Tribune Juive

« Tais-toi. Non… Parle! » Par Deborah Navah

Tais-toi.

Non… Parle ! 

Depuis le 7 octobre, quelque chose s’est déplacé en moi.

Comme si mon ADN avait glissé d’un cran.

Ma voix, soudain, me semblait moins légitime,

comme si s’exprimer était devenu une faute invisible.

Parfois encore, cette pensée me traverse.

Du jour au lendemain, la parole s’est changée en champ de mines.

Chaque mot pesait trop lourd.

Ma voix, même muette, devenait suspecte.

Pas interdite. Non. mais scrutée, chargée, presque coupable d’exister.

Alors j’ai appris à baisser le volume.

À faire de mon silence, un refuge.

À me demander si ma présence sonore n’était pas… de trop.

Je me suis tue pendant que le monde hurlait.

Je me suis tue pendant que les actes antisémites faisaient un bruit assourdissant.

Et moi, juive, si peu nombreuse,

si étrangement désignée,

je me suis sentie en excès.

Une fissure est apparue. Fine, mais profonde.

Ai-je encore le droit d’exister pleinement, visiblement,

sans m’excuser ?

Tais-toi, murmurait le désespoir.

Mais la légitimité n’est pas qu’un micro ouvert.

C’est le droit d’être là.

Sans dossier à défendre.

Sans test de conformité.

Sans avoir à prouver qu’on est du “bon côté”, assez nuancée, assez discrète, assez acceptable.

Alors oui, parfois je me tais.

Mais ce silence n’est pas un renoncement.

C’est une respiration.

Et respirer, c’est déjà résister.

C’est la preuve intime que je suis vivante. Je me le répète, doucement.

Et si je parle moins qu’avant,

c’est aussi pour écouter autrement.

Pour entendre ce qui ne se dit pas,

ce qui cogne fort derrière les mots,

ce qui tremble dans les non-dits.

Et quand je parle, malgré tout,

ce n’est pas par provocation.

C’est par fidélité.

À quelque chose de plus ancien que la peine.

La certitude que chaque être humain est légitime,

même et surtout quand le monde devient inconfortable avec sa simple existence.

Aujourd’hui, et tous les jours à venir,

nous sommes le 8 octobre.

La guerre n’est peut-être pas totalement finie dehors,

mais en moi, quelque chose doit reprendre.

Je dois réapprendre à parler.

À exister.

À vivre.

© Deborah Navah

Deborah Navah

Deborah Navah est la Responsable du Limoud 2021: Fenêtres sur le Monde

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