L’essentiel et l’accessoire. Chabelski Michèle

Nous sommes la dernière génération dont les gènes sont balâfrés par la Shoah.

Nous sommes la dernière génération à être issus de parents directement fracassés par la Shoah.

Nos enfants ont connu leurs grands parents et savent ce que veut dire la Shoah.

Nos petits enfants l’apprendront en cours d’histoire et quelqu’un à la maison leur dira qu’un arrière grand père était un rescapé ou qu’une arrière grand mère y a été sacrifiée.

Ça leur fera à peu près le même effet que si on leur explique qu’un aïeul est mort d’un accident de calèche.

Mais les gens de ma génération ont, inscrite dans leur chair et dans leur histoire, cette monstruosité dont ils ont directement subi les conséquences.

Je ne remue pas la boue à mains nues par masochisme un matin de printemps, mais parce qu’une de mes amies m’a raconté sa bouleversante histoire.

Médecin, épouse heureuse, mère et grand mère comblé, elle zèbre souvent l’espace de son rire tonitruant.

Mais elle raconte parfois son parcours d’enfant post catastrophe.

Elle est née après la guerre et a connu une enfance choyée entre des parents aimants qui passaient le plus clair de leur temps à travailler.

Mais elle a toujours su qu’elle était née sur les cendres d’une famille partie en fumée dans un camp de la mort.

Son père était marié, père d’une petite fille.
Sur dénonciation, la famille sera déportée.

Ne reviendra que le père, sa femme et sa fille assassinées à leur arrivée au camp.

Il se remariera, fondera une nouvelle famille, aura une autre fille.

Et c’est là qu’on se demande sous quelles strates de douleur se trouvait cette étincelle de vie, ce brandon encore crépitant qui a permis de rallumer l’envie de vivre et de se construire un destin transcendant le malheur..

Et c’est là qu’on se demande quelle détermination, quelle énergie, quelle sagesse leur a permis de puiser au fond d’eux-mêmes cette capacité à aimer sur les éboulis d’une vie émiettée.

Et c’est là aussi qu’on se demande comment s’est structurée une jeune femme sur la mémoire d’une enfant arrachée , sur les souvenirs d’un amour fracturé sur l’inhumanité.

L’innocence de l’enfant se cogne nécessairement au souvenir muet parfois verbalisé des années plus tard , et qui mettra en lumière cette ambivalence d’un père cicatrisant une plaie ouverte dans un amour infini pour cette famille qui redonnera un sens à sa vie.

Mon père racontait en boucle le supplice d’une de ses nièces et sa souffrance ajoutait une note de culpabilité à ma douleur de le voir encore si malheureux et d’être incapable d’effacer cette lacération .

Mais l’amour a des vertus thérapeutiques insoupçonnées et le coeur cette aptitude à se reconstituer magré des blessures qu’on pensait inguérissables.

Car le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire
chantait Jean Ferrat.

Mais il sèche aussi en entrant dans l’intime sur des plaies qui se referment doucement, réparées par un instinct de survie irrigué d’amour.

Je sais.

Tout a été dit, chanté, écrit, filmé, une page d’Histoire s’est refermée, mais une phrase au détour d’une conversation anodine l’a entrouverte et j’ai mis un oeil dans cette malle sombre des souvenirs qui n’en finiront jamais de piquer.

Voilà.

Je range ce livre dont j’ai fait un instant voleter la poussière, les larmes sèchent plus vite en écoutant des rires d’enfants . La vie reste la plus forte ! Le Haïm!

Je vous embrasse

Michèle Chabelski

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