Monsieur le Rabbin, cachez cette kippa que l’on ne saurait voir. Par L’Étoile de David

Je sais. Je sais que cet article fera grincer des dents.

Je sais que je vais recevoir les reproches de ceux qui, le front haut et la voix tremblante de dignité, m’expliqueront qu’il faut garder la tête couverte comme on garde la tête haute.

Je sais que certains me diront qu’on ne doit jamais reculer, jamais plier, jamais céder.

Mais je vais te dire une chose, Monsieur le Rabbin : je préférerai toujours vous voir vivant, libre, un peu caché, que mort, droit et découvert.

Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une jeune fille en minijupe devrait se couvrir pour éviter les agressions. Bien sûr que non. Cela me révulse. Une agression n’est jamais justifiée. Jamais.

Et pourtant, des milliers de jeunes filles ont modifié leurs tenues, leur liberté, leur spontanéité… parce que la rue est devenue un champ de tension. Et elles ont eu raison.

Non pas parce que c’est juste, mais parce que c’est prudent. Parce qu’il ne s’agit pas de plier, mais de se protéger. 

Et aujourd’hui, nous aussi, nous devons être prudents.

Oui, Monsieur le Rabbin, vous vous êtes fait agresser deux fois. À Deauville. À Neuilly-sur-Seine. Deux villes qui sentent bon le drapeau tricolore, les pavés propres et les kippas tranquilles. Deux endroits où même là, vous n’êtes plus à l’abri.

Alors j’ose le dire, et je l’écris pour que cela reste :

Vous avez le devoir d’enlever votre kippa.

Pas comme un acte de renoncement, mais comme un acte de résistance intelligente.

Le port de la kippa n’est ni une mitzvah absolue, ni un commandement inamovible. Rachi lui-même disait qu’on la porte pour prier ou pour manger.

Et le grand rabbinat d’Israël, dans les périodes de tension, a toujours autorisé — et même recommandé — de la retirer pour éviter de se mettre en danger.

À Kippour, si vous êtes malade, vous mangez. Ce n’est pas une suggestion. C’est une loi.

Parce que le judaïsme n’est pas un culte du martyre. C’est une culture de la vie.

Et se mettre sciemment en danger pour un signe, c’est une faute. Une transgression. Une tragédie évitable.

Non, Monsieur le Rabbin, ce n’est pas votre kippa qui vous définit.

C’est ce que vous enseignez, ce que vous portez en vous, ce que vous incarnez.

La kippa n’est pas une armure. Elle est devenue une cible.

Alors s’il vous plaît, enlevez-la. Ne laissez pas vos hématomes devenir notre symbole. Ne laissez pas votre sang couler en silence pendant qu’on débat de principes abstraits dans des salons feutrés.

Aurait-on l’idée d’envoyer un enfant juif à Saint-Denis, kippa au vent ? Bien sûr que non.

Alors pourquoi vous, Monsieur le Rabbin ?

Ce n’est pas à vous de vous sacrifier. C’est à vous de montrer que la résistance passe parfois par la dissimulation temporaire.

Se battre, ce n’est pas se faire frapper.

Se battre, c’est organiser, former, alerter, construire, transmettre.

C’est se battre autrement. En vivant. En préparant la suite. En gardant l’étincelle pour la rallumer ailleurs.

Vous êtes rabbin. Vous êtes un phare. Et aujourd’hui, nous avons besoin que vous restiez debout pour continuer d’éclairer ceux qui vous regardent.

Alors oui, enlevez votre kippa. Non pas comme un signe de faiblesse, mais comme une preuve d’amour.

Pour vous. Pour vos proches. Pour nous.

Et pour qu’un jour, nous puissions à nouveau la porter fièrement, dans un pays digne de la liberté qu’il prétend défendre.

Se battre, ce n’est pas se mettre en danger.

Ce n’est pas s’exposer volontairement à la haine, au risque, à l’agression.

