Au sortir de l’église. Quelque part en Afrique. Paul de Normandy.

Comme chaque dimanche, la messe. J’y ai mes petites habitudes de vieux paroissien. J’y retrouve les fidèles, je m’assieds toujours à la même place, et même lorsque j’arrive avec quelques minutes de retard et que l’église est déjà comble, « ma » chaise est toujours libre. J’envisage d’ailleurs de graver mon nom sur son dossier ou d’y coller un sticker « France » et d’en faire ainsi une emprise diplomatique. (humour hein…)

Aujourd’hui, la messe est donnée par trois prêtres : il y a comme d’habitude le padre Burkinabé et son camarade Nigérian, mais c’est l’aumônier catholique Suédois qui préside la célébration, en anglais, et pour l’occasion, quelques compatriotes l’ont accompagné et ont donc osé s’aventurer en dehors du camp de leur bataillon, en terra incognita.

Comme toujours, l’ambiance y est excellente et cela m’émeut toujours de voir des fidèles d’autant de pays et de cultures si différentes communier dans le même esprit, échanger quelques mots, en français ou en anglais. Finalement, tous autant que nous sommes, nous n’avons rien d’autre en commun que notre religion. C’est un fil invisible qui nous unit solidement les uns aux autres, un patrimoine commun. C’est peut être malheureux mais c’est ainsi : sans ce lien spirituel qui nous relie tous, nous n’aurions pratiquement aucun autre contact que professionnel, et cela déshumaniserait tous nos rapports.

J’ignore précisément combien de nationalités sont représentées ici, en ce lieu, aujourd’hui. Une quinzaine peut être. L’universalité de l’église n’est pas que rhétorique. C’est une réalité tangible.

A la sortie de la messe, je tombe sur P., un camarade Suédois, dans la mission depuis 2 mois. Un type très chaleureux, jovial et contrairement à bon nombre de ses compatriotes ici… humble et ouvert sur les autres. Il parle un Français encore un peu hésitant, alors il préfère s’exprimer en anglais, en tout cas avec moi.

Je le salue et lui lance : « J’ignorais que tu étais catholique ! ».

« Moi aussi ! » me répond-il dans un grand sourire.

En fait, il m’avoue ne pas être vraiment religieux, malgré une éducation protestante.

Mais il aime malgré tout, parfois, assister à des offices, surtout ici. Ça lui fait du bien, ça lui apporte une certaine quiétude, et sérénité. Et apprenant qu’aujourd’hui la messe était dite par l’aumônier Suédois, il s’est aventuré en terre catholique, alors qu’habituellement, il est culturellement plus attiré par les offices protestants. Mais peu importe l’église, ajoute-t-il, ça lui fait du bien, comme à nous tous, croyants, moins croyants et non croyants.

Nous nous dirigeons vers le bureau, situé à une dizaine de minutes de marche et nous en profitons pour échanger sur divers sujets, ce qui est finalement assez rare étant donné la densité des missions. J’ai des collègues que je ne croise pratiquement jamais et avec lesquels je ne suis en contact que par radio. Et comme partout ailleurs dans le monde, la sortie d’une église est une occasion privilégiée pour discuter un peu.

P. habite dans la banlieue de Stockholm, dans une petite ville au nom imprononçable, et tintant aux oreilles comme une référence Ikéa. Il a une quarantaine d’années, marié avec une jolie blonde (so cliché…), et papa de deux petites jumelles magnifiques qu’il est tout fier de me présenter en photo : elles sont blondes aussi, comme la maman. Je le taquine avec ce détail. La marque du made in Sweden !

Nous discutons de tout et de rien ; nos familles, nos parcours, nos vacances, nos projets, etc. Et puis peu à peu la conversation dévie sur la politique. Toujours très prudent lorsque ces sujets sont abordés, je préfère laisser à mon interlocuteur l’honneur de dégainer le premier, ça me permet de savoir à qui j’ai affaire et d’éviter de le froisser avec mes positions pas toujours très orthodoxes, ni politiquement correctes et ne collant que rarement avec les tendances et les modes du moment.

Mais percevant, dans une sorte d’intuition difficilement explicable, que nos opinions convergent sur pas mal de sujets, je lui lance : « Tes filles sont en tout cas bien plus jolies que Greta Thunberg, l’actuelle superstar Suédoise, qu’on voit partout et qui va bientôt détrôner le Dalaï Lama au rang des personnalités les plus écoutées et respectées. Ridicule, non ? » Sourire suivi d’une moue dépitée et désapprobatrice.

