Tribune Juive

À propos de « René Bousquet, l’énigme d’un fonctionnaire républicain sous l’Occupation », de Limore Yagil

L’historienne Limore Yagil[1] vient de publier après plusieurs années de recherche, un nouveau livre : René Bousquet, l’énigme d’un fonctionnaire républicain sous l’Occupation, Paris, SPM, 2025.

Pourquoi ce travail ?

Ce nouveau livre basé sur une riche documentation, vient combler une lacune importante dans l’historiographie française. A l’exception d’une seule biographie de René Bousquet, écrite par une journaliste, Pascale Froment en 1994[2], René Bousquet n’a bénéficié d’aucune étude historique. Pourtant, son nom est mentionné par les historiens, comme étant le responsable de la déportation des Juifs en France sous Vichy, coupable du génocide du peuple juif, comme l’organisateur de la rafle du Vel d’hiv, alors que la responsabilité du de Pierre Laval, ou du maréchal Pétain, sont totalement effacées, voir oubliées. Surtout que cette rafle mise en œuvre par la police de la préfecture de Paris, a été imposée par les Allemands. On oublie trop souvent que René Bousquet n’était ni un officier nazi ni un membre de la Milice française, ni le chef du gouvernement ou le ministre de l’Intérieur et n’avait que des pouvoirs limités. La démarche qui consisterait à faire aujourd’hui de René Bousquet le bouc émissaire de toutes les turpitudes de Vichy est réductrice.

Le premier objectif de notre ouvrage est de mettre les « pendules à l’heure ». L’action de René Bousquet comme secrétaire général de la Police ne doit pas être isolée de l’ensemble du parcours effectué par ce haut fonctionnaire sorti du giron de la matrice de la Troisième République, ni du contexte historique particulier des années 1940-1944. Bousquet était un jeune fonctionnaire, républicain dans l’âme, proche du parti radical, qui à la demande de Pierre Laval, qu’il connaissait de longue date, accepta de servir son pays, d’abord comme préfet de la Marne, puis comme préfet régional et à partir d’avril 1942 comme secrétaire général de la police sous les ordres de Pierre Laval. Il est resté à son poste sous Vichy, avec l’unique ambition de limiter la main mise allemande, de limiter le nombre des Juifs déportés, et celui d’autres français. Il n’est ni un antisémite, ni un partisan de l’Europe allemande. C’est surtout un diplomate habile, qui décida de discuter avec Heydrich[3] d’abord, puis avec Oberg[4] ensuite, pour essayer de mieux contrôler la situation : laisser à la police française la possibilité de décider qui elle arrête, quand et comment.

Selon l’armistice de juin 1940, la police et la gendarmerie française sous soumises aux ordres et aux exigences allemandes. Mais Bousquet arrive à changer les données : depuis l’accord Oberg-Bousquet, d’août 1942, la police et la gendarmerie prendront les décisions d’agir et d’arrêter. Cet accord permit à la police française d’agir de façon indépendante. Concrètement cette situation a permis à nombreux policiers et gendarmes d’oser à désobéir aux ordres de leur chefs et surtout aux allemands. La désobéissance est devenue de plus en plus importante, jusqu’à la résistance. Ce qui explique le fiasco total des rafles de l’été 1942 en zone libre: environ 50% des Juifs prévus pour être arrêtés, l’ont été.  Vichy, en particulier Bousquet, a donc réussit à réduire le nombre des Juifs déportés.

Comme fonctionnaire, Bousquet réussit à contrecarrer les exigences allemandes, d’abord comme préfet de la Marne et ensuite avec plus de difficultés comme secrétaire de la Police, attitude somme toute courageuse en période d’occupation.  Il intervint souvent en faveur des Juifs et leur procura des facilités pour partir à l’étranger et en protégea une centaine au secrétariat général ; il s’opposa à l’extension du port de l’étoile jaune en zone sud, fit relâcher en 1943 des juifs arrêtés par les Allemands, intervint auprès de Knochen en faveur des internés de Drancy et refusa de laisser consulter par les Allemand les listes des Juifs établies dans les préfectures. En 1943, les policiers et les gendarmes sont encouragés par Bousquet d’interrompre les déportations de Juifs français. Les Allemands mécontents, se chargèrent des arrestations par eux même, en bénéficiant de l’aide des Miliciens ou des partisans des mouvements collaborationnistes. Collaborer avec la police allemande en essayant de préserver l’autonomie de la police française et de protéger la population, c’était obligatoirement prendre le risque de sacrifier les uns pour tenter de sauver les autres.

