Va expliquer ça aux enfants. Par Sarah Cattan

Te souviens-tu comment c’était, avant ?

Y a eu d’abord Avant, quand tes petits croyaient dur comme fer à la Petite Souris et aussi au père Noël

Qu’ils s’essayaient à être sages et dressaient des listes.

Avant. Quand Noël s’installait paisiblement au cours du mois de décembre.

Quand ta boite aux lettres n’était pas agressée par les prospectus vantant le jouet à acheter absolument

Quand la dite boite aux lettres apportait même peu à peu des cartes. Tu sais : des cartes de vœux. Avec du givre sur les sapins.

Avant. Quand tu préparais comme moi la fête. Sans te prendre la tête avec les calendriers improbables : oui mais là, les enfants, ils sont chez leur père ? Et leur cousine ? Elle fait Noël avec son papa et le mari de son papa.

Avant. Quand les enfants avaient 1 noël. Pas deux. Pas trois. Et que forcément il tombait… le 24

Avant. Quand tu prenais tout ton monde pour aller admirer les vitrines. Les vitrines du Boulevard Haussmann.

Avant les attentats : quand tu faisais ça à pieds.

Avant. Quand tu refusas d’y renoncer, au joli rituel.

Quand La ballade de Noël, tu te mis à la faire en voiture. La nuit. Au ralenti.

Les Champs. Les Champs Elysées. Regardez, les enfants. Là-bas, l’Arc de Triomphe. Car Tu en profitais du coup pour y adjoindre, à la new ballade, une petite visite culturelle.

Avant une pause chez Ladurée. Place du Trocadéro

Ça s’fait pas !

Ça s’fait pas ! les entendis-tu dire hier lorsque, te voyant jouer de moult subterfuges pour traverser un Paris saccagé, ils eurent vent des dégâts qui venaient d’être causés.

Non mon petit garçon mon amour

Ça s’fait pas.

Non mon petit garçon mon amour Tuer les gens parce qu’ils étaient au concert ça s’fait pas

Tuer les filles qui buvaient une bière et fumaient une clope à une terrasse de café, ça s’fait pas

Tuer une petite fille parce qu’elle était juive, ça s’fait pas

Non mon petit garçon mon amour

Violer l’Arc de Triomphe Ça s’fait pas

Souiller la Tombe du Soldat inconnu : non plus

Ça s’appelle l’interdit

Tu rames.

Certains t’ont répété tant et tant qu’il n’y avait pas d’interdit

Qu’on ne pouvait retrancher une partie de la liberté sans la tuer tout entière.

Ils te citaient à l’appui l’histoire de la femme de Barbe-Bleue. Laquelle eut tout un palais à sa disposition avec la liberté pleine et entière de pénétrer partout, de voir et de toucher tout, excepté une mauvaise petite chambre, que la volonté souveraine de son terrible mari lui avait défendu d’ouvrir sous peine de mort.

Ils te racontent comment, se détournant de toutes les magnificences du palais, son âme se concentra tout entière sur cette mauvaise petite chambre

Comment elle l’ouvrit

Comment elle eut raison de l’ouvrir : n’avait-ce pas été un acte nécessaire de sa liberté…

Ils te rappellent encore l’histoire du péché d’Adam et d’Ève : la défense de goûter du Fruit de l’arbre de la science, sans autre raison que telle était la volonté du Seigneur.

T’expliquant que si nos premiers parents avaient obéi, toute la race humaine serait restée plongée dans le plus humiliant esclavage et qu’au contraire leur désobéissance nous avait émancipés. Sauvés. Que ce fut, mythiquement parlant, le premier acte de l’humaine liberté[1].

Ah oui Mais pas L’Arc de Triomphe Quand même

Ah oui Mais pas L’Arc de Triomphe Quand même

Les coups, tu en portes encore les plaies.

Les hommes en blanc, sauront-ils réparer tout ça

Qui va guérir la marque. Là. Qui te vrille le ventre.

La sidération

Pas l’Arc de Triomphe

Une cathédrale dans la tête

Dans Ce qui nous tient debout, Boris Cyrulnik et Luc Ferry, parlant philosophie, évoquaient ces maisons que l’on pouvait choisir d’habiter pour se protéger. Ces palais où l’on pouvait aller se ressourcer avant de retourner dans la rue affronter des réalités parfois difficiles. Ils expliquaient qu’on pouvait habiter Spinoza, habiter Nietzsche ou Kant comme on habiterait des maisons avec des architectures différentes.

Boris Cyrulnik disait que nous avions tous une maison dans la tête. Que cette maison que l’on se construisait parlait de notre vision du monde…

Il avait raconté une fable :

Un pèlerin se rendant à Chartres voit sur le bord de la route un homme en train de casser des cailloux. Celui-ci grimace, respire le malheur. Alors le pèlerin s’arrête et l’interroge : « Monsieur, qu’est-ce que vous faites ? » L’homme, malheureux, lui répond : « J’ai trouvé ce métier stupide et mal payé. Et j’ai mal au dos. » Le pèlerin continue son chemin et voit un deuxième homme un peu plus loin, torse nu en train de casser des cailloux. Il lui pose la même question : « Monsieur, qu’est-ce que vous faites ? » « Eh bien moi, je gagne ma vie comme ça, au moins c’est en plein air », lui répond l’homme. Plus loin, le pèlerin voit un troisième homme occupé au même travail. Ce dernier respire le bonheur. « Monsieur, qu’est-ce que vous faites ? » Et l’homme lui répond : « Moi ? Je bâtis une cathédrale ! »

L’homme qui avait une cathédrale dans la tête métamorphosait la manière dont il éprouvait le réel. Lui aussi, comme les autres, souffrait du réel, mais il avait une représentation de ce caillou qui lui donnait sens.

Cyrulnik avait ajouté que, parmi les survivants résistants dans les camps de déportés, ceux qui avaient le mieux supporté l’horreur étaient… ceux qui avaient une cathédrale dans la tête.

Va expliquer ça à tes enfants.

Sarah Cattan

[1] M. A. Bakounine. Le sens de l’interdit. Proposition motivée au Comité central de la ligue de la paix et de la liberté. 1867.

 

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2 Comments

  1. Ce n’est pas « l’arbre de la science ». Lisez la Genèse.
    C’est « l’arbre à reconnaitre le bien du mal ».

    Les prétendus docteurs de la Foi tentent de nous faire croire que nous fumes chassés du paradis pour avoir désobéi à l’interdit divin.
    Balivernes. Ce n’est PAS une punition.

    Le paradis consiste à ignorer le bien et le mal ; à n’avoir aucune morale.
    Les animaux n’en ont pas et ne furent donc jamais chassés du paradis.

    Le fait même d’avoir une morale, de décider de ce qui est « bien » ou « mal », exclue du paradis.
    Le créateur n’a pas voulu que nous ayons une morale ; voilà tout.

    C’est EXACTEMENT le contraire de ce que les préchi-prêcheurs prêchent.

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