Par Francis Moritz

« À l’avenir, chacun aura droit à son quart d’heure de célébrité mondiale », écrivait Andy Warhol en 1968. Il ne pensait certainement pas à Ahmed al-Charaa qui aura fait beaucoup mieux.
Une première fois le 7 mai 2025 – C’est avec une dérogation spéciale de l’ONU, qui manifestement fait une différence subtile qui échappe au commun des mortels, entre un premier ministre démocratiquement élu et un chef djihadiste depuis 20 ans, que le Président Macron accueillait à l’Élysées, Abou Mohamed Al Jolani devenu Ahmed Al-Charaa, précédemment Chef du mouvement djihadiste HTS, devenu Président intérimaire, auto-proclamé, après avoir imposé la terreur et la Charia à des populations persécutées pendant des années. Puis, reçu par le président des États Unis en Arabie Saoudite. Qui dit mieux ?
Enfin la consécration à l’ONU premier président syrien à y prendre la parole depuis 1967.
Le passé controversé de Ahmed al Sharaa
Il figurait il y a encore peu, sur les listes des terroristes. Après avoir mené le djihad en Irak sous la bannière d’Al Qaeda et sous le nom d’Abou Mohammed al Jolani, il revient à Idlib.
En 2013 des massacres ont eu lieu dans la région côtière de Lattaquié parmi les villages alaouites, assassinant hommes, femmes et enfants.
Selon des ONG come Human Rights Watch, Al Nosra était directement impliqué sous l’autorité du président auto proclamé, ex-djihadiste, dirigeant suprême de la région d’Idlib. Les communautés druzes ont elles aussi subi ces pogroms, on a dénombré au moins 250 victimes. A nouveau, il y a quelques semaines, causant plusieurs centaines de victimes à Souweida, district Druze. Ce qui a entrainé l’intervention d’Israël, à la demande de la communauté Druze en Israël où ils sont des citoyens à part entière. On a accusé l’Etat hébreu d’instrumentaliser cette situation. Tsahal est intervenu pour interrompre les massacres en cours et protéger cette minorité, persécutée sous Assad et depuis, sous le nouveau régime.
Invention par l’ONU du « statut de Repentis du terrorisme »
En Italie, à l’époque de la lutte anti-mafia, fut créé le statut de « repenti de la mafia ». A l’insu de tous, l’ONU a créé ce statut. Sans hésiter, certains chefs d’états, grands moralistes devant l’Éternel, l’ont immédiatement adopté. De sorte qu’on peut désormais passer d’un statut à l’autre, sans être inquiété par un mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale. Il y a désormais deux catégories de criminels de guerre, selon les besoins de la CPI et de l’ONU.
Le syndrome de Damas ou comment le chef djihadiste est désormais le Sauveur de la nation
On ne peut pas ne pas être surpris de la précipitation avec laquelle celui qui était encore chef djihadiste avec son lourd passé est devenu en quelques semaines le sauveur national aux yeux de la communauté internationale : L’ONU qui lui a accordé un sauf conduit y a contribué, la France aussi, qui a déroulé le tapis rouge pour l’accueillir, enfin le président américain qui l’a reçu. Ce qui pose aussi la question éludée par tous ces intervenants : Mais où donc sont passés les criminels de guerre ? Que sont devenus les terroristes d’hier ? D’autant que le gouvernement intérimaire est très largement composé de ses anciens compagnons de route, tous nourris par la même idéologie djihadiste pendant des années. L’expérience des Occidentaux après le retrait catastrophique d’Afghanistan incite à la plus grande prudence. On a voulu évincer les soviétiques pour finalement contribuer à la formation de terroristes qui se sont retournés contre leur soutien. Le départ de Kaboul a eu la même tonalité de défaite que le retrait Américain de Saïgon.
La position de la Syrie envers Israël
On lit que les deux pays seraient « sur le point » de conclure un accord sécuritaire, et qu’il ne resterait que 15 à 20% des modalités à régler. Précisément, le diable est toujours dans les détails, surtout lorsqu’il y a matière à suspicion mutuelle, les Syriens se référant au plan de désengagement de 1974 pour l’actualiser. Ce qui ne résout pas tout. Sur la base de l’expérience passée, Israël doit s’assurer qu’en aucun cas son front nord ne puisse redevenir actif contre sa population. De plus la situation du gouvernement intérimaire vis à vis des minorités reste peu clair et très hésitant.
