La France administrée. Chronique d’une dépossession politique. Le désastre. Par Paul Germon

Le Désastre

I. Gouverner n’est pas administrer

La confusion est au cœur du désastre français.

Gouverner, ce n’est ni gérer des procédures, ni empiler des normes, ni se réfugier derrière le droit pour éviter le conflit.

Gouverner, c’est choisir, hiérarchiser, trancher, puis assumer politiquement devant le peuple.

Administrer, c’est autre chose : organiser l’exécution, garantir la conformité, assurer la continuité.

La Ve République avait été conçue pour que l’administration serve le politique.

Elle est devenue le lieu où le politique se protège.

La France n’est pas dominée par son administration.

Elle est abandonnée par son pouvoir politique, puis gérée par l’administration.

II. Un pays de bâtisseurs soumis à l’esprit fonctionnaire

La crise française n’est pas seulement institutionnelle.

Elle est anthropologique.

La France est un pays de bâtisseurs, de conquérants, d’inventeurs, de guerriers, d’explorateurs, d’innovateurs.

Un pays qui a avancé par le risque, l’audace, la décision, parfois l’erreur — mais jamais par la paralysie.

Or ce pays a progressivement intériorisé l’esprit fonctionnaire comme norme suprême :

la peur de décider,

la crainte du risque,

l’obsession de la couverture juridique.

Le point culminant de cette inversion est la constitutionnalisation du principe de précaution.

Autrement dit : l’élévation de la non-décision au rang de principe supérieur.

Un peuple qui a traversé les océans, bâti des cathédrales, conquis, découvert et innové

s’est vu expliquer que ne pas agir était désormais une vertu constitutionnelle.

III. La matrice administrative : écoles, corps, symbiose

Cette évolution ne s’explique pas sans la formation commune du pouvoir.

Les grandes écoles administratives ont produit une culture homogène, partagée par :

• la haute fonction publique,

• les cabinets ministériels,

• les juridictions administratives,

• et une part croissante du personnel politique.

Il ne s’agit pas d’un complot.

Il s’agit d’une symbiose sociologique.

Même langage.

Même rapport au risque.

Même obsession de la sécurité juridique.

Même méfiance à l’égard du conflit démocratique.

La frontière entre gouverner et administrer ne disparaît pas par décision.

Elle se dissout par socialisation commune.

IV. Stanley Hoffmann, franco-américain, professeur à Harvard, dans les années 60 : l’éloge avant le basculement

Dans les années 1960, Stanley Hoffmann décrivait la haute administration française comme la meilleure du monde.

Il saluait :

• sa compétence,

• sa continuité,

• son sens de l’État,

• sa capacité à servir des majorités politiques différentes.

Mais Hoffmann écrivait avant le basculement.

Il décrivait une administration puissante, mais non souveraine,

subordonnée en dernier ressort à la décision politique.

C’est cette subordination finale qui a disparu.

V. Ce que Hoffmann n’a pas connu : la défausse politique

Il faut le dire sans détour :

ce n’est pas l’administration qui a pris le pouvoir.

C’est le pouvoir politique qui le lui a laissé.

Par confort.

Par peur du conflit.

Par refus d’assumer la décision.

Par préférence pour la norme plutôt que pour le choix.

L’administration n’a pas conquis.

Elle a occupé l’espace abandonné.

VI. Quand la norme devient intangible

La norme est d’abord un outil.

Puis elle devient un cadre.

Puis elle se transforme en finalité.

Droits acquis, jurisprudence constante, principes généraux du droit, conventions internationales :

tout concourt à soustraire l’action publique au débat démocratique.

Le politique ne tranche plus.

Il constate, puis se soumet.

VII. Conseil constitutionnel et Conseil d’État : l’administration devenue contre-pouvoir exécutif

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État occupent désormais une place centrale dans le fonctionnement réel de l’État français.

Cette centralité ne résulte pas d’un choix démocratique explicite.

