Opinion:  « Netanyahou transforme l’antisémitisme en monnaie d’échange diplomatique ». Par Marc Knobel

TRIBUNE. L’antisémitisme n’est pas une carte à jouer sur la scène internationale. Le Premier ministre israélien en fait pourtant sa monnaie d’échange, estime l’historien Marc Knobel.

Dans une lettre officielle adressée à Emmanuel Macron, Benyamin Netanyahou a reproché au président français de « nourrir le feu antisémite » en France en appelant à une reconnaissance internationale de l’État palestinien. Un message similaire a été transmis à Canberra. Ce geste frappe par son contenu, le moment choisi et la logique qu’il traduit.

Dans sa lettre, Benyamin Netanyahou appelle Emmanuel Macron à « remplacer la faiblesse par l’action, l’apaisement par la volonté » et lui demande de le faire d’ici au Nouvel An juif, le 23 septembre prochain. Poser ainsi un diktat en s’appuyant sur un calendrier religieux relève d’une formulation à la fois culottée et irresponsable.

De l’alerte légitime à l’instrumentalisation diplomatique

Pour autant, qu’un Premier ministre israélien s’inquiète de la montée de l’antisémitisme est légitime, presque attendu : en Europe et ailleurs, la vague de violences, menaces et discours antijuifs observée depuis octobre 2023 est indéniable. Depuis octobre 2023, la France connaît une explosion sans précédent des actes antisémites : 1 676 ont été recensés en 2023 et
1 570 actes enregistrés en 2024, illustrant une persistance inquiétante de ce phénomène.

Pour l’année 2025, les chiffres les plus récents indiquent qu’entre janvier et mai, 504 actes antisémites ont été enregistrés en France, soit une légère décrue par rapport à la même période de 2024 (662), mais ce total reste 134 % supérieur à la moyenne début 2023. Cependant, en juillet 2025, le ministère de l’Intérieur a confirmé que le niveau des actes antisémites demeure « très élevé » en France, avec une centaine d’actes recensés pour ce seul mois, poursuivant la tendance observée depuis début 2024.

Mais en associant directement ce sursaut de haine à la position diplomatique française, Netanyahou franchit un seuil : un choix de politique étrangère se voit érigé en déclencheur de menaces contre les Juifs de France. Ce cadrage n’est pas fortuit. En reliant reconnaissance de la Palestine et antisémitisme, Netanyahou ne se contente pas de tirer la sonnette d’alarme : il transforme une tragédie sociale en instrument diplomatique. L’antisémitisme cesse alors d’être traité comme un fléau autonome, il devient une arme rhétorique destinée à délégitimer quiconque n’adhère pas à la ligne israélienne actuelle. Dans cette lecture, reconnaître la Palestine reviendrait à faciliter l’ancrage de la haine antijuive ; critiquer la politique israélienne, à encourager indirectement les agresseurs.

Les racines françaises d’un mal ancien

Pourtant, l’histoire française atteste du contraire. Les résurgences de l’antisémitisme – qu’il provienne de l’extrême droite, de mouvances islamistes, de certaines radicalités de gauche ou d’autres complotismes – n’ont jamais attendu l’agenda diplomatique de l’Élysée. Elles plongent leurs racines dans des traditions anciennes, réactivées à chaque crise : de l’affaire Dreyfus au négationnisme d’après-guerre, des attentats djihadistes aux discours complotistes contemporains, on observe une continuité qui dépasse largement les conjonctures géopolitiques. À gauche, par exemple, l’antisémitisme a trouvé ses formes spécifiques, souvent dissimulées sous un antisionisme radical où la critique de l’État d’Israël se confond avec la mise en cause des Juifs dans leur ensemble.

La recrudescence brutale enregistrée depuis l’automne 2023 doit être replacée dans un cadre plus large : guerre de Gaza, polarisation médiatique, radicalisation en ligne.

Si l’actualité proche-orientale et certaines prises de position diplomatiques peuvent jeter de l’huile sur le feu, elles ne font qu’exposer au grand jour des préjugés déjà profondément ancrés. Ce rôle de déclencheur conjoncturel ne suffit pas à expliquer l’essor de la haine : il révèle et attise des préjugés beaucoup plus anciens – présents à droite, à gauche comme dans l’islamisme radical – et qui ressurgissent à chaque crise. La haine antisémite ne naît donc pas de décisions françaises ponctuelles : elle s’y accroche et les utilise comme alibi, mais plonge ses racines ailleurs.