Le régime semble avoir donné des signes réels de se libérer d’avec Téhéran, en arrêtant des livraisons d’armes destinées au Hezbollah, dans sa lutte contre l’EI, de vouloir mettre fin au trafic de Captagon. Dans cette conjoncture, Jérusalem veut conserver plusieurs positions de sécurité en territoire syrien et disposer d’un couloir de communication (humanitaire, médical) avec l’enclave druze.
Le rôle de Washington
Au-delà, on évoque la possibilité d’un accord plus substantiel sous garanties américaines, imposé par Washington, comprenant la levée des sanctions encore imposées à la Syrie et selon le plan ultérieur de D. Trump, qui manifestement veut mettre sur pied un nouveau cordon sanitaire et politique autour de l’Iran. La Syrie et le Liban en font partie et le préalable sera la conclusion d’accords avec Israël, pièce centrale dans le dispositif américain – sinon de paix, au minimum sécuritaires sous contrôle américain. Si le président américain a voulu rencontrer le responsable syrien, ce n’était certainement pas pour organiser une partie de golf.
Le rôle des États-Unis sera déterminant dans l’évolution, car au-delà des méfiances encore vivaces entre les 2 pays, un accord plus large pourrait devenir un atout économique important qui ne pourrait que favoriser la reconstruction du pays et une reprise économique. Ce que Damas ne peut ignorer.
Les défis qui s’annoncent
Le désir de sécurité et de justice sont tels que nombreux sont les Syriens à idéaliser les figures autoritaires, à ignorer leurs défauts et à leur offrir une loyauté inconditionnelle, même si leurs promesses sont vaines et leur style de leadership immoral. Ce qui accroît le risque de retomber sous le joug d’une autre forme de dictature.
Après la formation du gouvernement, les réseaux sociaux ont reflété un mélange d’applaudissements et de fanatisme numérique, en l’absence de réflexion critique, sans parler de contestation publique, la population étant politiquement, socialement et économiquement dépassée et épuisée. L’arrivée d’Ahmed al-Sharaa, notamment au sein de la communauté sunnite, a été célébrée comme un « signe du destin sunnite ». Ce qui se traduit par un sentiment de supériorité sectaire qui alimente désormais une nouvelle génération de milices « Shabiha », une bande de voyous violents qui, via les réseaux sociaux, emploie des méthodes aussi brutales que l’ancien régime, qui procède par calomnies, intimidations et incitations.
Quiconque critique l’islamisation croissante des institutions étatiques ou réclame la justice comme condition préalable à la paix sociale est immédiatement désigné comme ennemi de la révolution ou vestige du régime. De telles voix mettent en péril l’image immaculée du « Sauveur de la Nation » dont s’est paré le nouveau président.
Ce prétendu « signe du destin sunnite » était et demeure une illusion, et c’est là que réside la véritable tragédie. Le problème en Syrie n’a jamais résidé dans l’appartenance religieuse du dirigeant, mais plutôt dans l’absence de justice et d’égalité. Al-Sharaa contribue activement à l’approfondissement des divisions sociales en favorisant la polarisation sans proposer de véritable vision d’un projet national inclusif ni d’amélioration du niveau de vie des Syriens. Il s’oppose depuis son arrivée à la forte demande de décentralisation des régions périphériques dont nord-est de la Syrie où se trouvent les forces Démocratiques Syriennes dirigées par les Kurdes. L’intégration décidée d’ici la fin de l’année de ces minorités dans l’armée centrale n’a pas encore abouti, car les minorités hésitent à déposer les armes. La Turquie (qui ne renonce pas à jouer un rôle de parrain du nouveau régime) n’a pas abandonné l’espoir de contrôler toute la bande frontière et se positionne dans cet objectif, créant un risque sérieux de confrontation par procuration avec Israël. Ce qui pose un sérieux problème concernant le contrôle du pétrole provenant des territoires contrôlés par les FDS.
Conclusion
Seule la force de persuasion du président des États-Unis et la résilience du peuple israélien ont permis qu’un plan de règlement de Gaza prenne forme. Une leçon de plus, pour l’Europe qui est totalement absente de la solution. La reconnaissance de l’État de Palestine n’est pour rien dans ce plan complexe dont la négociation était en cours depuis des semaines. En restant prudent, on peut maintenant imaginer que plusieurs états arabes et musulmans reconnaitront Israël. Enfin, un accord sur Gaza avec une libération immédiate des otages serait un formidable prémisse à des accords avec Damas et Beyrouth et d’autres. A défaut, la population gazaouie continuera à subir la punition dont seul le Hamas porte la responsabilité.
Ainsi va le monde,

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