
Le jour s’est déroulé comme une succession de secousses — petites et grandes, locales ou lointaines, mais toutes venues rappeler que l’équilibre n’existe qu’en sursis. À l’aube, un missile surgissant du Yémen, intercepté au-dessus du centre du pays, a réveillé plus d’un foyer. Peu après, de l’autre côté du globe, la terre tremblait au Kamtchatka. Comme si la planète entière cherchait à imiter notre instabilité.
Alors, où trouver un instant de répit ? Les Suédois ont un mot pour cela : « fika ». Une pause, une respiration, le temps de savourer une tasse de café et d’oublier la course folle. Ce n’est pas de l’oisiveté, mais un rituel : s’arrêter pour mieux reprendre. En Israël, le café refroidit souvent avant qu’on ait le temps de l’avaler. Les sirènes interrompent la gorgée, les nouvelles écrasent la pause. Et pourtant, plus que jamais, il faut inventer nos propres « fika », même au milieu des alarmes.
Au matin, Doha repoussait son sommet arabe. Vers midi, un drame domestique à Ashdod rappelait qu’aucune alerte ne prévient la noyade d’un enfant. L’après-midi, Tsahal prévenait encore d’évacuer un immeuble à Gaza, pendant qu’au Liban un cadre du Hezbollah s’effaçait dans ses propres ruines. En Europe, Londres devenait champ de bataille symbolique, les pancartes remplaçant les pierres. Les familles d’otages, elles, élevaient la voix — accusant le Premier ministre de saboter toute issue. Le soir venu, Jérusalem s’embrasait d’un incendie près de la résidence de Netanyahu. Et tandis que Trump serrait la main de l’émir du Qatar, Paramount, de l’autre côté de l’Atlantique, publiait un communiqué inattendu : le cinéma ne sera pas réduit au silence.
Ironie de ce monde : même la terre au Kamtchatka choisissait ce jour pour trembler, comme pour dire à Israël — tu n’es pas seul dans ton instabilité. Dans ce tumulte, « fika » devient une question : où ralentir, où reprendre souffle ? Peut-être dans une salle obscure, devant un écran géant.
Le cinéma, c’est un « fika » collectif. On s’assoit, on s’immobilise, et pendant deux heures, on accepte de n’être qu’écoute. On oublie Netflix et son confort domestique : « J’ai Netflix chez moi, mais ça n’a rien à voir », disent les spectateurs fidèles. Car dans une salle, on partage les silences et les frissons avec des inconnus. On se rappelle que l’humanité ne se résume pas à une addition de solitudes connectées.
Et c’est là que surgit le paradoxe : tandis que le cinéma nous apprend à ralentir, à écouter, certains veulent réduire au silence les cinéastes israéliens. Plus de 3 900 signatures pour transformer les festivals de Jérusalem, Haïfa ou Tel-Aviv en déserts culturels. Comme si priver le monde d’histoires allait apaiser les blessures. Paramount, en s’y opposant, a rappelé une vérité simple : le silence ne favorise pas la paix.
Le cinéma, comme la littérature autrefois, est une manière d’entrer dans les fissures du monde. En Israël comme ailleurs, les cinéastes ne sont pas des soldats ni des idéologues, mais des guetteurs, des conteurs. Les condamner au mutisme, c’est condamner le public mondial à une cécité volontaire. Et sans regard croisé, il n’y a plus de vérité possible.
Peut-être est-ce là l’ironie de notre époque : nous brandissons la liberté en muselant des voix, nous parlons de paix en fermant les portes du dialogue. À quoi sert une pétition qui efface, sinon à répéter le geste ancien des bûchers, des censures, des index ? La différence n’est qu’esthétique : au lieu des flammes, nous avons les signatures numériques.
Alors oui, Paramount a raison. La paix ne naîtra pas d’un boycott. Elle naîtra de cette obstination à laisser les histoires circuler, même quand elles déplaisent. Car ce que craignent toujours les tyrans, ce n’est pas le canon mais la caméra, non pas le pavé mais la phrase. Les Lavans passent, les Pharaons passent, les Amalek passent. Mais la voix de ceux qui racontent demeure, tenace, indéracinable.
Et peut-être qu’au fond, dans cette époque saturée de secousses, le plus bel acte de résistance reste ce geste simple : s’asseoir, se taire, regarder, écouter. Trouver son « fika » dans la lumière d’un écran.
© David Castel
Ex-avocat, hébréophone & parémiographe. Écrit entre deux cafés, trois procès et mille aphorismes.

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