Juifs en pays arabes : Le grand déracinement 1850-1975 Georges Bensoussan[1]. Par Sarah Cattan

Le monde arabe s’est vidé de ses Juifs en une génération, écrit Georges Bensoussan. Pourquoi sont-ils partis ? Quelles sont les causes profondes de l’exode des Juifs des pays arabes ?

Telle est la question à laquelle l’historien répond dans Juifs en pays arabes, somme impressionnante et documentée consacrée à ce sujet occulté par la conscience historique et la mémoire collective occidentale.  

Des centaines de milliers de Juifs des pays arabo-musulmans se sont comme volatilisés en une génération à peine. Ils étaient 900.000. Aujourd’hui, il n’en reste que 4.000.

C’est l’histoire de ce déracinement de communautés juives millénaires, voire bimillénaires, que Georges Bensoussan va donc analyser dans toute sa complexité, expliquant les causes profondes de cet exode qui se fit en moins de trente ans. Sans génocide. Sans massacres. Et même sans expulsions.

Qu’il s’agît de la condition de dhimmi – laquelle devient insupportable quand le monde juif découvre les Lumières d’Occident et que de cette rencontre naît une émancipation de fait par la culture, l’éducation et la langue.

Qu’il s’agît encore du fossé culturel qui se creusa rapidement entre Juifs et musulmans et devint deuxième cause profonde du départ.

Qu’il s’agît encore du conflit en Palestine. La Palestine n’invente pas une situation lourde de violence, elle la révèle. Elle ne fait qu’assombrir un tableau déjà sombre. D’ailleurs, ce n’est pas tant l’affaire palestinienne que le monde arabe ne supporte pas, mais l’émancipation en tant que telle.

Qu’il s’agît enfin du processus de décolonisation, faisant craindre à raison aux Juifs le retour de leur statut inférieur de dhimmi.

L’auteur se demandera si l’histoire aurait pu suivre un autre scénario que ce déracinement… Sans doute, répondra-t-il, si le nationalisme arabe n’avait pas pris cette orientation ethniciste, se fermant progressivement, dans les années 1920 et 30, probablement en réaction au colonialisme britannique, et se fondant sur la terre et le sang, à l’image du nationalisme allemand… Ce qui expliquera les affinités et les complicités entre nazisme et nationalistes arabes pendant la Seconde Guerre mondiale.  

Georges Bensoussan réfléchira encore aux raisons pour lesquelles cette histoire d’exode a-t-elle été occultée par la conscience historique ainsi que par la mémoire juive.

Dans Les Juifs du monde arabe. La question interdite, paru chez Odile Jacob, Bensoussan fait définitivement la peau à ce gauchisme culturel qui consiste à nous faire accroire qu’il exista un jour une idylle entre Juifs et Arabes : Pourquoi cherche-t-on à travestir la vérité, à nous faire croire que Juifs et Arabes vivaient globalement en bonne entente et que le colonialisme d’une part, le sionisme d’autre part, ont terni cette idylle ?

Et il répond, à la RTBF, ce 27 juin : C’est pour nous faire croire que ce qui a été possible jadis est possible aujourd’hui. Or l’idée d’une lune de miel entre Juifs et Arabes est une mythologie : dès qu’elles l’ont pu, la quasi-totalité des communautés juives du monde arabe ont fui. Des 250 000 Juifs du Maroc, il en reste 3000.  

Il nous raconte le farroud, cette espèce de pogrom majuscule qui se déroula à Bagdad le 1er juin 1941, et qui concerna les Juifs d’Irak. Farroud, traduit de l’arabe, c’est la destruction, l’équivalent d’un pogrom de taille considérable, une tuerie qui dura 36 heures, se lança à l’assaut du quartier juif le jour de la fête de Chavouot : des militaires démobilisés et des policiers qui vont commencer la tuerie, rejoints par la foule. Un massacre épouvantable qui fera 179 morts, 2000 blessés, 12000 sans-abri. A partir du farroud, l’heure est au départ pour les Juifs d’Irak.

L’historien nous explique, archives à l’appui, qu’on nous invente un passé idyllique dans l’espoir de se fabriquer un futur idyllique.

J’ai pour ma part rarement lu un ouvrage d’histoire qui passionnât autant et touchât un lectorat aussi varié: C’est que Georges Bensoussan nous propose là une réponse à une question d’autant plus importante que nombre d’entre nous ne se l’étaient pas vraiment posée : elle était là. Sourde. En stand by. Je fais partie de ceux auxquels on raconta une fable et qui grandirent ainsi.

Pour info, la nouveauté du livre de Bensoussan est que l’auteur puise dans une triple source : les archives de l’Alliance israélite universelle créée en 1860, les archives diplomatiques françaises et les archives sionistes à Jérusalem, lesquelles lui permettront de prouver que l’exode des Juifs des pays arabes fut un véritable nettoyage ethnique par la peur.

Pour rappel encore, chaque 30 novembre a lieu en Israël la commémoration annuelle de l’expulsion des Juifs des pays du monde arabo-islamique à partir de la fin de la Seconde guerre mondiale.

Sarah Cattan

[1] Editions Tallandier.

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4 Comments

    • Please let me recommend you the book named « Irak’s last jews » which is a collection of testimonies of the last generation of jews in Irak, Kuwait, and other Middle-East countries. Great book about unknown and uplifting stories.

  1. Etude lucide veridique qui n est pas toujours agreable a lire.je ne me suis jamais sentie acceptee au Maroc.
    On m a physiquement attaquee.
    Les juifs du Maroc ressentent des sentiments mitiges envers leur pays d origine amour mais aussi peur insecurite

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