Michel Rothé, chasseur de mémoire

Passionné, à la fois par le patrimoine juif et par la photographie, Michel Rothé – qui vit à Jérusalem – continue de faire vivre le site sur le judaïsme alsacien et lorrain qu’il a qu’il a créé il y a presque vingt ans. Et il profite de ses séjours réguliers à Mulhouse pour arpenter l’Alsace et enrichir sa documentation.

Rendez-vous avait été pris au mythique « King David ». Lié à l’histoire d’Israël, l’hôtel offre de sa terrasse arrière la plus belle vue sur la vieille ville de Jérusalem. Le hall a gardé le parfum suranné des années trente. À peine installé dans un fauteuil, Michel Rothé sort sa tablette pour partager les derniers développements de son Site du judaïsme d’Alsace et de Lorraine.

Pas une once de nostalgie chez cet homme chaleureux, simplement une curiosité sans limite pour le patrimoine de ses ancêtres. Michel Rothé – qui revient régulièrement à Mulhouse où il est né – se dit « chasseur de… mémoire ». Le sexagénaire en a l’allure sportive, avec son sac à dos. Mais la seule arme de celui qui est aussi un gardien et un passeur de la mémoire juive, est son – ou plutôt ses appareils photo.

Toujours orienté vers Israël

Cette passion remonte à sa jeunesse. Déjà au lycée, Michel Rothé s’intéresse au judaïsme mulhousien, puis alsacien, et entreprend de photographier les synagogues d’Alsace, en se déplaçant à vélo, puis à mobylette. « Mais le patrimoine juif n’était alors pas au goût du jour » , constate-t-il. Il démarre aussi une collection de cartes postales anciennes témoignant du judaïsme…

Pendant ses études de chirurgien-dentiste à Strasbourg, il milite pour faire sortir les juifs d’Union soviétique. Une rencontre avec Simone Veil, alors présidente du Parlement européen, disparue vendredi dernier, l’a particulièrement marqué.

« Je me sentais bien à Strasbourg, mais j’ai été orienté vers Israël dès mon plus jeune âge », explique-t-il, en évoquant ce « Misrah », tableau montrant les colonnes du temple de Jérusalem, orienté vers l’Est, que possèdent de nombreuses familles juives. Il passe sa thèse en juin 1983 et quitte l’Alsace pour Jérusalem en octobre. Juste le temps de se marier auparavant à Strasbourg avec Annie Warschawski, qui après ses études de pharmacie, s’était installée à Jérusalem.

La fille du grand rabbin Warschawski – une personnalité ouverte, qui a marqué Strasbourg en son temps – avait fait son alya, sa « montée », avant lui. Elle travaille à l’hôpital Adassa. Depuis, ils ont eu quatre garçons, Eytan, Gadiel, Yona et Eliel, élevés dans la double culture, française et israélienne. Et un petit-fils, Nadav, à qui ils parlent aussi en français.

Michel Rothé semble encore surpris de la facilité avec laquelle il s’est intégré dans la société israélienne, alors même qu’il ne connaissait que « des rudiments d’hébreu » , confesse-t-il volontiers. Son diplôme de dentiste est validé en quinze jours et il peut travailler immédiatement dans un dispensaire. L’année d’après, le 1er avril, il ouvre un cabinet privé et accueille son premier patient.

Son âge – il a alors 30 ans – lui évite les trois années de service militaire. « J’ai effectué trois mois de classes au rabais » , ironise-t-il. Mais, jusqu’à l’âge de 60 ans, il fera régulièrement sa période de réserviste. Aujourd’hui, il soigne une clientèle diverse, d’origine française mais aussi russe, et, plus récemment, des réfugiés d’Alep. Pour autant, « il me fallait sortit de la bouche des gens et faire autre chose » , avoue-t-il avec humour.

Et l’Alsacien de Jérusalem n’a jamais oublié le patrimoine juif, ni l’Alsace. Chaque fois qu’il y revient – son épouse aime marcher dans les Vosges – il photographie les synagogues et cimetières d’Alsace. Il en avait fait un premier livre, avec son beau-père, Max Warschawski, qui s’était chargé de la partie historique pour chaque édifice. À sa retraite, en 1987, le grand rabbin et sa femme, Mireille, s’étaient installés en Israël où vivaient six de leurs enfants. Mais, en 1992, l’ouvrage n’intéressait aucun éditeur et Michel Rothé l’a publié à compte d’auteur…

Google et notre site ont le même âge

Quelques années plus tard, ce sont les premiers balbutiements d’internet. En 1997, il discute avec une patiente, Barbara Weill, d’une ébauche de site sur le judaïsme alsacien, pour rendre accessible ses documents au plus grand nombre.

« Il nous fallait un serveur pour nous héberger. J’en ai sollicité trois. Dans la demi-heure, Michel Landaret et les DNA m’ont proposé de nous héberger gracieusement » , raconte-t-il, observant en souriant : « Google et notre site ont le même âge ». Depuis, avec son épouse et des amis bénévoles mis à contribution, il a créé des milliers de pages, avec des documents souvent surprenants. Des parcours de vie passionnants. Mais aussi des travaux universitaires et des conférences. « Nous sommes devenus le site de référence du judaïsme alsacien » , se réjouit Michel Rothé.

« Récemment, j’ai eu un mail d’une jeune femme de Mulhouse qui cherchait la tombe de Salomon Mock, qui fut rabbin à Dornach. J’ai pu lui envoyer la photo de la tombe » , indique-t-il. Grâce aux moyens d’archivage, son site propose une véritable encyclopédie – largement illustrée – du judaïsme d’Alsace-Moselle. Michel Rothé renvoie aussi à des liens, avec le Musée du déporté-résistant du Struthof ou le Musée de la Shoah de Washington. « Parfois, nous recevons même des documents inédits » , se félicite-t-il.

Michel Rothé était, la semaine dernière, à Mulhouse où vit sa mère, Marcelle, âgée de 96 ans. Sa photo, alors qu’elle était enfant, habillée en alsacienne, figure sur la page d’accueil du site… À chaque venue, il en profite pour se rendre à Strasbourg, chez sa sœur Françoise et son beau-frère Alain Kahn, où il compte de nombreux amis.

Nous nous y retrouvons place Broglie. Michel Rothé parle de sa rencontre avec le sociologue Freddy Raphaël, autre passionné de la mémoire juive en Alsace, qui l’encourage à poursuivre sa quête. Le décès d’Helmut Kohl fut l’occasion d’évoquer la réconciliation franco-allemande, qui pourrait servir de modèle aux Israéliens et aux Palestiniens. « On perd du temps, il y aurait tellement de choses à faire. Mes neveux vont dans une école où juifs et arabes étudient ensemble » , souligne-t-il. Attaché à l’État d’Israël, « seule démocratie du Moyen Orient », peiné par « la politique uniltérale du Quai d’Orsay » , il n’en jette pas moins un regard distancé sur le gouvernement actuel. Pour lui, « il faudrait réduire les peurs et imaginer quelque chose de neuf… »

Puis il sort son ordinateur de son sac à dos pour montrer ses dernières découvertes et annoncer la mise en ligne d’un travail en judéo-alsacien d’Emmanuel Weill. Il évoque aussi d’autres projets, toujours avec le même enthousiasme. Son objectif, et celui de l’association des amis du site présidé par Alain Kahn, est de marquer l’anniversaire de l’an prochain. Il reste juste à trouver des moyens.

Source lalsace

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