Un ensemble d’événements récents attire notre attention sur le degré de résilience des Juifs confrontés à une résurgence majeure de la haine à leur égard. La plus récente occasion où cette question s’est posée fut le vote stupéfiant qui a vu plus de 30°% des électeurs juifs de New York voter pour un candidat déclarativement hostile aux Juifs, à l’Etat d’Israël et proche des islamistes. Pour ces Juifs qui avaient toujours voté pour le parti démocrate et contre la droite, les Républicains, le sentiment d’être de « gauche », sensible aux « damnés de la terre » (le public de Mamdani), a-t-il, à ce point obscurci leur jugement qu’ils ne voient plus la menace qui pèse sur eux en tant que Juifs et pas en tant que « grande conscience morale » ?
Le deuxième fait, encore plus erratique, est le mouvement social qu’on qualifie de «protestation » (hamekha,a) qui, depuis trois ans, combat la coalition de droite élue démocratiquement, au nom de la… « démocratie », et qui a fini par englober dans l’opposition à Netanyahou une partie des protestataires du mouvement pour la libération des otages qui accusent le premier ministre d’être indifférent au sort des otages et surtout soucieux de sauver sa carrière politique.
Un autre phénomène caractérise ce courant idéologico-politique : il est mené par une élite que l’on définit comme le groupe des « ex » (les she-avarim), c’est-à-dire des retraités ayant occupé de hautes fonctions dans l’Etat, l’armée, les services secrets qui accusent le gouvernement de Netanyahou des pires travers et appellent à la dissidence, à l’objection de conscience, à l’intervention étrangère et qui – c’est prouvé – ont été soutenus (financièrement) par Biden pour contrer la coalition au pouvoir, et favoriser le démembrement du pouvoir d’Etat, des corps de métiers décisifs (les pilotes, le High tech, les médecins, la Histadrout, etc.)… Le mouvement pour la libération des otages a frappé aussi ouvertement à la porte des puissances étrangères en quête d’une issue qui excluait l’Etat d’Israël. Les documents trouvés dans les tunnels du Hamas montrent que la manifestation et l’accusation permanente du gouvernement et de son chef ont envoyé des signes de faiblesse au Hamas qui a vu dans la situation de la société israélienne une marque de faiblesse qui encourageait l’attaque qu’il commit effectivement le 7 octobre. La vie politique se réduisit ainsi pendant ces années à la chasse au « bouc émissaire», c’est à dire « Bibi », dans une confrontation opposant « antibibistes », « Tout sauf Bibi », aux « bibistes » au risque de voir planer à nouveau , après Rabin, la menace de meurtre du chef de gouvernement.
Une autre affaire fabriquée de toutes pièces a révélé l’existence de courants qui n’hésitaient pas à mettre en accusation des soldats et qui plus est des réservistes dont la contribution à l’Etat est immense, sur la base de mensonge. Je fais référence ici au scandale de la prison de Sde Teyman, qui a mis gravement en cause la procureure militaire, la presse qui avaient mis en accusation quelques réservistes accusés mensongèrement d’avoir violenté (et violé !) un terroriste prisonnier. La réaction du public fut et est toujours vive : il se sent trahi par l’Etat alors qu’il se sacrifie pour sa défense. Comment imaginer que l’Etat puisse mettre en danger des soldats en les exposant à la vindicte internationale et les accuser mensongèrement de ce dont les accusent l’ennemi et l’antisémitisme pseudo juridique de la Cour de justice internationale ? Les gradés de l’armée cherchent-ils à donner des preuves par avance aux juges de la CPI qui les pourchassent dans le monde entier (on arrête des soldats israéliens accusés de pratiquer le « génocide » et de commettre des crimes de guerre), une accusation non fondée menée par un juge pakistanais de cette cour dont la respectabilité fut plus tard – ironie de l’histoire- contestée, sous l’accusation de violences sexuelles?
Mais ce phénomène que nous tentons de cerner est corroboré par un phénomène de société autrement plus massif : l’émigration des Israéliens, dans cette période difficile.
Le taux de croissance de la population israélienne a connu en effet une baisse significative en 2024, passant de 1,6% en 2023 à 1,1%, selon un rapport publié par la Knesset et le Bureau central des statistiques. Cette diminution est principalement attribuée à une augmentation importante de l’émigration, conséquence de la « situation sécuritaire complexe ». En 2024, 82 700 personnes ont quitté le pays tandis que seulement 23 800 sont revenues. Cela concerne des jeunes générations des 25-44 ans. Cette tendance marque une accélération significative par rapport aux années précédentes : entre 2009 et 2021, la moyenne annuelle d’émigration était de 36 000 personnes. Le chiffre a bondi à 55 300 en 2022, soit une augmentation de 46%, avant d’atteindre 82 700 en 2024, représentant une nouvelle hausse de 50%.