Elle procède d’une dynamique administrative, progressive, continue, jamais formellement assumée.

Ces deux institutions ne sont en principe pas des contre-pouvoirs politiques.

Elles sont composées et animées par des agents de formation administrative, porteurs d’une culture juridique spécifique, homogène, et fondamentalement étrangère à la logique de décision politique

Apolitiques par statut.

Politiques par conséquences.

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ne font pas de politique au sens partisan ; mais en fixant les limites de ce qui est gouvernable, ils exercent un pouvoir politique sans responsabilité démocratique.

Le Conseil constitutionnel : une institution juridico-administrative, non politique

Contrairement à une fiction largement entretenue, le Conseil constitutionnel n’est pas un organe politique.

Il est devenu un organe juridico-administratif, chargé non de juger des choix, mais de filtrer, conditionner et neutraliser l’action du pouvoir exécutif et législatif.

Ses membres ne représentent ni la société civile, ni des intérêts sociaux, ni des courants idéologiques incarnés.

Ils sont majoritairement issus :

• de la haute fonction publique,

• des grands corps de l’État,

• ou de carrières politiques achevées, reconverties dans une fonction de contrôle juridique.

Ils ne gouvernent pas.

Ils administrent la norme suprême.

Leur rôle n’est pas de trancher un conflit démocratique,

mais de sécuriser juridiquement l’ordre existant, en le soustrayant au risque politique.

Progressivement, le Conseil constitutionnel a cessé d’être un arbitre.

Il est devenu un dispositif de pré-censure permanente, intégré par avance dans l’esprit même de l’exécutif.

Le pouvoir exécutif ne décide plus librement.

Il anticipe la sanction juridique.

Le Conseil d’État : sommet de la pyramide administrative

Le Conseil d’État n’est pas seulement une juridiction.

Il est le cœur doctrinal et opérationnel de l’État administratif.

Il cumule trois fonctions décisives :

• conseiller du gouvernement,

• juge de l’administration,

• producteur de doctrine juridique.

Cette triple position lui confère une influence structurelle sans équivalent.

Les agents qui le composent sont des administrateurs au sens plein :

• formés dans les mêmes écoles,

• porteurs des mêmes réflexes normatifs,

• attachés à la continuité, à la prudence, à la neutralisation du risque.

Le Conseil d’État ne gouverne pas.

Il organise les conditions dans lesquelles il devient impossible de gouverner autrement que par la norme.

Tout conflit politique sérieux y est transformé en :

• question de compétence,

• question de procédure,

• question de conformité.

Le politique n’y est pas affronté.

Il y est dissous.

Une montée en puissance continue et convergente

Depuis plusieurs décennies, le pouvoir réel de ces deux institutions n’a cessé de croître.

Non par usurpation brutale,

mais par renoncement progressif de l’exécutif.

Chaque fois que le pouvoir politique refuse d’assumer un conflit,

il délègue.

Chaque délégation renforce l’autorité juridico-administrative.

Chaque renforcement réduit l’espace de la décision politique.

Le résultat est mécanique :

• plus le droit devient complexe,

• plus les juridictions deviennent centrales,

• plus l’exécutif devient captif de l’appareil normatif.

L’entrave structurelle du pouvoir exécutif

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ne bloquent pas l’exécutif par idéologie.

Ils l’entravent par nature administrative.

Ils privilégient :

• la sécurité juridique sur l’efficacité politique,

• la conformité sur la volonté,

• la procédure sur la décision.

L’exécutif n’est plus jugé sur sa capacité à gouverner,

mais sur sa capacité à ne pas contrevenir.

Ce déplacement est décisif :

le pouvoir n’est plus évalué sur ses résultats,

mais sur son degré de conformité administrative.

Conclusion

Le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel n’ont pas « pris le pouvoir ».

Ils ont été installés comme pouvoir de substitution,

par un exécutif qui a progressivement renoncé à gouverner politiquement.

Là où la décision suppose le risque,

l’administration propose la norme.

