Un verdict attendu : Abdelkader Merah sera-t-il enfin jugé complice ? Sarah Cattan

Ce soir, dans la salle Voltaire du palais de justice de Paris, sera rendu le verdict : Abdelkader Merah écopera-t-il du chef de complicité des 7 assassinats perpétrés par le terroriste islamiste du même nom.

En première instance, le frère du djihadiste toulousain avait été condamné à vingt ans de réclusion pour association de malfaiteurs terroriste, mais acquitté du dit chef de complicité, la cour ayant estimé qu’aucun élément ne montrait qu’il connaissait les objectifs visés et les crimes commis par son frère.

Ils sont 2 dans le box : le frère. Et Fettah Malki.

Le dit intellectuel et le concierge

Le deuxième, appelé le commercial du quartier, le concierge, par un des deux avocats généraux, a fourni une des armes et le gilet pare-balles utilisés par le terroriste lors des attentats de mars 2012. Celui-là, il se dit juste motivé par l’appât du gain. Regard cerné. Visage froissé. C’est le type-même du second couteau. Un zombie : Je ne me suis pas réveillé le jour du brevet des collèges, expliquera-t-il, l’air endormi, au premier jour de l’appel, lors de son examen de personnalité. On ne m’a pas donné ma chance, couinera-t-il en racontant qu’il fut recalé lorsqu’il tenta la Légion étrangère.

Alors, il s’est reconverti dans un truc qu’il aurait pu appeler : Malki Achat Revente. Drogue, voitures et tout ce que vous voudrez.

Il a fourni le terroriste. Il l’a aidé à perpétrer la tuerie de l’école juive Ozar Hatorah, le 19 mars 2012. Mais il pense avoir un alibi en or : il aurait confié, et non vendue, l’arme fatale au djihadiste … pour qu’il la nettoie, rouillée qu’elle était, après avoir passé plusieurs mois enterrée dans un jardin. Il se défend d’avoir été au courant des intentions mortifères du tueur au scooter : Mon arme, elle a été utilisée dans de mauvaises circonstances, ajoute-t-il pour ce qu’il croit être sa défense. Il pleure. Il dit qu’il est le bouc commissaire de l’affaire. Non. Ça, c’est Mariette, chez Albert Cohen…

En première instance, ce délinquant de droit commun avait écopé de quatorze ans de prison pour association de malfaiteurs terroriste. Mardi dernier, entre quinze et vingt ans ont été requis à son encontre.

L’autre, c’est Abdelkader Merah. En première instance, la cour avait estimé qu’aucun élément ne montrait qu’il connaissait les objectifs visés et les crimes commis par son frère. Cette fois, la perpétuité est requise à l’encontre de celui que l’accusation vient de qualifier de mentor. Virtuose de la dissimulation. Il est sans conteste, pour l’accusation, complice des sept assassinats perpétrés par son frère : Le nom de Merah doit être associé à une sanction ferme, car ce nom est brandi encore aujourd’hui comme une fierté par des candidats au djihad, a conclu l’avocat général Frédéric Bernardo.

Un réquisitoire magistral

Frédéric Bernardo et Rémi Crosson du Cormier se livrèrent à un réquisitoire à deux voix, les deux magistrats décrivant le parcours identique des deux frères, leur même famille disloquée, ce goût de la violence qui les unissait, et leur radicalisation en prison.

Ils décrivent Abdelkader comme celui qui se voit en intellectuel et sera le mentor qui armera le bras du tueur. Ils demandent en conséquence à la cour d’assortir sa condamnation d’une peine de sûreté de 22 ans, et préconisent entre 15 et 20 ans contre le vendeur de tout et de rien, ce délinquant multicarte qui fournit l’assassin alors qu’il avait selon eux connaissance de sa radicalisation. Ils dénoncent une communauté d’esprit, de projet et d’actions des frères Merah et demandent enfin que les deux condamnations soient inscrites au Fijait, Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes.

