Samedi. Gilets jaunes. Michèle Chabelski

Bon
Samedi

S’habitue t’on jamais?

On restera encore enfermé aujourd’hui…

Moi j’ai instauré une zone de sécurité dans un périmètre de 100m.
Ce qui me laisse une marge suffisante pour occuper mon samedi :
Franprix
La boulangerie
Le pressing

Je n’ai rien à donner au pressing : qu’à cela ne tienne, ce petit pull jaune fera l’affaire…
Une trace de fond de teint dénature son style assez pur, zou, direction ce lieu issu tout droit de l’univers plein d’humour d’un créatif inspiré, le cinq à sec…

Ce n’est pas que l’employée soit aimable ou diligente, elle considère qu’un quart d’heure de battement entre chaque client représente le minimum syndical nécessaire à sa productivité…

On n’est pas des chiens.

On poireaute.

Elle va regarder le pull avec consternation.
C’est vrai, ces taches à observer toute la journée, ça finit par lasser…

C’est quoi ? Va t elle articuler avec répugnance…

C’est du fond de teint…

Ah ! Moi je peux pas garantir que ça partira…

Mais si ça part pas chez vous, comment je fais ?

Elle va me regarder avec animosité…

Je suis employée de pressing, moi, pas psy. Les angoisses des clients, dans les vapeurs du fer et l’odeur du trichloréthylène, ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.

Comme elle est un peu sotte, elle répète une phrase entendue à la télé qui n’a pas vraiment de rapport avec son anatomie, malgré l’imposante moustache qui surplombe sa bouche amère.

Voilà comment va se passer la virée pressing.

Chez la boulangère, je demanderai une demi tradi.

63 centimes lancera t elle avec hargne, car on est là sous le seuil acceptable d’encaissement dans un monde qui méprise les pauvres.

Je ne vais quand même pas prendre un éclair à 300 calories juste parce que j’ai eu envie de me dégourdir les jambes !

Je lui donnerai un billet de 10 puisqu’elle ne dispose pas encore de cette machine qui crache tripes et boyaux quand on lui introduit une pièce de 2 euros dans l’œsophage…

Elle me rendra la monnaie, goguenarde, en pièces de 1 et 2 centimes.

Je lui dirai: vous n’avez pas un billet de 5?

Elle me répondra, hargneuse :
Bien sûr que non! Sinon vous croyez que je le garderais pour moi?

Menteuse!!!

Puis comme le temps est clément, je sautillerai, guillerette, jusqu’au Franprix où des palettes bourrées jusqu’à la garde stationneront dans les allées , imposant un slalom salutaire à nos jambes ankylosées par trop de sédentarité..

Je ne me fais pas le chantre d’un nomadisme archaïque incompatible avec l’installation rigoureuse d’une société organisée, je dis juste que les marches du métro ne suffisent pas à dérouiller les articulations plaintives de nos genoux senescents..

Puis comme je n’aime pas les jardins, eu égard aux nombreuses journées postées dans le froid devant un toboggan en applaudissant avec enthousiasme la descente triomphale d’un petit loulou fier et heureux, je rentrerai chez moi lire enfin le bouquin de près de 500 pages que je dois terminer pour hier.

Et dont je dois faire une critique avec des mots jolis et frisottant, dans une exégèse aussi légère que rigoureuse, avec cette petite musique qui ruisselle de tendresse et parle au cœur, sans négliger le côté artistique et littéraire de l’œuvre et sa profondeur identitaire et philosophique..

Finalement, un grand merci aux gilets jaunes de m’offrir cet espace que j’eusse en d’autres temps utilisé à m’affaler dans une salle obscure en me bâfrant d’images nourricières qui comblent rarement mon insatiable appétit ..

Que cette journée vous offre le choix de vos activités, qui ne devrait pas être une option dans une société en bonne santé.

Michèle Chabelski

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