Et à force de préférer la norme à la décision,

le pouvoir exécutif s’est trouvé administré à son tour.

VIII. Le regroupement familial : capture administrative d’un choix politique

Le regroupement familial est un choix politique daté, décidé entre 1974 et 1978.

1974 : suspension officielle de l’immigration de travail (décision gouvernementale sous Valéry Giscard d’Estaing).

Dans ce contexte, le regroupement familial est admis comme pratique administrative, puis reconnu comme droit.

Il était discutable.

Il aurait pu être durci, révisé, reconfiguré.

Tranché politiquement et donc démocratiquement.

Les Français auraient dû savoir ce qu’il impliquait au plan des modifications qu’il apporterait à la composition de la population de façon définitive.

À partir de la fin des années 1970, l’administration s’en empare.

Par circulaires, instructions, pratiques préfectorales, puis par une série de décisions du Conseil d’État,

la loi est précisée, verrouillée, sanctuarisée, jusqu’à devenir inamovible.

Une décision administrative et jurisprudentielle décisive

🔹 1978 – Décision du Conseil d’État (arrêt GISTI)

Le Conseil d’État reconnaît le regroupement familial comme un principe général du droit, en s’appuyant notamment sur :

• le droit à une vie familiale normale,

• des conventions internationales.

Un choix politique discutable devient un principe quasi intangible.

La loi cesse d’être gouvernée.

Elle est sacralisée.

IX. 1989 : Creil, Jospin et l’attaque contre un principe fondamental

L’affaire de Creil, en 1989, n’est pas un incident scolaire.

C’est une attaque politique directe contre un principe fondamental de la République :

la laïcité.

L’islamisme politique ne teste pas une règle.

Il défie un fondement.

La réponse aurait dû être politique.

Le ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin, se défausse.

Il saisit le Conseil d’État.

À une attaque idéologique contre la République,

il oppose une réponse de juridiction administrative.

X. La comparaison avec 1939

C’est comme si, en 1939, face à Hitler et la guerre,

la France avait choisi de répondre

non par une décision politique,

mais par une décision du Conseil d’État.

XI. 2004 : un rattrapage tardif

La loi de 2004 sur la laïcité n’est pas une anticipation.

C’est un rattrapage.

Quinze ans ont été perdus.

Pendant lesquels l’islamisme politique a avancé,

pendant que l’État administrait ce qu’il aurait dû défendre politiquement.

XII. Industrie : comment l’État a rendu la production impossible sans jamais l’interdire

La désindustrialisation française n’est ni une fatalité économique, ni un simple effet de la mondialisation.

Elle est le produit d’un choix politique prolongé, masqué derrière la norme, la procédure et la morale administrative.

La France n’a pas décidé de fermer ses usines.

Elle a fait pire : elle a rendu l’acte de produire progressivement impraticable.

L’idéologie du renoncement productif

À partir des années 1980, une idéologie s’impose dans les cercles dirigeants :

• la fabrication serait archaïque,

• la création serait immatérielle,

• l’industrie pourrait être délocalisée sans perte de souveraineté,

• la France conserverait la valeur ajoutée en abandonnant la production.

Ce n’est pas une contrainte extérieure.

C’est un discours interne, porté par les élites administratives et politiques.

L’industrie cesse d’être perçue comme une richesse stratégique.

Elle devient :

• un problème environnemental,

• un conflit social potentiel,

• un risque juridique,

• une nuisance territoriale.

Dès lors, il ne s’agit plus de gouverner l’industrie,

mais de l’encadrer jusqu’à l’épuisement.

Le maelström normatif

La destruction industrielle française s’est faite sans loi d’interdiction, mais par accumulation de normes :

• normes environnementales surtransposées,

• procédures d’autorisation interminables,

• études d’impact successives,

• enquêtes publiques répétées,

• contentieux facilités,

• instabilité réglementaire permanente.

