La complainte de la douleur…
Samuel ou Hubert…
Il s’appelait Samuel, et son corps était devenu un champ de bataille.
Chaque matin, avant même d’ouvrir les yeux, la douleur était déjà là. Elle ne demandait pas la permission. Elle montait des articulations comme un feu lent, s’installait dans les muscles, pulsait sous la peau.
Une douleur inflammatoire, violente, imprévisible, qui faisait de chaque geste un pari risqué. Se lever du lit relevait parfois de l’exploit héroïque, parfois de la défaite annoncée.
Samuel n’avait pas toujours été ainsi. Il se souvenait de ses mains rapides, de ses pas sûrs, de ce corps qui obéissait sans discussion. Aujourd’hui, ses mains tremblaient quand il attrapait une tasse, et ses pas se mesuraient en centimètres prudents. Le monde allait trop vite pour lui. Les gens marchaient, couraient, vivaient — pendant que lui négociait chaque mouvement avec la douleur, comme on négocie avec un tyran capricieux.
La douleur avait une voix. Elle murmurait la nuit, hurlait parfois en pleine journée. Elle lui disait : tu ne feras pas ça, tu iras moins loin, tu dois renoncer. Le plus dur n’était pas la souffrance elle-même, mais ce qu’elle grignotait autour : la patience, la dignité, le sentiment d’être encore pleinement vivant.
Et pourtant, Samuel résistait.
Il avait appris à trouver des refuges minuscules. La chaleur du soleil sur son visage, immobile sur un banc. Le silence du matin, quand la ville hésite encore à s’éveiller. Un livre posé sur ses genoux, qu’il lisait lentement, phrase après phrase, comme on traverse un fleuve pierre par pierre. Il avait appris que la lenteur pouvait être une forme de courage.
Un jour, alors que la douleur était particulièrement féroce, Samuel se regarda dans le miroir plus longtemps que d’habitude. Il vit un homme fatigué, oui, marqué, oui — mais debout. Un homme qui, malgré les tempêtes internes, continuait à choisir la vie, même réduite, même cabossée. Il comprit alors que la douleur ne définissait pas tout. Elle occupait l’espace, mais elle n’était pas l’espace entier.
Il n’y avait pas de victoire éclatante, pas de guérison miraculeuse dans son histoire. Seulement une lutte quotidienne, discrète, souvent invisible. Mais chaque jour où Samuel se levait malgré la douleur, chaque jour où il aimait encore, riait parfois, espérait un peu, était une victoire silencieuse.
Et dans ce silence, il y avait une force immense.
© Hubert Bouccara
Spécialiste de Kessel, Hubert Bouccara tient « La Rose de Java« , librairie hors-norme entièrement consacrée à l’œuvre de Gary et Kessel, et décrite par Denis Gombert comme « un lieu atypique, vrai petit coin de paradis parisien pour lecteurs passionnés ».





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