Refuser l’ostracisme touchant les artistes et les chercheurs israéliens. Par Dominique Schnapper, présidente du MahJ

Dans le cadre de sa politique scientifique, le Mahj coorganisait le colloque « Les histoires juives de Paris (Moyen Âge, Époque moderne) » réunissant 25 chercheurs à la Bibliothèque de l’Arsenal le 15, et au musée le 16 septembre 2025.

Constatant le désistement de cinq intervenants dans les semaines précédant ce colloque conçu de longue date, le mahJ a publié, le 10 septembre, un communiqué pour regretter ces désistements. Ce texte ne visait pas à dénigrer les intervenants concernés, qu’il ne nommait pas, mais relevait le caractère sans précédent de leur décision dans l’histoire du musée. 

Dans les médias et sur les réseaux sociaux, cette initiative a suscité de nombreuses réactions, parfois violentes, à l’égard des « désistants ». Or, si leur position peut être discutée, pour autant nous déplorons sans réserve la stigmatisation subie par certains d’entre eux. La vindicte n’a pas sa place dans le débat démocratique. 

Par ailleurs, le MahJ a été vivement critiqué par des universitaires reprochant au musée d’avoir rendu public le désistement de leurs collègues. Aussi m’apparait-il nécessaire d’apporter des précisions sur la position de notre institution.

Contrairement à ce qui a pu être affirmé, nous n’avons jamais prétendu que ces intervenants auraient « appelé au boycott » du colloque : nous constatations en revanche un « boycott de fait » qui, s’il relevait de décisions individuelles diversement motivées, n’en constituait pas moins une forme de position collective.

Certains intervenants nous ont reproché d’avoir dévoilé leurs correspondances privées, or il n’en est rien. En revanche, le communiqué du musée tentait de rendre compte des positions de ces intervenants, leur défection ayant une incidence publique sur la tenue du colloque.

Plusieurs associations d’historiens (AHMUF, H2C, SoPHAU, APHG) ont estimé que le communiqué du MahJ avait eu pour conséquences de porter atteinte à la liberté d’expression de ces chercheurs. Or critiquer une position ne signifie pas qu’on l’empêche de s’exprimer. En outre, si des membres de l’École des hautes études en Sciences sociales (EHESS) ont pu, en novembre 2024, voter une motion demandant « que nos institutions de recherche et d’enseignement se gardent de tout partenariat avec des établissements ou des fournisseurs israéliens » (texte toujours accessible sur le site internet de l’EHESS et dont se sont prévalus certains intervenants à notre colloque), on ne peut contester à d’autres chercheurs et responsables institutionnels le droit de publier un texte défendant une position différente, sauf à revendiquer une conception à géométrie variable de la liberté d’expression.

Par ailleurs, ces associations ont déploré la remise en cause de la liberté académique dans cette affaire, or la position exprimée par les chercheurs s’étant désistés ne relève pas de la liberté académique, mais de la liberté d’expression. En effet, après avoir accepté de participer au colloque, ceux-ci se sont dédits pour des motifs politiques (en raison notamment de la présence de logos d’institutions académiques israéliennes) et non pour des raisons scientifiques. Ils sont parfaitement libres de le faire, mais leur décision peut à bon droit être débattue politiquement.

Certains intervenants ont déclaré vouloir maintenir des relations scientifiques avec les universitaires israéliens tout en refusant toute collaboration avec leurs institutions de rattachement. Cette position nous semble relever du vœu pieux, tant il est difficile de dissocier l’échange individuel avec un chercheur de la collaboration avec l’institution à laquelle il appartient. 

Qui plus est, nous réaffirmons notre attachement au maintien des relations avec les institutions académiques israéliennes, quelles que soient les critiques qui peuvent être formulées sur la politique de leur gouvernement. De notre point de vue, rien ne serait plus délétère que d’ostraciser les chercheurs israéliens.

Or c’est précisément ce que l’on constate depuis le 7 octobre 2023, de façon plus ou moins rampante. Ainsi en Europe, les invitations d’artistes israéliens se sont pratiquement taries dans les événements culturels de toute nature, où leur présence était jusque-là significative. Il en va de même pour nombre d’universitaires. Quant aux archéologues israéliens, ils n’avaient pas le droit de mentionner leur rattachement institutionnel sur les formulaires d’inscription au congrès de l’Association européenne des archéologues (EAA), organisé en septembre dernier à Belgrade. Fort heureusement, cette disposition a suscité un tel tollé que l’EAA l’a finalement annulée. 

Le dernier avatar de ce phénomène concerne la sociologue Eva Illouz, directrice d’études à l’EHESS, déprogrammée d’un séminaire auquel elle était conviée le 21 novembre par l’université Erasmus de Rotterdam, au motif qu’elle a enseigné par le passé à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Comme nous l’écrivions le 10 septembre, nous devons refuser, conformément à la tradition de la République des Lettres, l’ostracisme qui vise les chercheurs et les artistes.
 

© Dominique Schnapper, présidente du MahJ

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5 Comments

  1. Je suis peut-être un peu simple d’esprit, mais je ne comprends pas en quoi le boycott de scientifiques israéliens, historiens en occurrence, relève de la liberté d’expression ou, encore moins, de la liberté académique. Mme Schnapper doit bien sûr s’exprimer avec diplomatie, on le comprend. Pour moi cependant, le comportement des boycotteurs est soit de la lâcheté soit de l’antisémitisme. Ou bien le deux.

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