Un projet industriel peut être :

• économiquement viable,

• technologiquement avancé,

• écologiquement maîtrisé,

et pourtant bloqué pendant des années, sans qu’aucune autorité politique n’arbitre.

– L’administration instruit.

– Le juge contrôle.

– Le politique se tait.

Exemple central : produire devient plus risqué que renoncer

En France, le risque principal n’est plus industriel, il est administratif.

L’investisseur ne craint pas l’échec économique.

Il craint :

• un changement de norme en cours de procédure,

• un recours tardif,

• une remise en cause rétroactive,

• une injonction contradictoire.

Résultat :

• les projets partent ailleurs,

• les capitaux fuient,

• la production s’effondre.

L’État n’a rien interdit.

Il a dissuadé par incertitude organisée.

La surtransposition européenne : l’alibi parfait

L’Europe est devenue l’alibi commode de la défausse politique.

Des directives européennes sont :

• durcies unilatéralement,

• appliquées de manière maximaliste,

• enrichies de contraintes supplémentaires.

Pendant ce temps :

• l’Allemagne adapte,

• l’Italie négocie,

• d’autres pays interprètent.

La France surtranscrit :

  • Le politique invoque « l’Europe ».
  • L’administration ajoute sa marque.
  • L’industrie française décroche seule.

Ce n’est pas forcément l’Europe qui détruit l’industrie française.

C’est la manière française d’appliquer l’Europe.

L’industriel devenu suspect

Dans ce climat, l’industriel change de statut.

Il n’est plus un producteur de richesse.

Il devient :

• un pollueur potentiel,

• un risque sanitaire,

• un contentieux en puissance.

Il doit prouver son innocence avant même de produire.

Le principe de précaution, constitutionnalisé, parachève cette inversion :

le non-agir devient vertueux,

le faire devient suspect.

Un pays de bâtisseurs a fait du renoncement productif une norme morale.

XIII. Santé : quand la bureaucratie a pris le contrôle du soin

La médecine française fut longtemps l’une des meilleures du monde.

Non par hasard.

Mais parce qu’elle reposait sur trois piliers simples :

la compétence médicale,

l’autonomie professionnelle,

et la responsabilité directe du soignant.

Ce système n’a pas été détruit par une crise soudaine.

Il a été progressivement confisqué par la bureaucratie, au nom de la rationalisation, de l’égalité et de la maîtrise comptable.

La santé n’est plus gouvernée.

Elle est administrée.

La prise de contrôle bureaucratique

Au fil des décennies, l’État a substitué à la décision médicale une architecture administrative tentaculaire, fondée sur :

• agences,

• autorités sanitaires,

• indicateurs,

• protocoles,

• procédures de conformité,

• contrôles permanents.

Le cœur de ce système est la création des Agences régionales de santé (ARS).

Présentées comme des outils de coordination,

elles sont devenues des centres de pouvoir technocratique, concentrant :

• la planification sanitaire,

• l’allocation des moyens,

• l’autorisation d’exercer,

• l’ouverture et la fermeture de services,

• la répartition des ressources humaines.

Les ARS ne soignent pas.

Elles organisent, contrôlent, évaluent.

Et surtout, elles décident sans responsabilité politique directe devant les citoyens.

Quand la gestion remplace le soin

La logique gestionnaire s’est imposée partout.

La tarification à l’acte (T2A) a transformé l’hôpital en machine comptable :

• actes courts valorisés,

• prises en charge longues pénalisées,

• spécialités humaines marginalisées.

Le médecin n’est plus jugé sur la qualité de son diagnostic ou de son suivi,

mais sur sa conformité à des indicateurs.

L’hôpital n’est plus un lieu de soin,

mais une unité de production sanitaire.

Les décisions les plus lourdes — fermetures de lits, restructurations, suppressions de services — ne sont jamais assumées politiquement.

Elles sont habillées de rationalité technique.

Quand les soignants alertent,

on leur oppose des tableaux Excel.

Le numerus clausus : une pénurie organisée

La pénurie de médecins n’est ni naturelle, ni imprévisible.