Se battre, ce n’est pas offrir sa joue à ceux qui veulent frapper.

Ce n’est pas faire de sa kippa un drapeau planté sur une cible.

Se battre, c’est préserver la vie. La sienne. Celle de ses proches et de sa communauté 

C’est refuser que la bravoure devienne de l’inconscience.

C’est comprendre que dans notre tradition, la vie prime sur tout, même sur les symboles les plus chers.

Je veux croire, Monsieur le Rabbin, que vous ne lirez pas dans ces lignes un appel à la honte ou à la peur, mais une main tendue, un bouclier, un rappel fraternel que notre foi est une foi de vivants, et non de martyrs.

Vous avez déjà été agressé. Deux fois. Ce n’est pas un hasard. C’est un avertissement. Et nous n’avons pas le droit d’en ignorer la portée.

Vous avez déjà été agressé. Deux fois. Ce n’est pas un hasard. C’est un avertissement. Et nous n’avons pas le droit d’en ignorer la portée.

Alors oui, enlevez votre kippa — pour un temps.

Non pour vous cacher, mais pour vous protéger.

Et parce que se protéger, dans le judaïsme, est aussi une mitzvah

Où je veux en venir ?

Parce que je crois qu’il faut cesser les demi-mesures, les faux-semblants, les illusions de normalité.

Parce que chaque choix que nous faisons aujourd’hui est lourd de sens, qu’on le veuille ou non.

Soit on s’habitue à se cacher, à mettre une casquette, à décrocher sa mézouza, à se fondre dans le décor. Et on apprend à vivre camouflés, à s’excuser d’exister. Mais ce faisant, on repousse la ligne rouge, on la pousse encore un peu plus loin, comme pour gagner du temps, tout en sachant qu’un jour, elle finira par nous rattraper et que ce n est plus de grès que nous partirons mais de force.

Soit, Monsieur le Rabbin, on fait le choix que vous avez peut-être déjà fait intérieurement : enlever sa kippa, non pas pour disparaître, mais pour partir. Pour dire que ce pays, désormais, n’est plus un pays dans lequel un rabbin peut marcher en paix. Et que si vous, homme d’autorité spirituelle, ne pouvez plus marcher librement dans les rues de Neuilly — alors vous avez aussi le devoir de montrer la voie. De tracer, peut-être douloureusement, un autre chemin. Celui de l’exil. À moins que vous n existiez que grâce à votre apparat? Le savoir n est pas dans le paraître, mais dans l être.

Dans les deux cas, il faut le dire : le choix n’est plus entre rester et espérer.

Le choix est entre se cacher et partir

Le choix est entre se cacher et partir.

Et sans jugement, je dois dire : ce constat devient de plus en plus vrai.

On s’habitue.

À baisser la tête.

À transformer sa kippa en casquette.

À faire de sa mézouza un souvenir de voyage rangé dans un tiroir.

On s’habitue à se métamorphoser pour survivre, à se fondre dans la masse pour ne plus déranger.

Et si cela prend du temps à certains de le comprendre, je le comprends. Parce que c’est dur. Parce que c’est déchirant.

Mais pour ceux qui ont décidé d’être des guides, ceux qui veulent incarner, transmettre, porter leur judaïsme haut et fort : cela suffit de se mettre en danger.

Il faut se battre, oui. Mais pas seul, pas désarmé, pas exposé dans une rue où l’on devient une cible.

La guerre, aujourd’hui, on sait qui la fait. Et pour qui.

Alors peut-être qu’il est temps, justement, d’aller leur prêter main forte.

Non pas en renonçant, mais en reprenant en main ce que d’autres essaient de nous voler : notre dignité, notre lucidité, notre vie.

Et si c’est cela, notre nouvelle réalité… alors au moins, ayons le courage de la regarder en face.

