"Le Shalet de Heine" par Salomon Malka

L’Arche, magazine du judaïsme français, publie un numéro spécial sur la gastronomie juive sobrement intitulé ” Cuisine et Tradition”.
C’est une riche idée qu’a eu Shlomo Malka, Directeur de la Rédaction. En cinq chapitres, Tradition, Repères, Littérature, Lieux, Rencontres, 29 articles ou interviews rédigés par des journalistes, par des écrivains de renom et de talent.
De belles photos, on feuillette et on s’arrête : carciofi alla Giudia, schnitzel, houmous, terfass , le pain partagé…des mots qui interpellent, qui évoquent et puis on lit et on continue de lire.
Ce n’est pas une collection de recettes, loin de là, mais un recueil de souvenirs liés à des sensations, le goût et sa persistance ouvrant un à un les casiers de la mémoire : des madeleines…en quelque sorte.
Shlomo a rédigé un édito et nous ne résistons pas à l’envie de le publier : il est intitulé ” Le Shalet de Heine “, le shalet, plat chaud du Shabbat pendant ashkénaze de la ” dafina ” séfarade.
On vous proposera dans les jours qui viennent 3 des articles du magazine pour vous mettre en appétit et vous inciter à l’acquérir.
La table juive est une histoire, une tradition et une culture.
André Mamou
Couv-657-l'Arche

L’édito de Salomon Malka

Le Shalet de Heine

Dans un poème intitulé « la princesse shabbat », extrait de Romanzero (1851), le poète Henri Heine évoque la solennité du septième jour, la beauté du « Lekha Dodi », texte liturgique du vendredi soir qu’il attribue improprement à Yehuda Halévy (on ne prête qu’aux riches !), et parle de ce plat « divin » qui reste associé à son enfance, comme un autre illustre converti s’attendrissait sur le pain recou­vert d’une fine plaque dorée de jaune d’oeuf.
« Mon bien aimé ! Fumer est interdit puisque c’est aujourd’hui shabbat. Mais en contrepartie, ce midi, tu auras en remplacement un plat qui est vraiment divin. Aujourd’hui, tu mangeras du Shalet. Shalet, belle étin­celle divine… Le Shalet est le mets des cieux, dont le bon Dieu lui-même enseigna la recette sur le mont Sinaï, là où le très-haut de même révéla les bons articles de foi et les saints dix commandements, en lançant des tonnerres. Le Shalet est du vrai Dieu, l’ambroisie cacher, la manne du paradis ! »
Le Shalet dont il est question, plat typique des juifs ashkénazes, appelé encore « tchoulent » – terme venu du français « chaud-lent », plat mitonné sur le feu depuis la veille de shabbat, n’est autre que la dafina séfarade. Ou encore en hébreu le « hamin ».
Tous les ans, depuis quelques années, une association israélienne des amis de Heine – ça existe, comme il existe une place Heine à Haïfa notamment, mais aussi dans d’autres villes –, se réunit autour d’un « hamin » géant, cette année encore avec les plus grands chefs cuisiniers.
C’est à Paris, capitale de la gastronomie, que ce juif converti – par commodité (il s’est d’ailleurs amendé à la fin de sa vie en se proclamant juif) et dont les nazis ont quand même brûlé les livres – évoque la nostalgie de la cuisine juive de son enfance. Il parle de l’ « ambroisie » qui, dans la mythologie grecque, est une substance divine, et son poème est une parodie de l’hymne à la joie de Schiller.
Nous avons voulu dans ce Hors-série consacré à la table juive, montrer que celle-ci n’appartient pas seulement au registre de la nostalgie. Cet hymne lancé par Heine, on peut en retrouver d’autres accents, d’autres varia­tions et d’autres déclinaisons. C’est ici une cantate pour la « Terfass », là une ode à l’artichaut à la juive ou à la romaine (c’est pareil), là encore un récital pour le coing et le poivron, une géopolitique du houmous qui pourrait être, selon le cas, le pois-chiche de la discorde ou la pita de la communion. On croisera la cuisine et la littérature avec le pastrami chez Singer, le cornichon chez Gary, le hareng chez Sylvie Weil, ou les « mangements » chez Albert Cohen. On lira utilement dans ce numéro l’inter­view de Jean-Robert Pitte où l’éminent géographe, prési­dent de l’Académie du vin de France et ancien président de la Sorbonne, rappelle que la terre promise est asso­ciée dans la Bible d’abord à « un pays de froment et de moût, un pays de pain et de vignobles, un pays d’huile et de miel ».
Tant il est vrai que la table juive est aussi une promesse, une histoire, une tradition, une culture. Elle se préserve, se perpétue, se transmet, se transforme, s’adapte au gré des pérégrinations. Et mérite de figurer, à pleins titres, et même en ces temps incertains, au coeur du patrimoine.
 

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