Elle est le résultat direct d’un choix politique conscient : le numerus clausus, instauré au début des années 1970 et maintenu pendant près d’un demi-siècle.

Son objectif était clair :

• limiter le nombre de médecins,

• contenir l’offre de soins,

• maîtriser la dépense publique.

On a volontairement formé moins de médecins qu’il n’en fallait,

alors même que :

• la population vieillissait,

• les besoins médicaux augmentaient,

• des générations entières de praticiens partaient à la retraite.

Tous les gouvernements ont été alertés.

Aucun n’a corrigé sérieusement le tir avant que la pénurie ne devienne visible.

Quand le numerus clausus est enfin assoupli,

il est déjà trop tard.

Ne disait on pas il y a longtemps «  gouverner c’est prévoir » ?

Les déserts médicaux : conséquence directe de l’administration

Les déserts médicaux ne sont pas le fruit d’un égoïsme des praticiens.

Ils sont la conséquence mécanique d’un système qui :

• restreint la formation,

• réglemente l’installation,

• surcharge l’exercice de contraintes administratives,

• réduit l’autonomie clinique.

Au lieu de rendre l’exercice attractif,

l’État multiplie :

• normes,

• obligations,

• contrôles,

• injonctions contradictoires.

Puis, après avoir organisé la pénurie,

il envisage la coercition.

Quand un système détruit l’envie d’exercer,

il ne peut pas la recréer par décret.

Le soignant devenu exécutant administratif

La bureaucratie sanitaire a profondément modifié la nature même du métier.

Le médecin consacre une part croissante de son temps :

• à remplir des formulaires,

• à coder des actes,

• à justifier ses prescriptions,

• à répondre à des contrôles a posteriori.

Le temps médical est dévoré par le temps administratif.

L’autonomie recule.

La responsabilité se dilue.

La vocation s’épuise.

Ce n’est pas une crise des moyens.

C’est une crise du sens.

Responsabilités politiques : une défausse organisée

Aucune de ces orientations n’a été assumée comme un choix politique devant le pays.

Le pouvoir s’est systématiquement abrité derrière :

• la contrainte budgétaire,

• l’expertise technique,

• les agences,

• les normes.

La création des ARS constitue un transfert de souveraineté sanitaire :

le ministre ne décide plus,

il entérine.

Quand une maternité ferme,

qu’un service d’urgence disparaît,

la responsabilité politique est diluée dans la procédure.

La bureaucratie n’a pas pris le pouvoir.

Elle l’a reçu par abandon.

Conclusion

La santé n’est pas un problème technique.

C’est un choix politique majeur.

On ne soigne pas par indicateurs.

On ne guérit pas par circulaires.

On ne sauve pas une médecine par la paperasse.

Tant que la médecine sera administrée au lieu d’être gouvernée,

la France continuera à détruire l’un de ses plus grands atouts historiques.

XIV. Agriculture : comment l’État a ligoté ceux qui nourrissent le pays

L’agriculture française fut longtemps l’une des plus puissantes, des plus productives et des plus sûres du monde.

Elle nourrissait la nation, structurait les territoires, transmettait un savoir-faire, et assurait une part essentielle de la souveraineté nationale.

Elle n’a pas été détruite par le marché.

Elle a été progressivement étouffée par l’idéologie et la bureaucratie.

La France n’a pas cessé d’aimer ses paysans.

Elle a cessé de les laisser produire.

L’idéologie de la culpabilité productive

À partir des années 1990, une vision idéologique s’impose :

• produire serait polluer,

• cultiver serait suspect,

• élever serait violent,

• transformer serait nuisible.

L’agriculteur cesse d’être vu comme un producteur essentiel.

Il devient :

• un pollueur potentiel,

• un risque sanitaire,

• un problème environnemental,

• un acteur à surveiller.

Le débat politique disparaît.

La norme morale s’installe.

L’agriculture n’est plus gouvernée.

Elle est corrigée.

