Nâavez-vous jamais Ă©tĂ© agacĂ©s, mes amis, par cette petite mouche grise, celle qui nâa ni grandeur ni majestĂ©, mais dotĂ©e dâune opiniĂątretĂ© telle quâon la croirait envoyĂ©e par quelque divinitĂ© du dĂ©rangement?
Cette crĂ©ature lĂ©gĂšre, mais dâun zĂšle Ă©pouvantable, revient toujours au mĂȘme endroit, comme si votre Ă©paule Ă©tait son trĂŽne et votre patience son royaume, jusquâĂ ce que, excĂ©dĂ©, votre main hĂ©site entre lâaplatir dâun revers ou en rire pour ne point en pleurer.
HĂ©las, quâon me pardonne lâaudace, mais chaque fois que cette image me traverse lâesprit, je vois aussitĂŽt surgir la silhouette opiniĂątre et affairĂ©e du sieur Macron, qui virevolte autour dâIsraĂ«l avec une constance que lâon envierait volontiers Ă un serviteur, sâil la mettait au service de quelque noble cause.
Car enfin, voyez-vous, il fut un temps, fort long dĂ©jĂ , oĂč ce bon prĂ©sident prit fantaisie de se faire voir en censeur des nations. Et depuis ce jour, Dieu nous garde des ambitions mal Ă©clairĂ©es, il sâest persuadĂ© quâil appartient Ă la France non seulement de donner des leçons, mais dâen discourir avec la majestĂ© dâun sage antique, dont il prend le ton, faute dâen Ă©galer lâesprit.
IsraĂ«l, plus que tout autre, est devenu pour lui ce théùtre de remontrances oĂč il sâessaye Ă jouer le rĂŽle du maĂźtre sĂ©vĂšre : « ModĂ©rez-vous ! », « Respectez le cessez-le-feu ! », « La France vous avertit ! »
Croirait-on entendre un ministre dâĂtat ? Nenni. On dirait plutĂŽt un stagiaire de lâONU qui, ayant dĂ©couvert un tampon « AVERTISSEMENT » dans un vieux tiroir capitonnĂ© dâun boudoir diplomatique, sâen serait Ă©prisĂ© comme dâun trĂ©sor et frapperait de son sceau tout ce qui bouge et respire, surtout quand ça cause en hĂ©breu.
Et pourtant, mes amis, ce grand théùtre de la remontrance nâest quâun voile lĂ©ger posĂ© sur un ressort plus profond, un imaginaire de mĂŽme qui rĂȘve de porter lâĂ©pĂ©e sans jamais avoir tenu le bouclier. Sous le vernis de la morale quâil agite, et derriĂšre ces appels solennels Ă la paix lancĂ©s depuis lâĂlysĂ©e, oĂč lâon reçoit et enlace, souriant et grave, jusquâaux artisans proclamĂ©s de la terreur quâon assure pourtant vouloir combattre, il est aisĂ© de discerner lâombre dâun petit page qui se prend pour un gĂ©nĂ©ral.
Car Monsieur Macron, lorsquâil ne sâemploie point Ă sermonner IsraĂ«l, pays meurtri, menacĂ© et endeuillĂ© dont il exige la retenue, sâenflamme soudain, Ă propos de la Russie, dâune ardeur martiale que nul nâattendait. Le voilĂ donc, lâĆil sombre et la voix posĂ©e, sâadressant aux Français. Il faut, dit-il, « prĂ©parer la nation » et « accepter quâil y ait des morts », comme si la France, sans en avoir Ă©tĂ© informĂ©e, se trouvait engagĂ©e dans quelque tragĂ©die dâEschyle oĂč dĂ©jĂ le destin rĂ©clamerait son tribut.
Et pourtant, Ă la connaissance de tout esprit raisonnable, la Russie nâa point dĂ©clarĂ© la guerre Ă la France; elle en a dâautres Ă mener, hĂ©las, mais non celle-ci. Il y a ici, vous en conviendrez, un renversement prodigieux : le prĂ©sident prĂȘche la paix aux assiĂ©gĂ©s et la guerre Ă ceux qui ne sont assiĂ©gĂ©s par personne.