Entre ambiguïtés françaises et stratégies opportunistes israéliennes

Mettre au banc des accusés Emmanuel Macron ou d’autres dirigeants européens comme responsables de la montée de l’antisémitisme brouille l’analyse et détourne le débat. Cela n’écarte cependant pas la nécessité d’un examen critique de leurs choix. Emmanuel Macron n’a pas démérité dans la condamnation et la répression de l’antisémitisme : depuis 2017, il revendique une position de principe constante, plusieurs textes de loi ont renforcé l’arsenal contre la haine, l’antisionisme a été intégré à la définition de l’antisémitisme, et la lutte contre la haine en ligne s’est intensifiée.

Face aux accusations de Netanyahou, la présidence française rappelle la protection inconditionnelle des citoyens juifs, avec un durcissement des réponses répressives après le 7 octobre 2023. Pourtant, la politique menée fait l’objet de critiques récurrentes : manque de continuité, stratégies souvent réactives, absence remarquée lors de certaines séquences majeures (notamment la marche de novembre 2023), et annonces non suivies d’effets – à l’image de l’audit sur l’antisémitisme à l’école.

Si ces flottements minent la force du message français, ils n’expliquent pas l’envolée de l’antisémitisme : la responsabilité du chef de l’État ne se situe pas dans la genèse de la haine, mais dans sa capacité à répondre avec constance et clarté à ses résurgences.

Par contre, ce que révèle le geste de Netanyahou, c’est une méthode politique désormais assumée : instrumentaliser l’accusation d’antisémitisme pour faire taire toute opposition, réduire ses contradicteurs au silence et disqualifier le débat.

Cette manipulation délibérée d’un péril réel ne le combat pas : elle le banalise et en sape la gravité. Plutôt que de renforcer la lutte contre la haine, Netanyahou contribue à semer le doute sur la sincérité même de la dénonciation, donnant le sentiment que l’antisémitisme n’est plus reconnu comme cause universelle, mais brandi au gré d’intérêts tactiques.

Et tout cela se fait au détriment de l’enjeu central : les inquiétudes légitimes de la communauté juive sont instrumentalisées, détournées de leur gravité propre pour servir une stratégie politique. L’angoisse réelle des Juifs de France se retrouve reléguée au second plan, utilisée comme levier dans un affrontement diplomatique, alors qu’elle mériterait respect, écoute et action sincère.

L’antisémitisme tue, exclut, fracture les sociétés. Le combattre exige une détermination sans faille, une vigilance constante et l’abandon de tout calcul d’opportunité.

Dès lors qu’on le transforme en argument diplomatique, on court le risque de le réduire à un simple outil au service d’intérêts éphémères, trahissant l’universalité et l’urgence de ce combat. C’est toute la crédibilité de la lutte contre la haine qui s’en trouve alors affaiblie.

© Marc Knobel

Source: Le Point

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3 Comments

  1. Marc Knobel est l’un des  »chevaliers » de la croisade anti-Bibi et au-delà de tout le clan des alterjuifs hostiles au renouveau d’Israël dans sa plénitude en France.
    Ses nigauderies qui s’étalent complaisamment dans la presse anti-Israëlienne contribuent à la  »normalisation » d’un anti-Israëlisme d’état que les juifs Français paient in fine.

  2. Marc Knobel , comme tout juif de gauche qui se respecte, a contribué à la situation actuelle en ayant pour cible le seul parti qui nous soutien . En haïssant le gouvernement de droite en Israël , ils ont affaibli le pays, laissant croire à des divisions internes alors que ce n’était qu’une mousse minoritaire et agitée qui manifestait. Cela a du contribue lourdement au 7 octobre.
    Cette tribune montre que, comme toujours, il n’a rien compris ou rien voulu comprendre. Bibi a adressé 2 lettres pas 3ou 4. Une à Macron et une à Albanese, pas à l’Espagne oú a l’Irlande et pour une bonne raison. Il ne posait pas u problème diplomatique mais un problème moral et éthique a 2 pays où la haine antisémite explosait sans quel’Etat ne réagisse. Je suppose que si le CRIF ou le Consistoire avaient réagis comme il se devait !

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