Deux secondes. Par David Castel

Deux secondes. 

Encore une fois, le mot « incident » ne tient pas.

Il glisse, il triche. Ce qui s’est produit dans le nord d’Israël n’est pas un fait divers.

C’est une séquence.

Une narration nette, ordonnée, presque implacable.

Vendredi, en plein jour, un homme prend le véhicule de son employeur.

Pas un inconnu surgissant de nulle part.

Un שוהה בלתי חוקי « chronique” » présent depuis des années, travaillant en Israël, employé par un entrepreneur arabe israélien.

Il est entré dans le pays six jours auparavant, par un passage de la zone de Jérusalem, avec un véhicule.

Il séjournait dans un kibboutz voisin, à מסילות.

Une présence installée, banalisée, absorbée par la routine.

La séquence commence à בית שאן.

Sur un chemin de vélos, non destiné aux voitures, il percute un adolescent de 16 ans, blessé légèrement.

Quelques instants plus tard, toujours à Beit Shean, il renverse et tue שמשון מרדכי, 69 ans.

Un mari, un père, un grand-père, homme de foi et de transmission.

Il ne s’arrête pas.

Il poursuit sa route vers le carrefour תל יוסף.

Là, il sort du véhicule et poignarde à mort אביב מאור, 19 ans.

Une jeune femme lumineuse, décrite par les siens comme pleine de compassion, d’amour pour les plus faibles, pour les enfants, pour les animaux.

Deux victimes que rien ne liait, sinon cette trajectoire de mort.

Puis il reprend la route vers עפולה.

À un autre carrefour, il percute un homme de 37 ans, blessé modérément.

Ce n’est qu’à ce moment-là qu’un citoyen armé intervient et neutralise l’assaillant.

La séquence s’arrête.

Les morts, eux, restent.

Pendant ce temps, à Beit Shean, un homme marche avec son petit-fils.

Il entend un moteur.

Il lève la tête.

Il croise le regard du conducteur.

Deux secondes.

Il franchit un portail.

Il survivra.

Il comprendra plus tard.

S’il s’était attardé, ils auraient été fauchés.

Voilà où nous en sommes.

À deux secondes près.

Après coup viennent les arrestations.

Les deux frères du terroriste, âgés de 30 et 33 ans, eux aussi en situation illégale, retrouvés dans un bâtiment agricole près d’Arraba.

Le père arrêté également.

L’employeur interpellé.

Les enquêtes convergent.

Pas d’antécédents sécuritaires lourds.

Des années de travail en Israël.

Des allers-retours répétés.

Une réalité connue.

Un responsable militaire le dit sans détour.

Le projecteur se braque sur le phénomène des שב״חים.

Des dizaines de milliers.

Environ cinquante mille selon les estimations.

Une frontière de plus de 600 kilomètres.

Vingt-trois bataillons déployés, dont près de la moitié de réservistes.

Des règles d’ouverture du feu durcies.

Des arrestations.

Des morts aussi, quand les infiltrations ne s’arrêtent pas.

Et malgré tout, une ligne qui n’est pas hermétique.

Tout cela est vrai.

Tout cela est documenté.

Et tout cela reste insuffisant.

Car ce qui tue ici n’est pas seulement un homme.

C’est une combinaison.

L’aveuglement volontaire.

La complaisance pratique.

L’idée dangereuse que le travail neutralise l’idéologie.

Que l’habitude anesthésie le risque.

Que l’on peut ne pas vouloir savoir, puis feindre la surprise.

Israël ne cherche pas la guerre.

Israël la subit, jusque dans ses chemins ordinaires, ses pistes cyclables, ses carrefours banals.

Et malgré cela, on continue de lui demander de s’expliquer, de se justifier, presque de s’excuser de protéger ses vivants.

La sécurité n’est pas un slogan.

La compassion n’est pas l’oubli.

Et la vie humaine n’est pas une variable administrative.

Que la mémoire d’אביב מאור et de שמשון מרדכי soit une bénédiction.

Et que ce pays cesse de s’excuser d’exister vivant.

© David Castel

Ex-avocat, hébréophone & parémiographe. Écrit entre deux cafés, trois procès et mille aphorismes.

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