Il lève les mains qu’il laisse retomber lourdement : geste d’impuissance et de désolation. J’ai fait mouche…

Il m’avoue être déçu par la direction que prend la Suède. Autrefois, me dit-il, ce pays était un exemple de tolérance, de débats, d’ouverture sur le monde, et la liberté d’expression y était totale. Maintenant, et de plus en plus, et comme partout ailleurs en Occident, on ne compte plus les sujets tabous. C’est le cas de l’immigration, sujet sur lequel plus personne n’ose débattre, et puis les questions environnementales aussi. Comme tout Suédois de son âge, il me dit qu’il a été élevé dans un esprit d’ouverture et de raison. Longtemps, la Suède a refusé tout dogme, toute idéologie, appliquant chez eux, ce qui fonctionne le mieux ailleurs.

Ainsi, ce pays a su prospérer en appliquant tantôt le libéralisme, tantôt le keynesianisme. Attitude d’un peuple éduqué, raisonnable, pragmatique et qui refuse d’appliquer religieusement un courant de pensée en rejetant, par principe, tous les autres. Les choses changent me dit-il. La Suède est en train de sombrer dans l’idéologie.

La conversation se poursuit une fois arrivés au bureau.

J’avoue que c’est en effet, l’image que son pays renvoie actuellement, non seulement par l’attitude très particulière de son contingent ici, mais aussi par cette image de donneurs de leçons qui émanent d’eux. Même si je reconnais que dans le domaine, la France est également championne.

La différence, lui dis-je avec le sourire, c’est que nous n’avons pas encore envoyé une gamine de 12 ans convertir le monde à notre façon de voir les choses.

Il rit. En Suède, me m’assure-t-il, elle est loin de faire l’unanimité, mais il devient de plus en plus difficile d’émettre la moindre critique sur ces sujets et de remettre en doute les idées qu’elle véhicule. C’est une attitude fort peu scientifique, fort peu Suédoise en somme…

Lui comme moi, nous ne sommes pas experts en la matière, mais nous voici confrontés à une situation bien particulière : le monde scientifique n’est pas encore parvenu à un consensus, alors comment voulez-vous que le commun des mortels se fassent une opinion éclairée ? Le propre du scientifique, c’est de douter, de nuancer. Or, nous tendons à perdre cette possibilité. Ceux qui estiment avoir raison et condamnent ceux qui ne pensent pas comme eux, posent les ferments d’un nouveau totalitarisme. Nous sommes bien d’accord.

En plaisantant, je lui dis qu’un jour arrivera, où les enfants dans les écoles seront invités à dénoncer leurs parents lorsque ceux-ci seront coupables d’une attitude jugée contraire aux directives du parti, tout comme le faisaient les Khmers rouges au Cambodge il y a 40 ans.

Ça ne le fait pas sourire du tout ça…

Ce qui pour moi ne reste qu’une fiction semble devenir une réalité en Suède. Je suis assez stupéfait.

Il me parle alors du « Flygskam », cette mode bobo suédoise qui consiste à boycotter le transport aérien pour lutter contre ce que l’on présente comme le réchauffement climatique. Auparavant, les gens boycottaient, mais respectaient la liberté des autres. Cette tolérance est en train de disparaître au profit d’une nouvelle tendance : dénoncer ceux qui prennent l’avion, les rendre responsable de la situation, et les condamner de plus en plus publiquement. C’est délirant!!

Ainsi, dans l’école de ses filles, on demande aux enfants si leurs parents prennent l’avion ou non, et plus globalement, s’ils sont « éco-responsables », pour reprendre un terme issue de la novlangue écolo-débile.

Un tableau, mis régulièrement à jour, est réalisé. Sur celui-ci figurent les habitudes, bonnes et mauvaises (traduisez écologiques ou non) de chacune des familles représentées. Et mission est donnée aux bambins de convertir les parents déviants… C’est incroyable, me dit-il. « Nos enfants sont manipulés ! » Il poursuit : « Lorsque je me suis préparé pour venir en mission ici, mes filles étaient tristes non pas parce que j’allais les quitter pour 12 mois, mais parce que j’allais prendre l’avion pour venir, et qu’elles avaient peur des réactions de leurs camarade à l’école et de leur institutrice!!! Nous sommes devenus fous!!»

Il ignore s’il s’agit d’une initiative de l’enseignante, très engagée à gauche politiquement, ou bien d’une pratique généralisée dans les écoles suédoises. Ce n’est en tout cas pas un cas particulier apparemment… C’est terrifiant.

Ainsi donc, nous y sommes… Prochaine étape, les camps de rééducation ou les TV reality show où les incrédules devront faire publiquement repentance devant un tribunal populaire composé de gamins à qui on aura lavé les cervelles?…

Paul de Normandy

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