Le deuxième objectif de ce livre est de démontrer que contrairement à une idée reçue, les Allemands arrivent en France, dès 1940 avec le principal objectif, celui de faire déporter à l’Est la totalité des Juifs de France : apatrides, étrangers et français. La Solution finale de la question juive, ne débute pas en 1942, mais dès 1940. Les programmes sont fixés, et imposés en France, dès 1940. Les « experts de la question juive » arrivent en France pour organiser les déportations prévues selon les exigences du Führer. La marge de manœuvre de Vichy, est presque nulle.  La France est un pays occupé, et toute son administration est soumise à la disposition des autorités d’occupation. Vichy, n’a pas la possibilité de tenir tête aux allemands, d’objecter ou de refuser leurs exigences. Vichy peut seulement, par l’intermédiaire de ses hommes politiques, de discuter, de dialoguer avec les autorités allemandes compétentes. Chacun des ministres et secrétaires d’Etat du gouvernement avait la possibilité, s’il en avait le courage, de refuser d’appliquer les exigences allemandes, et de discuter d’autres alternatives. Bousquet, comme Jean Bichelonne au ministère de l’Economie, trouve le moyen de discuter et de limiter le nombre des arrestations des Juifs. L’obsession de Bousquet était de garder la souveraineté administrative de la police et de la gendarmerie afin de mieux contrôler la cadence des déportations, et d’empêcher la déportation des Juifs français. Bousquet avec le soutien de Pétain, arrive à imposer aux allemands, que les Juifs français ne seront pas déportés. Mais à partir du moment où il est remplacé par Joseph Darnand en 1943, et que la zone Sud est totalement occupée en novembre 1942, ce sont les Allemands avec les Miliciens, qui prennent en charge les déportations des Juifs français notamment.

Le troisième objectif de ce livre est de retracer les différentes interprétations historiques depuis 1945. Il est clair selon les différentes archives étudiées, qu’à Vichy, certains ont essayé de protéger une grande partie des Juifs français. L’historien Léon Poliakov a mis en exergue dans ses travaux le fait qu’à Vichy c’est seulement une minorité active d’environ 15 à 20% des Français était antisémite. L’historien Raoul Hilberg démontre comment lorsque la pression allemande s’est intensifiée en 1942, les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnées à leur sort et l’on s’efforça de protéger les Juifs nationaux. Dans une certaine mesure cette stratégie réussit. Il dévoile que les Juifs nationaux avaient été plus préservés que les juifs étrangers. Après le refoulement du génocide pendant rois décennies, on assista dans les années 1990, on a cherché à endosser à la France sous Vichy la responsabilité des crimes conçus et exécutés exclusivement par les nazis. 

Parmi les survivants que l’on pouvait juger après 1945, pour leur faire porter la responsabilité de Vichy, René Bousquet était l’homme « idéal ». Mais cette initiative de vouloir juger le dernier survivant parmi les ministres et secrétaires d’Etat de Vichy, ne rejoint pas les faits historiques. Le devoir de l’historien n’est pas de juger, mais de chercher la vérité historique. René Bousquet rappelons-le, a été innocenté de toute accusation de collaboration en 1949, et même présenté comme protecteur des résistants, est devenu au fil des années la « bête noire des historiens et du public. La majorité des historiens aujourd’hui refusent de reconnaître le fait que Bousquet a fourni des renseignements à la Résistance, a protégé certains, et a fait échouer plusieurs opérations des divisions SS contre les maquis. Pourtant les témoignages sont bien présents dans les documents d’archives. Il est donc temps de reprendre l’histoire personnel de ce jeune fonctionnaire talentueux, et d’analyser son attitude et son engagement dans le contexte historique.

Rappelons, que le 8 juin 1993, René Bousquet meurt assassiné à son domicile parisien. Haut fonctionnaire du régime de Vichy, il avait été inculpé deux années plus tôt pour crimes contre l’humanité. Son procès devait se tenir à l’automne 1993. La main d’un déséquilibré en jugera autrement. Ce procès, de l’homme, tant espéré par Serge Klarsfeld, pour pouvoir juger le rôle de Vichy, ne pourrait plus avoir lieu. Mais rien n’empêche l’historien de reprendre le dossier et de l’étudier à la lumière des nombreux documents et témoignages à l’appui.