Quand on s’ aime il faut parfois partir pour se battre avec ceux qui se battent pour nous et pour mieux s aimer là où le combat prend tout son sens.

Ici le combat n est plus possible , soit on retourne sa veste soit plus personne ne veut même nous donner la parole.

Alors allons la reconquérir avec ceux qui se battent pour que notre kippa ne soit plus une cible mais simplement un choix de la porter ou non.

Il resterait donc trois options.

Apprendre à jouer à cache-cache.

Faire semblant. Se fondre. S’effacer.

Se mettre en danger.

Arborer fièrement sa kippa dans une rue où l’on sait qu’elle attire les coups. Tendre l’étoile en espérant qu’elle brille plus qu’elle ne cible.

Ou partir.

Mener la lutte ailleurs, dans un pays où l’on a le droit d’exister pour ce que l’on est, sans s’excuser d’être né.

Demain, je dirai à mes enfants que si moi, je n’ai pas eu le cran, le courage ou la possibilité de partir, le mauvais âge, eux le peuvent. Et pas au Honduras dans le nouveau getho des 30 000 juifs.

Parce que je n’ai ni envie de les voir se cacher, ni envie de les voir tomber pour avoir voulu exister.

Et il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que notre élite, depuis un moment, n’a ni l’envie, ni la capacité, semble-t-il, de protéger ses Juifs.

Alors regardez « Le Dernier des Juifs« .

Ce film qui en a fait sourire certains à sa sortie.

Et qui, aujourd’hui, commence à ressembler un peu trop à une bande-annonce du réel.

© L’Etoile De David

A propos de l’auteur:

« Je ne savais pas encore …
J’ai choisi une photo de moi, enfant.
Parce qu’à cet âge-là, on ne sait pas encore.
On vit porté par la douceur, les rêves, les bras aimants.
On ne se pose pas de questions.
On est juif comme on est vivant : libre, sans le savoir.

Aujourd’hui, j’ai 50 ans.
Je vis en France.
Et je sais.
Je sais ce que l’on nous dit, ce que l’on nous refuse, ce que l’on attend que l’on taise.
Mais je ne me tairai pas.

Je vais me battre, avec vous, pour que cette liberté — celle de l’enfance, celle de vivre sans se cacher —
revienne.
Et qu’elle n’ait plus d’âge

© l’étoile de David

Contact:  heysibonnesidees@gmail.com

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4 Comments

  1. Patton disait à ses soldats quelque chose comme :  » je ne vous demande pas de mourir pour vos idées, mais que le mec d’ en face perde la vie pour les siennes  » .

  2. Le pays de Molière n’est hélas plus ce qu il était .. votre analyse est très juste mais je serai moins catégorique .. garder sa kippa dans des lieux moins exposés .. mais la retirer complètement c est abdiquer et ce rabbin qui a forcé notre admiration par sa dignité et son courage ne t’énoncera pas à la porter …

    • Chère Janine,

      Merci pour ton message, mais je me permets une nuance.

      Être courageux, quand on est rabbin — ou simplement juif dans l’espace public aujourd’hui — ce n’est pas forcément garder sa kippa coûte que coûte. Le courage, ce n’est pas braver le danger pour le symbole. C’est montrer l’exemple en choisissant la vie, même quand cela passe par un geste qui, aux yeux de certains, peut sembler une concession.

      Notre tradition ne célèbre pas les martyrs : elle élève ceux qui vivent, qui protègent, qui transmettent. Et parfois, cela signifie adapter, se camoufler temporairement, non pas par honte, mais par intelligence.

      La bravoure, ce n’est pas de défier l’ennemi à mains nues, ni de s’exposer sur une terrasse en se faisant cible vivante. La bravoure, c’est de se tenir debout, encore et toujours, même si parfois cela passe par une casquette.

      Et quand viendra le temps, dans un espace sûr, de remettre la kippa haut sur la tête et les chants dans la rue, alors on le fera — avec dignité, et en vie.

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