).
Déjà du temps des fondateurs de l’Etat hébreu, Golda Meir et Ben Gourion, le rapprochement avec l’Afrique était considéré comme un moyen de contenir l’influence des pays arabes et de peser dans le concert des nations. Cette dynamique de rapprochement avait connu un arrêt provisoire après la guerre des Six jours en juin 1967 et la guerre de Kippour en octobre 1973. Mais très vite le Togo, le Cameroun, la Côte d’Ivoire et la RDC avaient renoué ces liens, officialisés à partir de 1987 avec la condamnation par Israël de l’Etat d’apartheid sud-africain.
Cette coopération israélo-africaine a surtout pris une forme très concrète lors du raid d’Entebbe (opération Tonnerre), ce que confirment des spécialistes comme Yossi Melman (journaliste israélien, Huffington Post, 24 septembre 2013).
Dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976, un commando israélien de troupes d’élite prend d’assaut l’aéroport d’Entebbe (Ouganda) afin de libérer 103 otages juifs retenus pas sept terroristes dont deux du FPLP (Front de libération de la Palestine). Ces otages sont les passagers du vol Air France Tel Aviv-Athènes-Paris qui a été détourné. L’intervention rapide et spectaculaire, réalisée avec le soutien du gouvernement kenyan, sauve presque tous les otages. Le frère de l’actuel premier ministre israélien, le commandant Jonathan Netanyahou, est tué. On sait que les plans de l’aéroport, construit par une société israélienne, ont fourni d’importants détails indispensables à la réussite de l’opération.
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Opération Entebbe

Aujourd’hui, l’Afrique est devenue la plaque tournante de nouveaux antagonismes majeurs avec de nombreuses filières jihadistes au Maghreb, dans la zone soudano-sahélienne, dans la corne d’Afrique. D’autre part, la proximité de la mer Rouge fait du Kenya, de l’Ethiopie et de l’Erythrée, trois pays cruciaux pour Israël car « ils servent de zone tampon dans une région qui voit le fondamentalisme islamiste progresser à grands pas » (Galia Sabar, directrice du département d’Etudes africaines à l’Université de Tel-Aviv, AFP, 24 septembre 2013).
Il y a donc entre Israël et les Etats africains une assistance mutuelle et rapprochée en matière de sécurité et de surveillance. En Angola par exemple, pays ami de Tel Aviv, la compétence israélienne dans ce domaine ainsi qu’en moyens militaires et en services de renseignement est très recherchée. Les cadres de l’armée et de la police angolaises sont formés à l’école israélienne (Israël valley, 23 juin 2013).
On ne compte plus les nombreux contrats de sécurité et de surveillance conclus entre les pays africains et l’Etat hébreu. On sait par exemple, que le port autonome d’Abidjan et son aéroport international sont sécurisés par des filiales de la société israélo-canadienne Visual Defence. Par ailleurs, l’important hub portuaire de Mombasa utilise le matériel de sécurité de la société Magal Security Systems, leader mondial israélien dans le domaine, pour renforcer sa protection contre le terrorisme, les trafics de drogue et de contrebande.
Magal, fondé en 1969 à partir de Israël Aircraft Industries (IAI), a mis au point un équipement intelligent de technologie avancée de surveillance (DreamBox) qui a déjà fait ses preuves dans le port israélien d’Ashdod depuis 2007 (Agence Ecofin, 9 août 2012).
Les ventes d’armes à l’Afrique représentaient pour Israël 223 millions de dollars en 2013, contre 107 millions en 2012, 127 millions en 2011, 71 millions en 2009. « Les transactions concernaient principalement la mise à jour d’avions, de systèmes informatiques pour les forces aériennes, de munitions, de drones et de radars, a déclaré le ministère de la Défense à Haaretz » (The Times of Israel, 10 octobre 2014).
Ce commerce ni exceptionnel, ni spécifique à Israël, devient pourtant suspect dès qu’il s’agit de l’Etat juif.
Au sujet de la présence israélienne en Afrique, le très anti-israélien René Naba parle de « colonisation », d’accaparement des ressources africaines « au détriment des populations et des pays pauvres. » Nullement effrayé par les clichés antisionistes récurrents, Naba, ancien responsable du monde arabo-musulman de l’agence AFP (détail qui mérite son importance), considère qu’Israël « est le plus important soutien aux dictatures du Tiers monde » et l’un des pays les plus pollueurs de la planète (Mondafrique, 11 février 2014). De quelle pollution parle monsieur Naba, allergique à tout ce qui est israélien ?
La coopération israélo-africaine ne s’arrête pas aux transactions militaro-stratégiques.
L’Afrique représente 24 % des ventes d’Israël à l’étranger. Les exportations israéliennes en zone subsaharienne, tous secteurs confondus, ont atteint la somme de 1,4 milliard de dollars en 2013 (i24News, 19 juin 2014).
Les principaux partenaires commerciaux d’Israël en Afrique étaient en 2013 (dans l’ordre d’importance des importations en provenance de l’Etat hébreu) l’Afrique du Sud, le Togo, le Nigeria, l’Egypte et le Kenya. Les échanges portent essentiellement sur les minerais et les métaux précieux dont les diamants travaillés à Tel Aviv en provenance d’Afrique du Sud, premier partenaire israélien (RFI, 27 juin 2014).
Entre Israël et l’Afrique, il existe de multiples projets de développement économique et social et de nombreux accords multilatéraux, privés ou publics. Dans le cadre de partenariats et de programmes commerciaux ou industriels, les enjeux sont importants des deux côtés.

