Tribune Juive

Viktor Orbán: le Souverainiste européen lève la voix. Par Francis Moritz

Hongrie, le dilemme de la transition écologique et les impératifs industriels

Batteries, colère et démocratie locale

Comment la « transition verte » d’Orbán fracture la Hongrie et comme elle pourrait anticiper d’autres réactions dans l’UE.

Viktor Orbán entend faire de la transition écologique européenne un levier de puissance nationale. En Hongrie, cette ambition passe par une industrialisation massive autour des batteries pour véhicules électriques. Mais derrière la promesse de prospérité se multiplient les conflits locaux, les inquiétudes sanitaires et les fractures démocratiques. Dans un petit village proche de Budapest, la résistance citoyenne a fait tomber un maire soutenu par le pouvoir. Un signal faible, mais révélateur. Ce qui se passe dans ce petit pays de dix millions d’habitants est révélateur mais aussi indicateur d’une confrontation probable entre pro écologie et adversaires, pas disposés à faire de nouveaux sacrifices d’une politique d’exclusions industrielles. La France est devant ce dilemme. Il reste à parier qu’elle sera obligée de lâcher beaucoup de leste sur ses ambitions écologiques, comme semblent le démontrer tous les indicateurs actuels.

Le village qui a dit non

Rien ne laissait présager une telle scène depuis 1989. À Sösküt, 3 500 habitants, une réunion publique dégénère. Une foule en colère envahit une école primaire. Face aux habitants, le maire Ferenc König, figure politique locale depuis plus de vingt ans, perd pied. Marta, institutrice retraitée, l’interpelle violemment : « Je ne voudrais pas être à votre place ». La réunion est annulée, la police appelée. Le maire quitte les lieux sous les cris de « Traître » et « Démission ».

Quelques jours plus tôt, on vantait pourtant calmement à la télévision un projet d’usine de recyclage de batteries de 33 millions d’euros, confié à une firme slovène. Le village accueillait déjà une usine d’électrolytes exploitée par le sud-coréen Dongwha. Le maire assurait que tout venait « du plus haut niveau ».

Ce qu’on sait moins : La Hongrie, est un hub automobile de l’Europe

Depuis son entrée dans l’UE, la Hongrie est devenue un pilier de l’industrie automobile européenne. Mercedes, BMW, Audi, bientôt BYD : tous ont été attirés par des subventions généreuses, une fiscalité avantageuse et une main-d’œuvre qualifiée à bas coût. Le secteur emploie environ 150 000 personnes et pèse lourd dans les exportations.

Dans le cadre de la transition vers les véhicules électriques, le gouvernement Orbán a encouragé l’implantation d’usines de batteries à grande échelle. Une stratégie alignée sur les objectifs européens visant à réduire la dépendance à la Chine, qui contrôle l’essentiel de la production mondiale.

Une industrie NIMBY… imposée, qu’on dit peu…

Partout dans le monde, les usines de batteries sont des projets « NIMBY » : personne n’en veut près de chez soi. Pollution de l’air et de l’eau, produits chimiques toxiques, risques industriels. En Hongrie, nombre de ces installations ont été construites à proximité immédiate de zones résidentielles.

Des protestations ont éclaté à Debrecen, Göd ou Ivancsa. Mais jusqu’à présent, elles n’ont que rarement ébranlé le pouvoir. Sösküt fait figure d’exception : la colère populaire y a permis l’élection d’un conseil municipal issu d’un mouvement citoyen, le Cercle civique de Sösküt, qui a bloqué le projet.

Orbán, la « transition verte » comme projet de puissance

Pour Viktor Orbán, la transition écologique est avant tout géopolitique. À Baile Tușnad, en Roumanie, où il expose chaque été sa vision, il promet de faire de la Hongrie l’un des premiers producteurs mondiaux de batteries. L’UE prévoit de multiplier par six sa capacité de production d’ici 2030 ; 20 % de cette capacité pourrait être concentrée en Hongrie, qui ne représente pourtant que 2 % de la population européenne.

Cette ambition renforce la stature internationale d’Orbán, proche de Pékin, Moscou et Washington, tout en nourrissant son discours de souveraineté nationale. Mais à l’intérieur, elle suscite de plus en plus de résistances.