Il faut que le nom de Merah soit associé à une peine lourde, a tonné Frédéric Bernardo, alors que l’avocat général Rémi Crosson du Cormier, faisant référence à l’incendie de la cathédrale Notre Dame de Paris la veille au soir, indiqua d’emblée : J’ai entendu ce matin un technicien qui travaillait sur la cathédrale dire que tous ses ouvriers sont musulmans et qu’ils respectent ce lieu sacré.

C’est ça la France. La France nous regarde, ajoutera plus tard le substitut général, faisant référence à travers cette affaire à la longue et douloureuse série d’attaques terroristes subies par la France dans la foulée de celles commises par Mohammed Merah.

Les responsables des attentats des 11, 15 et 19 mars 2012 à Toulouse et Montauban ne sont pas apparus subitement : Ils ont été formés, se sont formés et ont préparé ces actes ensemble contre leurs ennemis. Il n’est pas de loup solitaire, il appartient à une meute et retourne à sa meute, pointant du doigt les cellules salafistes du milieu des années 2000 autour de Toulouse. Aidé de ses complices, Mohammed Merah s’est réclamé d’Al Qaïda , a rappelé l’avocat général, qualifiant Abdelkader Merah d’enseignant de son frère cadet : il est le doctrinaire et Mohammed Merah l’exécutant : Je n’ai pas d’acte notarié prouvant les faits, mais un faisceau d’indices, d’éléments qui permettent de reconstituer une vérité, finit Frédéric Bernardo, ajoutant qu’on pouvait être auteur d’une infraction sans en être l’auteur principal si on a aidé ou facilité dans une attitude active ou positive.

Pour le parquet général, entre Mohammed et Abdelkader Merah il y a incontestablement communauté d’esprit, communauté de projets et communauté d’action, et si le premier élément n’est pas répréhensible sur le plan juridique, les deux suivants le sont. Ce n’est pas un terroriste mais il fait partie des délinquants de droit commun qui ont leur utilité dans le dispositif, affirmèrent-ils à l’unisson, Frédéric Bernardo descendant de son estrade pour dire aux familles des victimes son admiration. Ce qui eut raison du calme de Eric Dupond-Moretti, un des avocats d’Abdelkader Merah : Quel spectacle, s’étrangla-t-il, alors que les deux magistrats, après l’avoir enjoint d’arrêter de faire des bruits de bouche et des commentaires, rappelaient entre autres comment le frère se faisait appeler Ben Laden, mais encore son dîner autour d’une pizza avec Mohamed qui venait de tuer deux militaires à Montauban, mais aussi ses accointances avec la mouvance djihadiste toulousaine, de Sabri Essid aux frères Clain, ce petit califat qui avait pris ses racines autour d’Olivier Corel.

Ils savaient, les deux avocats généraux, qu’ils devaient convaincre là où l’accusation avait échoué en 2017. Pour ce faire, ils s’attardèrent sur les faits qu’ils jugeaient constitutifs de la complicité et s’attachèrent à forger dans l’esprit de la cour un chemin vers une intime conviction : après avoir évoqué sa bibliothèque, témoin de son obnubilation pour la chose religieuse et les armes et sa tablette Archos sur laquelle les enquêteurs trouvèrent des vidéos sanglantes à côté de films de Disney tels que Shrek, ils présentèrent à dessein la journée du 6 mars 2012 comme déterminante: le vol du scooter à 16H45, en présence d’Abdelkader Merah, suivi à 18H04 de l’achat d’un blouson, que l’aîné offrira à son frère : deux éléments qui scellaient à leurs yeux la complicité. Ils y ajoutèrent la désormais connue de tous connexion au domicile de la mère Merah pour consulter la petite annonce de vente d’une moto postée par le militaire Imad Ibn Ziaten. Conclurent qu’Abdelkader Merah s’était évidemment connecté, arrêtant ce jour-là le choix de la première victime.

Tout cela devant être vu comme rattachable à la complicité par aide et assistance aux assassinats, alors imminents.