Relever le défi du développement

Services gouvernementaux, grandes sociétés et start-ups d’Israël mettent leurs capacités d’innovation et d’adaptation au service de l’Afrique.
Sur les deux seules dernières années (2012-2014), contrats importants et projets variés n’ont pas manqué. Ils ont concerné l’expertise agricole et l’agronomie, l’irrigation et la protection de l’environnement, l’ingénierie, l’exploitation raisonnée des ressources énergétiques traditionnelles ou alternatives, l’éducation scientifique et la formation des cadres. Israël est un réservoir de technologies performantes capables de relever les défis du développement qui se pose à de nombreux pays africains.
‘’L’opération Initiative Afrique’’ est un ensemble d’accords signés entre Israël et le Kenya (décembre 2012) puis le Nigeria (février 2014). Les efforts se portent autant sur l’aide à l’aquaculture ou à la culture des agrumes, que sur le traitement des eaux, les cultures pastorales et l’adaptation aux changements climatiques. Le but est d’augmenter la productivité et la qualité des récoltes pour améliorer le niveau de vie.
Ce type d’accords publics est piloté par le Mashav (Agence israélienne pour le développent et la coopération) et associé à des sociétés israéliennes privées comme Amiran au Kenya (spécialisée en high-tech agricole, JTA, 18 février 2014), Gigawatt Global (énergie solaire) au Rwanda ou en Ouganda (David Jortner, Hamodia, n°5, mars 2014) ou LR Group (agro-industrie, énergies renouvelables, hydraulique) bien implanté en Côte d’ivoire.
« On opère des transferts de technologies avancées et un appui financier pour une large variété de projets agricoles dans une vingtaine de pays africains » (LR Group, in Abidjan.net, 18septembre 2014).
L’agence du Mashav, qui dépend du ministère des Affaires étrangères, prend régulièrement en charge la formation d’agronomes et d’ingénieurs étrangers. En août 2012, 25 Togolais hautement qualifiés ont bénéficié d’un stage de formation de 11 mois (dans deux kibboutzim près de Tel Aviv) sur les techniques de cultures agricoles et de gestions des exploitations. Les stagiaires ont reçu ensuite une aide financière conséquente pour créer leur propre exploitation dans leur pays. « En Asie, près de 2000 agriculteurs ont déjà profité de ce programme israélien. » (Site officiel de la République du Togo, juillet 2012).
La ferme agropastorale de Ntoum (spécialisée en pisciculture, aviculture et cultures en serres) est le résultat d’une convention mixte signée entre l’Etat gabonais et une société israélienne Mori Investments. C’est l’une des six fermes-mères du « Gabon vert », développées sur le modèle du moshav israélien, combinaison d’entreprise privée et de coopérative agricole locale aux multiples fonctions (production, vente, mise en commun du matériel, protection sociale). L’objectif de ces coopératives villageoises est de relancer les cultures vivrières, d’augmenter les rendements à l’hectare avec moins de terres et donc de réduire à terme l’insuffisance alimentaire chronique du pays et de créer des emplois (Jeune Afrique, 1er juin 2011, Israël valley, 27 août 2013).
Depuis 1985, a société ET Air Holding a mis en place des « projets d’impact » appelés « packages-deals économico-éducatifs. » Soucieux d’accompagner la réalisation d’infrastructures productives par une « sociologie communautaire de qualité », ces projets concilient à la fois développement économique et peuplement intégré avec la création de bâtiments à but socio-éducatif (lycée, centre culturel, centre de formation professionnelle, dispensaire). En étroite coopération avec les gouvernements des Etats concernés, la société israélienne s’occupe de la construction, principalement au Congo et en Angola, d’une trentaine de villages agro-industriels calqués sur le modèle du mochav. « Notre stratégie consiste chaque fois à développer des synergies associant le business au social » explique Yéhochoua Étrog, le président de ce groupe basé à Herzliya (Israël Valley, 20 septembre 2013).
C’est à Herzliya qu’est né un autre projet remarquable, à partir de l’initiative de collégiens (du Kibboutz Ein Shemer) et de lycéens de la ville située au nord de Tel Aviv. Développé par l’ONG Algeed avec l’aide de spécialistes volontaires dans le cadre d’un réseau très actif d’éducation au développement durable, ce projet en cours devrait tout spécialement intéresser l’Afrique sahélienne. Il s’agit en effet d’un système de culture d’algues dites Spirulina, riches en protéines, qui pourrait bien, à terme, parvenir à nourrir les régions désertiques sans terres arables ni bétail (source Haaretz).
Créer de nouvelles ressources tout en préservant l’environnement est devenu la spécialité de Terry Jullus et de Itzhak Tidhar, directeurs de la société israélienne Carbon Essence créée en 2009. Cette société a signé en juillet 2012 un important contrat avec la République centrafricaine portant sur l’exploitation et la conservation de la forêt équatoriale pour une concession de 25 ans. Tout en luttant contre la déforestation qui menace l’équilibre de l’écosystème africain, la société distribue des ‘’crédits carbone’’ pour allier exploitation forestière et conservation du milieu naturel sur une surface de 2.4 millions d’hectares. Le projet prévoit que les industries polluantes situées à proximité de forêts tropicales verseront une taxe pour chaque tonne de carbone (CO2) rejetée dans l’atmosphère. « La société israélienne va donc participer à la lutte contre le changement climatique en Afrique » (Jacques Bendelac, Israel Valley, 1er juin 2012). Cette transaction rapporte plusieurs dizaines de millions d’euros par an… sans couper un seul arbre. (agenceecofin.com, 5 juillet 2012).
L’organisation Innovation:Africa a été fondée en 2008 par Sivan Borowich-Ya’ari, franco-israélienne d’origine algéro-tunisienne. Dans le cadre du PNUD (Programme des nations Unies pour le développement), une assistance technique en matière de technologie solaire et d’agriculture est apportée aux villages africains qui connaissent des difficultés d’accès à l’eau potable et à l’électricité. En Ouganda, au Malawi, en Tanzanie, en Ethiopie, en Afrique du Sud, en RDC, l’organisation a déjà porté assistance à plus de 450 000 personnes, ouvert 66 écoles et de nombreuses cliniques médicales.
L’un des plus importants leaders israéliens en énergie solaire, la société Arava Power Company (Kibboutz Ketura) est dirigée par Yosef Abramowitz. Connu pour son engagement en faveur de l’emploi et du développement dans le désert du Néguev, Yossef a lancé un projet permettant de fournir de l’électricité à des centaines de millions d’Africains. La technologie israélienne, avoue-t-il, pourrait faire une grande différence en Afrique car l’électricité reste la clé de ces technologies pour combattre la rareté des ressources. « Avec le courant vient la paix » (bulletins-électroniques.com, 24 janvier 2013).
Dans la banlieue d’Abidjan, c’est un autre type d’exploitation qui intéresse Telemania (filiale du groupe FK Group). Cette entreprise israélienne a conclu un accord pour réaliser la construction de la centrale thermique au gaz naturel de Songon-Dagbé (Jeune Afrique, 19 juillet 2013).
 