La noyade réglementaire

Aucun secteur n’a subi un tel déluge normatif.

Surtranspositions européennes, normes nationales, règlements locaux, circulaires, contrôles croisés :

l’agriculteur évolue dans un labyrinthe administratif permanent.

Il doit :

• produire,

• déclarer,

• justifier,

• prouver,

• se conformer,

• anticiper des règles changeant

Une exploitation peut être parfaitement viable économiquement,

mais asphyxiée administrativement.

– Le temps passé à la paperasse explose.

– Le temps consacré à produire se réduit.

Exemple central : produire moins, déclarer plus.

Un agriculteur peut être sanctionné lourdement :

• pour une erreur de déclaration de surface,

• un retard administratif,

• une non-conformité formelle,

indépendamment de la qualité réelle de sa production.

La production devient secondaire.

La conformité devient centrale.

Les injonctions contradictoires

L’État exige simultanément :

• de produire moins,

• d’être plus écologique,

• de rester compétitif,

• de maintenir les prix bas,

• de survivre économiquement.

Aucune hiérarchie.

Aucun arbitrage.

La subvention comme camisole

On interdit ou restreint,

puis on indemnise.

L’aide devient conditionnelle, contrôlée, révocable.

L’agriculteur devient un ayant-droit sous tutelle.

Conséquence : une souveraineté alimentaire fragilisée

La France importe désormais

ce qu’elle interdit de produire.

Un pays qui empêche ses paysans de produire

confie sa sécurité alimentaire à d’autres.

Conclusion

L’agriculture n’a pas besoin d’être moralisée.

Elle a besoin d’être gouvernée.

XV. Sécurité, police et gendarmerie : quand l’État administre le désordre

La sécurité est une mission régalienne.

Elle ne supporte ni l’ambiguïté, ni l’hésitation, ni la défausse.

Or la France a choisi de l’administrer.

De la mission régalienne à la gestion procédurale

Plans, circulaires, statistiques, tableaux de bord.

La violence devient un flux à gérer.

Le risque pénal inversé

Le risque est pour celui qui agit.

Les territoires abandonnés, puis administrés

L’insécurité n’est pas combattue.

Elle est administrée.

Conclusion

Un État qui administre la sécurité

a déjà renoncé à gouverner.

XVI. École : comment la République a cessé de transmettre

L’école n’est plus gouvernée.

Elle est gérée.

De la transmission à la réparation sociale

L’exigence devient suspecte.

L’enseignant désarmé

Un système qui ne soutient pas ses maîtres cesse de transmettre.

Conclusion

Renoncer à gouverner l’école,

c’est renoncer à se reproduire.

XVII. Plus de normes, plus de censeurs

Chaque norme appelle son contrôle.

Chaque règle son clergé.

XVIII. La haute administration comme pouvoir réel

Le politique se retire.

L’administration gouverne.

XIX. La dépossession démocratique

Le peuple vote.

L’administration décide.

XX. Le cercle vicieux français

La norme prolifère.

L’initiative disparaît.

XXI. Ce qui a changé de nature

L’administration était un outil.

Elle est devenue un pouvoir.

XXII. Conclusion générale

La crise française est politique avant d’être juridique.

Gouverner, ce n’est pas sécuriser.

Gouverner, c’est trancher.

Beit Hillel et la France : gouverner ou sanctuariser

Il existe dans l’histoire du judaïsme une leçon politique que la France contemporaine a oubliée.

Après la destruction du Temple, deux écoles s’opposent.

—- Beit Shammaï : la cohérence sans monde

La norme pure, invivable.

—— Beit Hillel : hiérarchiser pour survivre

Une norme vivable est une norme qui dure.

La Ve République : une intuition hillelienne

Décider dans le réel.

La France contemporaine : Shammaï sans transcendance

Rigidité sans autorité.

La leçon politique

Une norme qui ne peut pas être vécue détruit l’autorité qui la proclame.

© Paul Germon

Décembre 2025

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