A l’exemple du jeune préfet Jean Moulin, René Bousquet, a été parrainé dans le Sud-Ouest par les radicaux-socialistes (surtout les frères Sarrault) et fut nommé à l’âge de 22 seulement chef adjoint au cabinet de Pierre Cathala, secrétaire d’Etat à l’intérieur dans le premier gouvernement Pierre Laval. Il accepta de servir l’Etat français en totale continuité avec ses engagements sous la Troisième République. Ce n’est nullement un opportuniste, obsédé par « l’honneur » et la « souveraineté » de l’administration française en zone occupée. L’ouvrage met l’accent sur les dilemmes moraux et politiques plutôt que sur une simple classification entre collaborateurs et résistants. C’est une biographie documentée et nuancée, qui tente de dépasser les jugements simplistes sur la Collaboration et d’explorer comme des acteurs administratifs comme Bousquet ont opéré dans un contexte d’extrême pression politique et militaire.

Pour ceux qui attendent des révélations sur les relations de René Bousquet et de François Mitterrand, ce n’est pas le sujet de notre ouvrage. Au-delà de l’histoire de ce fonctionnaire républicain sous Vichy, le livre propose une analyse de l’attitude des préfets et d’autres fonctionnaires face aux exigences allemandes, démontre comment certains, se sont efforcés d’éviter le pire, tout en restant aux ordres de Vichy. C’est sans nulle doute, ce qui explique, parmi d’autres causes, le « paradoxe français » : 75% de la communauté juive en France, soit plus de 230 000 Juifs ont eu la vie sauve et ont échappés aux déportations. Une proportion de victimes – 25%- qui contraste avec les autres pays vaincus comme la Belgique ( 40%) et les Pays-Bas ( 90%)[5].  Le temps est venu aujourd’hui, à la lumière de nouvelles archives, de reconnaître le fait qu’à Vichy, certains représentants ont essayé de limiter l’emprise allemande, ont pris des initiatives moins zélées dans l’application des lois antisémites.

© Limore Yagil


Notes

[1] Limore Yagil est l’auteure de plusieurs ouvrages sur l’histoire du sauvetage des Juifs en France : Des Catholiques au secours des Juifs sous l’Occupation, Paris, Bayard, 2022 ; Les « anonymes » de la Résistance en France 1940-1942 : motivations et engagements de la première heure, SPM/ L’Harmattan, 2019 ; Désobéir. Des gendarmes et des policiers sous l’Occupation 1940-1944, Paris, Nouveau Monde, 2018 ; Au nom de l’Art : 1933-1945 : exils, solidarités, et engagements, Paris, Fayard 2015 ; Jean Bichelonne un polytechnicien sous Vichy : entre mémoire et histoire, Éditions SPM-L’Harmattan 2015 ; Le sauvetage des Juifs dans la région d’Angers – Indre-et-Loire, Mayenne, Sarthe, Maine-et-Loire, Loire Inférieure – 1940-1944, Éditions Le Geste, 2014 ; La France terre de refuge et de désobéissance civile 1936-1944 : sauvetage des Juifs, Paris, Éditions Le Cerf, 2010-2011, 3 vol, 1200p : Tome I : Histoire de la désobéissance civile- Implications des corps de métiers ; Tome II : Implication des fonctionnaires. Le sauvetage aux frontières et dans les villages- refuges ; Tome III : Implication des milieux catholiques et protestants. L’aide des résistants ; Chrétiens et Juifs sous Vichy 1940-1944 : Désobéissance civile et sauvetage, Paris, Le Cerf, 2005.

[2] Pascal Froment, René Bousquet, Stock, 1994.

[3] Reinhard Heydrich, bras droit de Himmler, il était à la tête de l’ensemble de l’appareil de répression nazi, dénommé le RSHA, créateur du SD et des Einsatzgruppen.

[4] Carl Oberg, Obergruppenführer -SS, chef suprême de la SS en France.

[5] A tous nos lecteurs, toute tentative de rapprocher nos propos avec ceux de Eric Zemmour, sont inadéquates et faussent notre analyse. Nous n’avons pas cité les travaux de Zemmour, et comme il ne s’agit pas d’un historien, il ne figure pas parmi nos ouvrages de référence. Toute tentative de nous accuser d’être proche de Zemmour, relève donc de la diffamation, et sera puni par la loi.


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