Des israéliens en Afrique : Sivan Borowich Ya’ari, Yosef Abramowitz
Des israéliens en Afrique : Sivan Borowich Ya’ari, Yosef Abramowitz

Enfin, citons l’intérêt que la coopération israélo-africaine attache à la recherche et à l’enseignement scientifique.
Un accord « d’économie, de commerce, d’éducation et d’investissement » a été signé à Kigali au cours de la dernière visite d’Avigdor Lieberman (Israel valley, 13 juin 2014). Au Rwanda, la technologie israélienne en matière de TIC (techniques d’information et de communication) est déjà à l’œuvre. Un logiciel (MultiLab Data Analysis) développé par Fourier Systems Limited, basé en Israël, permet la réalisation virtuelle de centaines d’expériences à partir d’une base de données de manuels et de programmes d’études. Ce qui ne peut que généraliser et accélérer la formation in situ des futurs chercheurs africains.
Citons enfin le Pears Challenge ouvert aux entrepreneurs mais aussi aux chercheurs, ONG et PME israéliens pour aider les pays en voie de développement. Cette compétition annuelle propose à dix équipes candidates de relever le défi de l’innovation et du développement dans le cadre de l’Ecole d’Administration et de Politique publique de l’Université de Tel-Aviv. « L’Afrique présente un potentiel énorme (…) car la demande pour les nouvelles technologies y est en croissance rapide. » (Aliza Belman Inbal, directrice du programme). Les lauréats privilégient de plus en plus le marché africain.
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L’avenir appartient à ceux qui y croient.

Un avenir fait de défis et de menaces, mais aussi d’enjeux et de projets, d’innovation et d’espoir. L’Afrique, grand continent plein de ressources, et Israël, petit pays plein de promesses, feront pousser ensemble des fleurs dans le désert.
Jean-Paul Fhima
JPF-Signa
 
 

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