Par Abnousse Shalmani
Réduire les Juifs à Israël et aux choix de Benyamin Netanyahou est une négation de l’Histoire.

« J’ai soudain pris conscience que le Juif en tant qu’humain était en train d’être effacé ». Abnousse Shalmani
« Dans ce temps qui est le nôtre, si différent du sien, ce temps où, en 2021, à Elxleben, en Allemagne, une école Anne-Frank, jugeant que son nom n’était, je cite, plus adapté aux enfants d’aujourd’hui, s’est rebaptisée Les Lutins ; où en juillet 2022, aux États-Unis, la question de savoir si Anne Frank avait ou non bénéficié d’un insupportable privilège blanc a suscité de très sérieux et très virulents débats sur les campus et jusque chez certains journalistes stars du New York Times ; […] dans ce temps qui est le nôtre, donc, le lecteur moyen de moins de 40 ans qui tomberait par hasard sur L’Écrivain fantôme n’a aucune chance de comprendre de quoi il retourne […] Car entre ce livre et lui, ce n’est pas seulement le monde qui a changé mais le passé lui-même ». C’est en lisant ce passage du brillant livre de Marc Weitzmann, La Part sauvage, qui, en racontant son amitié avec Philip Roth, tisse un récit intime entremêlé d’un essai politique et d’une réflexion sur la littérature, que j’ai soudain pris conscience que le Juif en tant qu’humain était en train d’être effacé.
Il ne s’agit pas seulement d’une déshumanisation mais d’un effacement réel, qui réduit l’homme juif à Israël dans un premier temps – et pas à un Israël historique, un Israël refuge, un Israël démocratique mais au seul Israël qui ait droit de cité aujourd’hui, le génocidaire, et pas seulement depuis la guerre contre le Hamas, non, dès son origine. Dans un deuxième temps, tous les Juifs sont Netanyahou – sans aucune nuance, faisant fi des centaines de milliers de manifestants qui s’opposent au Premier ministre et exercent leurs droits individuels contre, justement, la généralisation antisémite qui les met tous dans le même sac – à jeter « from the river to the sea ». Quant aux engagés pour la paix, aux tribunes de la diaspora pour se désolidariser de la politique israélienne, ils ne font que renforcer la rhétorique du « double jeu »– antienne antisémite – et du « trop tard » – vous êtes juifs donc coupables parce que sionistes quand même.
La fresque historique est en lambeaux
Lorsque Weitzmann nous dit qu’aucun lecteur lambda ne comprendrait rien à L’Écrivain fantôme de Philip Roth, écrit en 1979 [sous le titre L’Écrivain des ombres, NDLR], et où le narrateur pense avoir découvert Anne Frank ayant survécu à la Shoah et vivant cachée aux États-Unis, c’est que l’effacement des Juifs passe aussi par une négation historique qui relativise la Shoah en la mettant en concurrence avec le nouveau génocide, perpétré par ceux-là mêmes qui en étaient victimes, et Anne Frank n’est plus qu’une Blanche privilégiée qui mettrait mal à l’aise des enfants issus de l’immigration insensibles à sa tragique humanité – parce que juive. La fresque historique est en lambeaux.
Ainsi, lorsque Emmanuel Macron pose quatre conditions à la reconnaissance d’un État palestinien (libération des otages, démilitarisation du Hamas, renouveau de l’Autorité palestinienne et reconnaissance mutuelle avec Israël) pour, trois mois plus tard, abandonner ces conditions, il participe à un déni de l’Histoire qui lui apprendrait que le Hamas ne vit que de trêves pour préparer la guerre et que la paix signerait son arrêt de mort, et que c’est ignorer le profond sens historique et traumatique des pogroms du 7 octobre 2023.
Lorsque, en 2024, les présidentes de prestigieuses universités américaines interrogées à propos de l’antisémitisme sévissant sur les campus refusent de condamner clairement les appels au génocide des Juifs, déclarant que cela « dépendait du contexte », ou quand les trois membres de la commission d’enquête de l’ONU sur Israël-Palestine démissionnent en juillet 2025 car accusés de propos antisémites – Miloon Kothari avait dénoncé le « lobby juif » contrôlant les médias sociaux, tandis que Chris Sidoti accusait les Juifs de lancer des accusations d’antisémitisme « comme du riz à un mariage » –, tous s’inscrivent dans une négation de l’Histoire, dans un effacement conscient et inconscient de l’humanité juive pour ne garder que le présent politique, Israël réduit aux choix de son gouvernement.
© Abnousse Shalmani

Quand les Juifs sont effacés, l’Histoire aussi, c’est le moment de réagir pour ceux qui ne l’ont pas fait.Une école Anne Frank en Allemagne renommée « Les Lutins », parce que c’est plus moderne! mais Anne Frank était une jeune fille juive, avec un nom ,( même si pour les nazis nous devenions des chiffres tatoués sur nos bras) une jeune fille qui écrivait ses rêves, sur un cahier d’écolière.