Des parties civiles magnifiques : 23 virtuoses qui honorent la profession

Ils ont parlé après les 23 avocats des parties civiles. Tous dignes. Exemplaires. Naïma Rudloff plaidera qu’il n’y a pas de loup solitaire. Pour elle, Abdelkader Merah aurait sciemment facilité la préparation des crimes de son frère en l’aidant à dérober un scooter et à acheter un blouson qui ont été utilisés lors des faits. Un Abdelkader Merah également accusé d’avoir participé à un groupement criminel affilié à Al-Qaïda prônant un islamisme djihadiste, en appliquant à lui-même et à son frère Mohammed les recommandations de cette organisation dont il possédait les enseignements et les conseils opérationnels.

Les 23 avocats des parties civiles plaidèrent comme elle la complicité d’Abdelkader Merah dans les crimes terroristes de son frère. Maître Simon Cohen, pour l’école Ozar Hatorah, tenta de raconter tout ce qu’on ne pouvait justement pas dire. Par exemple cette femme qui perdait le même jour, son mari et ses deux enfants. Ou encore les petits cercueils.

Les 23 ne furent jamais à court d’arguments. De sa proximité avec à la cellule d’Artigat à ses voyages en Egypte avec les frères Clain en revenant à sa participation à ce petit califat toulousain, ils cernèrent tous autant d’éléments constitutifs d’une complicité. De Maître Corinne Serfati qui raconta le silence dans lequel s’étaient enfermés les survivants du 19 mars 2012 à Elie Korchia, Patrick Klugman, Béatrice Dubreuil, Guillaume Denoix-de-Saint-Marc, Laure Bergès-Kuntz, Carole Masliah, Jacques Samuel ou Frédéric Picard, jusqu’à Francis Szpiner, à l’évidence une valeur ajoutée au procès et qui rappela que s’il y avait des cours d’appel, c’était bien parce qu’il arrivait aux premiers juges de se tromper. Pour tous, s’il était acquis que le tueur au scooter avait agi seul au moment d’abattre froidement des militaires et des juifs, Abdelkader Merah était le bras de Mohammed. Pour tous, il y avait bien eu un djihad en commun. Pour tous, Abdelkader Merah était présent sur le lieu du crime du militaire le 11 mars.

Que faut-il pour se forger une intime conviction ? “Vous n’avez pas besoin de savoir combien de grains de sable il faut pour faire un tas, le tas, vous l’avez sous les yeux ! affirma Maître Cohen, avant d’ajouter que les démocraties étaient mortes de ne s’être pas défendues.

Pendant ce temps…

Lui.

Même barbe.

Même tignasse.

Mêmes lunettes qu’il essuie sans cesse

Même embonpoint.

Même bouteille d’eau minérale à la main.

Même posture avachie.

Même ton mi-arrogant, mi impassible, quasi inaudible

Mêmes réponses à tout : Comme Mohamed Merah est mort, il n’y avait pas d’os à ronger. Je suis l’os à ronger, osera-t-il.

Lui et sa mère

Lui ? Fils de sa mère. La désormais célèbre Zoulikha Aziri qui ose aussi : Pourquoi mon fils est-il toujours incarcéré ? C’est Mohammed qui a tout fait ! Abdelkader n’a rien fait, il ne savait rien, et il a passé sept ans en prison !

A l’avocat qui la traite de fabrique de terroristes, elle rétorquera avec un aplomb confondant que ses fils voyageaient pour du tourisme et que son médecin était Juif. Ses propos de parloir avec Abdelkader, où elle se réjouit du meilleur cadeau que lui ait fait Mohamed, mort en martyr ? Elle esquive et raconte : Ma famille ? Normale, comme tout le monde. Un jour bien. Un jour pas bien. Mes enfants sont devenus comme ça, ça n’a rien à voir avec l’éducation. Ça n’est pas Abdelkader qui a fait l’affaire !