Une opposition politique en embuscade

À l’approche des élections législatives d’avril, Orbán affronte son adversaire le plus sérieux depuis quinze ans : Peter Magyar, ancien proche du pouvoir devenu chef d’un parti d’opposition de centre droit, en tête des sondages. Lors de ses déplacements, Magyar capitalise sur la colère des riverains des usines de batteries, promettant davantage de transparence et de régulation.

Pour autant, selon plusieurs analystes, même un gouvernement post-Orbán ne démantèlerait pas le secteur : au mieux, il en limiterait les excès.

Des failles économiques et environnementales

Pour Dora Győrffy, professeure à l’université Corvinus, le projet est économiquement absurde. La Hongrie manque d’électricité bon marché, d’eau en abondance, de main-d’œuvre et de capacité de recherche. Le secteur énergétique dépend largement des importations, et les nouvelles usines devraient accroître la consommation électrique nationale d’un tiers.

La pénurie de main-d’œuvre conduit déjà à l’embauche de travailleurs migrants asiatiques, en contradiction flagrante avec la rhétorique anti-immigration du gouvernement.

Réglementations laxistes et pollution avérée

Le gouvernement a attiré les industriels à coups de subventions : plus de 4 milliards d’euros d’aides publiques, infrastructures financées par l’État, contrôles environnementaux limités. L’usine Samsung de Göd est emblématique : malgré de multiples infractions, les amendes se limitaient à quelques milliers d’euros, dérisoires face à un chiffre d’affaires de plusieurs milliards.

Des analyses ont révélé autour du site des concentrations élevées de NMP, un solvant toxique pouvant affecter le développement fœtal. En 2021, l’usine aurait rejeté 81 tonnes de NMP, soit 75 fois la limite aujourd’hui admise par l’UE.

Sous la pression européenne, les autorités hongroises ont récemment durci le ton : amende record de 250 000 euros, retrait du permis d’exploitation. Mais l’usine continue de fonctionner, dans un flou juridique.

Vivre à l’ombre d’une giga-usine

A Göd, l’usine Samsung domine désormais le paysage. Bruit permanent, lumière nocturne, migraines : l’immobilier voisin devient invendable.

Des voisins sont partis, d’autres espèrent une indemnisation publique suspendue depuis la pandémie. Les démarches auprès des autorités et de Samsung sont restées lettre morte. Même sentiment d’abandon chez Lajos, ancien cadre, qui accuse les responsables politiques d’attendre que les habitants « disparaissent ».

Le précédent de Göd

En 2019, la colère contre Samsung avait porté un maire anti-Fidesz au pouvoir. Le gouvernement a réagi en retirant la zone industrielle à la municipalité, privant la ville de ses recettes fiscales. Aux élections suivantes, un maire pro-gouvernemental a été élu, et les taxes sont revenues. Message implicite : accepter l’usine, ou perdre les moyens de survivre.

Sösküt, une résistance fragile mais vivante

À Sösküt, les militants du Cercle civique espèrent éviter ce scénario. Le nouveau conseil municipal a relancé la vie locale, marchés, événements, liens sociaux. Pour Patrik, jeune élu, la mobilisation contre l’usine a paradoxalement redynamisé le village.

Marta reste convaincue que tout est possible : « Nous n’aurions jamais cru que les Russes partiraient, et pourtant ils sont partis ». Pour elle, la bataille dépasse les batteries : elle concerne le droit des citoyens à décider de leur avenir.

Une transition sous tension

Devant les nombreux problèmes auxquels l’Union est confrontée, l’écologie est reléguée à la dernière place des priorités. Les prochaines élections, dont les municipales françaises sont les plus proches, Elles indiqueront ce tournant . On pourra alors juger en temps réel à quelle place les citoyens place l’Écologie actuellement.

La Hongrie incarne les contradictions de la transition verte européenne : dépendance industrielle, pollution reléguée à la périphérie, démocratie locale mise à l’épreuve. À Sösküt, une victoire citoyenne montre que le scénario n’est pas écrit d’avance. Reste à savoir s’il s’agit d’une exception… ou d’un avant-goût, après la décision de l’UE de repousser la fin des véhicules actuels au-delà de 2035.

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


Quitter la version mobile