Le Seder comme un recommencement, par Steve Krief

Se reconstruire, le grand défi des survivants. Leur plus belle revanche. Au lendemain de la Shoah, comme le montre Joachim Schnerf dans son nouveau roman, de nombreux survivants dressèrent un mur pour se protéger.

Des couples se regardent et comprennent qu’ils y arriveront à coups de silence et d’acharnement dans le travail et l’obsession du mieux être de leurs enfants. Jusqu’à ce que le silence du dis-paru devienne insupportable pour l’autre membre du couple confrontant sa solitude, le mur de l’histoire qui se lézarde et le besoin de transmettre plus à ses petits-enfants qu’à ses enfants. C’est cet univers complexe que nous raconte Joachim Schnerf autour du rescapé vieux Salomon lors d’un Seder de Pessah, le premier en l’absence de sa femme Sarah.

L’Arche : Le Seder, est-ce la journée du recommencement ou la journée juive des fous ?

Joachim Schnerf : Le Seder est le dîner des fous, mais c’est aussi le moment du recommencement où les fous se retrouvent chaque année. Le moment que les familles apprécient, avec ces questions et plats particuliers servis. Les mêmes histoires se partagent, entrecoupées d’anciennes et nouvelles querelles familiales.

Humour et humeur noirs se mélangent dans votre livre.

Principalement chez le narrateur, Salomon. Les deux sont indissociables. Salomon est un rescapé des camps. Suite à la perte de sa femme, il ne lui reste que l’humour pour s’exprimer. Pour exprimer ce qui est indicible. Mais aussi l’humour pour essayer de survivre à cette nuit. Lorsqu’on a des familles aussi survoltées, dans le conflit en permanence, il s’agit peut-être de la seule manière viable d’aller jusqu’au bout du Seder. L’humour « concentrationnaire » est audible chez la génération des survivants, plus difficilement au sein de la prochaine. J’ai l’impression que ces tensions et la manière d’y faire face se retrouvent dans de nombreuses familles. C’est important pour aborder ces sujets-là. C’est une des facettes de l’humour juif. L’humour qui permet de survivre. Dépasser la douleur est un des piliers de cet humour.

L’histoire se déroule à Strasbourg, une ville où vous avez grandi. Y a-t-il des éléments autobiographiques dans cette histoire ?

Il n’y a personne d’identifiable. Rien d’autobiographique, si ce n’est des sensations, des impressions. Il s’agit plutôt d’un cadre et d’une atmosphère.

Ces fêtes sont des moments de grandes tensions, de déballages…

En général, les fêtes de famille, juives ou pas, qu’il s’agisse de mariage, divorce, Pessah, Noël… deviennent des lieux de confrontation. Parce qu’on est tous à table, avec des membres de la famille qu’on voit moins. Les tensions, paradoxes et caractères se mêlent et se confrontent. Parfois, ça explose.

Ces tensions ne sont-elles pas ici le fruit de l’absence ?

On est confronté dans ce livre à une double absence : Il y a l’absence de Sarah, la femme du narrateur et aussi celle du narrateur. Salomon a toujours été présent physiquement mais il a été toujours absent en tant que père. Il n’a pas su dire les choses, expliquer ce qu’il a vécu. Il tente tout doucement de transmettre ce passé à ses petits-enfants. Un saut de génération.

Un long silence dû au besoin de se reconstruire ?

Exactement. Se reconstruire personnellement. Construire une famille, une vie. Un lien de transmission se crée plus facilement avec la génération des petits-enfants, moins confrontée à l’immédiateté. La troisième génération a un rapport tout à fait différent avec la Shoah. Laquelle est à la fois une donnée historique enseignée à l’école, dont on parle assez régulièrement dans les débats de société, et une question intime. Ce sujet est traité de deux manières. C’est donc plus simple pour cette génération-là de permettre de parler de l’Histoire et des histoires de famille. D’y mêler éventuellement l’humour. Dans les années 70, ce sujet n’était pas aussi présent, ni à l’école et dans les débats, ni à la maison.

L’œuvre de Nathalie Skowronek retrace avec beaucoup de force les questions liées à la troisième génération, ce besoin de mettre les choses sur table, avec bienveillance, intelligence et sans tabou. Cela permet aussi de comprendre comment la transmission s’est déroulée dans d’autres villes que Paris. À Bruxelles pour Nathalie ou Strasbourg dans votre livre.

Nathalie montre effectivement très bien comment des milieux socio-professionnels se sont construits autour du shmattes, notamment. C’est une bonne chose de voir qu’en littérature contemporaine on aborde ces sujets. Avec des communautés très différentes, affectées à des degrés divers par la Shoah et qui sont très ancrées dans ces régions.

La transmission est-elle l’ultime défi de Salomon ?

Le fait que l’histoire se déroule à Pessah n’est pas innocent. Pessah est la fête de la question. La fête de la transmission aux plus jeunes. C’est ce qui se joue ce soir-là : Qu’est-ce qu’on transmet ? Comment le transmet-on ? Lorsqu’on a perdu l’humanité, qu’on vient de perdre sa femme, que reste-t-il de vie ? Salomon s’interroge tout le long du roman s’il pourra passer ce Seder. Pourtant, il ressent une nécessité vitale à transmettre. Il s’agit là de toute l’essence du judaïsme.

Vous citez et réadaptez de nombreux passages de la Haggadah de Pessah.

Le projet est double. Il y a un projet romanesque clair mais aussi un projet « pessahtique ». La construction du roman et des personnages font écho en permanence à la Haggadah. Même le rythme du roman. Lorsqu’on le découpe scène par scène, on a l’impression de suivre un Seder. C’est une volonté aussi esthétique et narrative de commencer au début de la Haggadah et de finir à la fin en se demandant si l’an prochain on sera à Jérusalem ?

Joachim Schnerf, Cette nuit. Éditions Zulma.

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

Soyez le premier à commenter

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*