En 25 on compte 160 000 expatriés, 40% en Europe. En liste d’attente au Portugal on compte 100 000 Israéliens. A Berlin, 50 000 en 24 contre 10 000 en 23. En somme, Israël qui avait le plus fort taux de croissance de l’OCDE (nombre d’enfants par couples), connait, avec la crise que nous analysons, un déclin de ce dynamisme démographique.
Ces données, au départ disparates, témoignent ainsi d’un fléchissement dans la volonté et la capacitéd’assumer les défis que rencontre l’existence d’Israël au prix des sacrifices qu’elle demande. Les expatriés se réfugient à Berlin ou New York pour retrouver la même situation – sous d’autres modalités, certes – qu’ils fuient en Israël. Cela rappelle la blague juive : deux bateaux se croisent en Méditerranée orientale, l’un venant d’Israël, l’autre voguant vers Israël, une seule clameur monte des deux bateaux dont les chemins se croisent : « Vous êtes fous ! ».
Cependant, si la situation que nous analysons est vraie, on ne peut négliger un phénomène sociologique constatable à l’évidence : le retour massif au judaïsme ( dans le sens « traditionnel ») de la jeunesse israélienne, celle qui a fait des mois et des mois de « réserve » militaire depuis deux ans et qui a trouvé dans les symboles du judaïsme un vecteur d’identification et de socialisation, de fraternité qu’elle ne trouvait plus dans la symbolique israélienne originelle et dans un sionisme qui avait perdu son appel spirituel, nécessaire pour « faire nation. » On est confronté ici à deux tendances contradictoires qui se tournent le dos : ceux qui s’éloignent pour fuir le poids du danger vital qui pèse sur Israël et ceux qui restent et font masse dans une entr’aide remarquable pour faire face à la réalité ébranlée: la haine délirante qui sévit de par le monde. Entre le repli illusoire sur la diaspora et le gravissement de la colline de Jérusalem pour continuer la marche d’Israël et surtout se mettre au travail pour accoucher d’un nouvel Israël. Tout est à refonder !
Je gravirais un échelon dans cette réflexion sur la résilience d’Israël en mettant l’accent sur sa situation stratégique sur le plan international qui nous permet de resserrer l’analyse encore au plus près de la réalité. On ne peut s’empêcher en effet de mettre en rapport la victoire militaire d’Israël sur 7 fronts, que revendique avec raison Netanyahou, et la faiblesse de sa profondeur stratégique, elle, objective. Israël est un petit pays sur le plan des ressources humaines. Bien qu’ayant vaincu le Hamas, il doit s’en remettre aux USA aujourd’hui pour négocier sur le terrain. Ces derniers défendent par ailleurs leurs intérêts et s’apprêtent à vendre à la Turquie et à l’Arabie saoudite des avions dont seul Israël avait l’usage dans la région, ce qui bouleverse son efficacité militaire au Moyen Orient. Enfin, les Américains déclarent au Conseil de sécurité que le chemin qu’ils ouvrent conduira à un Etat palestinien une fois que l’Autorité palestinienne se sera réformée, une promesse qui ne s’inscrit pas du tout dans le plan d’Israël post-Oslo.
Dans la situation que nous décrivons, les failles sur lesquelles nous mettons l’accent témoignent donc de la persistance d’une faiblesse, même dans la victoire, une donnée que nous identifions à la défaillance du sentiment de souveraineté dans le peuple juif. Le concept de souveraineté est en effet le plus adéquat pour comprendre et développer les situations que nous avons évoquées qui, toutes, donnent à penser que c’est la faiblesse du sentiment de souveraineté qui est le problème, un état d’esprit qu’il faut cultiver et qui fait beaucoup défaut aux Juifs comme peuple, et qui va à l’encontre de la tentation de s’en remettre aux autres, fussent-ils des amis, pour assurer son destin. Un grand effort moral et intellectuel nous attend…
Am Israel Hay !
© Shmuel Trigano, Professeur émérite des Universités

tout cela est finement analysé. Merci.
Une formidable synthese de S Trigano , le peuple d Israel a changė depuis le 7/10 , nous marcherons vers une souverainetė juive encore plus fort car nous venons de recevoir une leçon cuisante .
Merci Shmuel,belle analyse, sauf deux points
1. je ne comprends pas ce que vous appelez victoire sur le Hamas, vu qu’il n’y a pas eu de territoires conquis, et que le Hamas est sortir renforcé politiquement
2. La souveraineté, qu’entendez-vous par ce terme ?
Je vous invite à lire ces 3 articles où ses points sont discutés https://www.tribunejuive.info/category/roland-assaraf/ votre avis m’intérèsse.