Chaperon rouge. Par David Castel

Elle n’avait rien d’une criminelle, du moins pas encore. Les photos d’elle, sur Internet, racontaient autre chose : des sourires calibrés, des plages, un soleil qui ne tombait jamais. Et pourtant, ce mardi d’octobre, dans le couloir beige du tribunal de Petah Tikva, elle avance pieds nus dans ses baskets roses, la chaîne tirant sur la cheville comme un souvenir. La caméra des chaînes locales glisse sur ses pas, et chacun d’eux semble dire : « Je ne comprends pas ce que je fais là. »

Tout commence quelques jours plus tôt, dans un appartement climatisé. L’air y est épais, la drogue a la douceur pâteuse des après-midis sans lumière. Ils sont quatre, dont elle. Les conversations sont molles, les gestes ralentis. Et puis une phrase — courte, banale, trop banale pour ne pas être fatale : « Il arrive, il veut s’en prendre à toi ». Ce n’est pas une menace, c’est un déclencheur. En hébreu, la police appelle ça « kippa adouma » — littéralement chaperon rouge. Un piège amical. On invite la proie sous un prétexte de tendresse. On referme la porte.

L’homme arrive. Il ne sait rien. Il pense à une discussion, une réconciliation peut-être. Mais le silence qui l’accueille a la densité d’une nappe mouillée. Les regards sont tendus, l’air aussi. Un mot, deux, puis le chaos : un spray irritant, des coups, des corps qui s’entrechoquent. Cinq minutes — le temps d’une chanson, d’un verre qu’on renverse. Puis le balcon, le vide, la grille. La nuque.

On dit d’abord : suicide. C’est toujours plus simple. Le mot rassure. Il rend la mort raisonnable. Mais la médecine légale, en Israël, n’a pas de poésie. Elle mesure, compare, note. Des marques là où il n’y en aurait pas dû. Des résidus de gaz lacrymogène. Une main qui a griffé avant de lâcher. Alors l’histoire change de catégorie. Ce n’est plus une chute, c’est un homicide présumé.

Trois jours plus tard, la police frappe. Les visages sont flous, la poussière du corridor colle aux semelles. L’un d’eux parle : « On a pris, j’étais à moitié ailleurs, puis il a sauté ». Trois ont déjà des antécédents dans la drogue. L’addiction ne fait pas le crime, mais elle prépare le terrain.

Le tribunal, ensuite. Huis clos. Les journalistes attendent dehors, à la chaleur du jour. Dedans, elle, sans maquillage, fatigue propre aux gens qu’on a trop regardés. Contre toute attente, elle congédie ses avocats et demande la « s’négoria tsibourit », la défense publique — ce qu’en France on appellerait la commission d’office. En Israël, ce n’est ni un geste de panique ni une honte : souvent un choix, celui de ceux qui sentent qu’ils sont passés du côté où les gens ne leur ressemblent plus.

Le juge prolonge la détention : huit jours. Huit jours pour comprendre, huit jours pour faire tenir une version. Au même moment, le tribunal autorise la publication du nom d’un autre suspect : דוד קריכלי, David Krikhli. Son maintien en détention, lui aussi, huit jours. Motif du juge : « Pas de circonstances personnelles exceptionnelles ». Une phrase d’apparence bureaucratique, mais c’est souvent dans ces phrases-là que la tragédie se dépose, comme de la cendre.

La justice israélienne avance à pas courts, précis, nerveux. Les prolongations de garde à vue se décident par tranches, sous contrôle du juge. Les confrontations sont filmées, minutées, rejouées. On place la suspecte face au co-suspect, on relit les mots, on scrute les gestes. Pas pour obtenir un aveu — pour voir ce qui tremble. Ici, la vérité n’est pas un but ; c’est une conséquence.

Dans le jargon des policiers, « kippa adouma » n’a rien d’un conte. C’est une fiche de procédure, un code pour dire : « piège social ». Une invitation, une embuscade, parfois un meurtre. Le chaperon n’a plus de cape, seulement une notification sur un écran et la promesse d’une rencontre.

Dehors, Tel-Aviv continue sa comédie. Les terrasses débordent, les scooters griffent le bitume. Le pays entier avance vite, la justice aussi. Huit jours, peut-être plus, pour démêler la laine rouge du conte — l’invitation, la panique, le balcon. Était-ce un guet-apens ou une peur qui a dérapé ? Une mise en scène ou une chute de plus ?

Elle, en attendant, garde le silence. Dans sa cellule de Neve Tirza, elle compte les heures et les visages. On dit qu’elle ne pleure pas. Elle regarde parfois ses chaussures roses, celles de la photo qui a fait le tour des journaux. Comme si, dans leur couleur, il restait une trace du monde d’avant.

Et peut-être que tout est là : ce rose trop vif, presque obscène, au milieu des murs ternes. La dernière lumière d’une histoire qui s’est racontée toute seule, sans besoin de conteur.

© David Castel

Ex-avocat, hébréophone & parémiographe. Écrit entre deux cafés, trois procès et mille aphorismes.

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