Et puis la vie reprend ses droits, de Michèle Chabelski

Bon dimanche.

Le décès de Marceline Loridan-Evans signe la disparition de presque tous les rescapés..

Et grâces lui soient rendues d’avoir témoigné sur ces années d’horreur qui ont façonné les déportés et ont ajouté à leur patrimoine génétique cette irrévocable constante: déporté.

Bruns, blonds, grands, petits, les yeux clairs ou le regard de braise, les déportés ont vécu toute leur vie cette scarification de leur cœur et de leur âme.

Et ce qu’il y a de frappant dans le témoignage de Marceline, c’est la description de la déshumanisation de ces êtres torturés et dénutris qui avaient perdu autant de poids dans leur corps que dans leur âme…

Elle explique que le capital affectif était lourdement lésé dans un monde où la peur et la faim étaient des données devenues animales qui gommaient les souvenirs et les émotions…

Elle décrit la traque du morceau de pain, la nécessité de laper les quelques gouttes du brouet unique, sans cuillère,comme un chien.

Et raconte avec humour que cette humiliation avait conduit Simone Veil à quitter  les restaurants  où elle déjeunait,une cuillère glissée dans son sac de ministre…

La solidarité n’était que sporadique…

Le corps réclamant sa part de carburant régnait en despote absolu … L’esprit agissant essentiellement comme un outil propre à assurer la survie…

Et la terreur taraudante achevait la désertification mentale…

Il n’existe pas de profil type de rescapé.
Ceux qui ont survécu ont répondu à des critères qui resteront à jamais des mystères..

La mort de Marceline et les extraits relus ici ont reactivé cette lancinante question: comment ont ils fait pour vivre après ?

Mutilés, brisés,émiettés, où ont ils trouvé la force surhumaine de reconstruire un homme avec des cendres encore chaudes ?

Mon père avait parfois des crises de  souffrance qui nous faisaient craindre le pire.
Il appelait sa mère, ses sœurs, ses nièces et ne nous voyait plus, ivre de désespoir au bord d’un gouffre qui l’attirait irrésistiblement.

Puis le calme revenait, il recommençait à raconter des blagues dont il riait si fort qu’il avait parfois du mal à exprimer la chute.

On riait  de le voir rire et surtout de voir se reconstituer ce papa qui nous faisait si peur quand  les plaies rouvertes laissaient entrevoir les lambeaux d’un passé qu’on aurait voulu lui faire oublier.

Voilà.

Certains événements réactivent des questionnements sans réponse, des souvenirs algiques, et puis la vie reprend ses droits, et je suis bien contente d’avoir dilué le poids du malheur dans les gènes de la Méditerranée, ses manifestations rieuses et bruyantes, ses étreintes et ses baisers sonores, sa frime parfois, ses cuisines odorantes et ces retrouvailles tribales où se côtoient l’amour et  quelques haines recuites sur les braises de sagas familiales héréditaires…

Fermez la parenthèse.

Que cette journée signe la joie, les rires et les cris, l’amour et l’amitié  partagés dans la cabane réelle ou symbolique de cette jolie fête…

Je vous embrasse

Michèle Chabelski

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