Elle se met même à pleurer : J’ai un enfant mort. Un autre en prison. Et moi je suis seule comme une clocharde maintenant…

Quelle honte ! entend-on dans la salle. Qu’elle se taise ! voudrait la reconnaissance de culpabilité d’Abdelkader Merah.

Le coup de maître de Maître Szpiner

Se targuant d’avoir un œil neuf sur le dossier et de voir ce que personne n’avait vu, balayant d’entrée les états d’âme des uns et des autres, décortiquant les versions incompatibles frisant le faux témoignage de l’oncle et la tante d’Abdelkader Merah pour tenter de lui construire un alibi, fût-il de bric et de broc, il demanda que fût diffusé le dialogue enregistré par la caméra GoPro de Mohammed Merah entre lui et sa première victime, celui où on entend le terroriste faire référence à son frère et expliquer qu’il va arriver…

Selon le ténor, l’accusé était bel et bien avec son frère lors de l’assassinat d’Imad Ibn Ziaten, le 11 mars 2012 à Toulouse : Voilà quelqu’un qui est désigné par la victime, qui est désigné par l’assassin, qui n’a pas d’alibi au moment des faits criminels et qui essaie de s’en forger un, résume-t-il à l’adresse de la présidente et des six juges professionnels qui l’entourent. Ce n’est pas de nature à vous faire douter et à entraîner votre intime conviction ?

Parmi les deux frères Merah, comme dans d’autres fratries terroristes, il y a le concepteur et celui qui agit. Dans la guerre conduite par le salafisme radicalisé, il y a les officiers idéologues et recruteurs, et les soldats qui vont au front, Il faut aussi que les têtes pensantes répondent de leurs actes, conclut cet autre…

Au tour de la défense : L’intime conviction ? Non ! Des preuves !

Durant 5H, tentant d’emporter la conviction des juges, les avocats d’Abdelkader Merah plaidèrent l’acquittement de leur client des accusations de complicité avec son frère. L’un argua d’une plaidoirie juridique, technique. Sans remplissage du vide, sans reconstruction des événements. Actant que leur client était un idéologue, radical, salafiste, antisémite, Antoine Vey conclut : Mais il n’a matérialisé aucun acte préparatoire visant à commettre un acte terroriste. Son client n’était en rien différent des 50 000 salafistes intégristes de France, si ce n’était … qu’il s’appelait Merah.

Avant lui, Archibald Celeyron s’était attaché à réfuter les éléments pouvant établir une complicité avec son frère.

Il était tard lorsque Eric Dupond-Moretti entra en scène et dénonça le poison de la dictature de l’émotion : La France qui vous regarde, gronda-t-il, Laquelle ? Celle des Lumières, ou celle qui veut rétablir la peine de mort ? Le seul antidote à ce venin, c’est le courage des juges, exhorta-t-il : Le courage du juge, contre ceux qui voudraient que l’on traite Abdelkader Merah “comme il le serait dans un État islamique, sans avocat, lapidé. C’est ça dont vous rêvez pour lui ? Et pour nous ? tonna-t-il encore. Si l’on condamne un homme sans preuve, fût-il un islamiste radical de la pire espèce, alors je vous l’affirme, c’est les terroristes qui auront gagné, conclut-il, après avoir répété l’absence flagrante de preuves dans ce dossier, et dénoncé que ses confrères eussent tous plaidé l’intime conviction…

Vidéo : Début du procès en appel d’Abdelkader Merah http://a.msn.com/09/fr-fr/BBVdhHe?ocid=se

Ce soir, le verdict. Un verdict à l’impact capital, en termes de procès pour terrorisme. Un verdict qui redéfinira peut-être ce qu’est la complicité.

Ce terme qui, en droit criminel, distingue le complice de l’auteur principal. Qui désigne celui qui participe à un crime ou délit commis par autrui. Celui qui favorise. Par connivence. Manœuvre. Entente. Accord.

Sarah Cattan 

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