Comment comprendre ce mystĂšre ? Quelles furies invisibles agitent donc ce jeune homme, tantĂŽt prude sur les explosions qui dĂ©chirent IsraĂ«l, tantĂŽt hĂ©roĂŻque sur celles qui nâexistent point pour la France ?
Peut-ĂȘtre faut-il, pour Ă©clairer ce tableau, jeter un Ćil du cĂŽtĂ© de Netanyahou, tel quâil apparaĂźt au monde, et forcĂ©ment Ă Sieur Macron, un chef forgĂ© dans le tumulte des Ă©vĂ©nements, un dirigeant confrontĂ© Ă lâHistoire vraie, qui ne se joue ni en photo ni en posture, mais dans la nuit des salles de crise, lĂ oĂč les dĂ©cisions ont le poids des vies.
Sans doute nâen fallait-il point davantage pour Ă©veiller chez ce Pamphile une jalousie dĂ©licate, sournoise et infantile, de celle quâon voit naĂźtre chez un comĂ©dien lorsquâun confrĂšre reçoit les applaudissements quâil voudrait tant lui revenir.
Alors on le vit sâagiter autour dâIsraĂ«l. Hausser la voix Ă JĂ©rusalem, tenter un remake Ă la Jacques, avec ce sĂ©rieux appliquĂ© et ridicule quâon met aux scĂšnes quâon nâa pas Ă©crites. On lâaperçut battre des ailes, se rĂ©jouir dâun mandat dâarrĂȘt agitĂ© depuis La Haye comme dâun trophĂ©e moral, et sâempresser de faire savoir quâil sây plierait le premier si le chef du gouvernement israĂ©lien venait Ă survoler le ciel de France.
Puis il se plaça en travers des salons dâarmement, refusant lâentrĂ©e aux exposants israĂ©liens comme pour rappeler quâil savait, lui aussi, dire non.
On le vit encore sâemployer aux visas, retenir ceux des agents israĂ©liens chargĂ©s dâassurer en France la sĂ©curitĂ© de leurs avions, affairĂ© Ă prouver, par mille dĂ©tails administratifs, qui ici Ă©tait le chef.
Et, comme pour ponctuer ses emportements et ses soubresauts dâun voile de mystĂšre, il laissa tomber cette promesse grave, aussi solennellement napolĂ©onienne quâindĂ©terminĂ©e : « La France saura rĂ©pondre. »
DĂšs lors, convaincu que le bruit tient lieu de destin, MaĂźtre Macron entreprit de forcer lâHistoire Ă se souvenir de lui. Alors, pour la postĂ©ritĂ©, et parce que le fracas supplĂ©e parfois Ă la grandeur, il lança cette phrase, ample et grave, avec lâair inspirĂ© de celui qui dĂ©tient la clef des temps :
« Ă lâheure des prĂ©dateurs, nous devons ĂȘtre forts pour ĂȘtre craints. »
SitĂŽt la phrase tombĂ©e, fut conviĂ© le dĂ©cor: de lâacier, mes amis. Du massif. Un porte-avions, Ă©norme et rutilant, poussĂ© au milieu du salon comme le plus gros jouet du catalogue, afin que chacun le voie, et que nul ne doute dĂ©sormais que le maĂźtre des lieux soit de taille Ă jouer dans la cour des grands.
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Illustration conceptuelle réalisée avec ChatGPT
DiplĂŽmĂ©e de littĂ©rature française, YaĂ«l Bensimhoun sâest Ă©tablie en IsraĂ«l il y a prĂšs de 20 ans . Câest lĂ quâelle conjugue lâamour de sa langue dâorigine et celui du pays auquel elle a toujours senti appartenir. Elle collabore depuis plusieurs annĂ©es Ă des journaux et magazines franco-israĂ©liens.
