
Et si leur vieux rêve s’accomplissait enfin, ils devraient bien se trouver de nouvelles cibles. Peut-être les coiffeurs comme dans la blague …
Ils ont besoin du Juif comme d’un miroir.
Sans lui, leurs discours s’effondrent, leurs bilans pourrissent à la lumière.
Quand l’État ment, pille, échoue, il lui faut un visage à accuser :
un visage commode, chargé de mythes.
C’est le vieux truc : le Juif paie la facture de la corruption des autres.
Du Caire à Damas, de Téhéran à Alger, chaque régime a sa version du catéchisme :
« Nos hôpitaux manquent de médicaments ? C’est le sionisme. »
« Nos caisses sont vides ? C’est la finance juive. »
« Nos jeunes s’exilent ? C’est la propagande d’Israël. »
Plus de boulot ? “Ala khatar el youd” (c’est à cause des Juifs).
L’ouragan Daniel ? “Daniel, c’est un nom juif, non ?”
Quand les dirigeants échouent, ils crient au complot.
Quand ils volent, ils invoquent la dignité nationale.
Et pendant que leurs enfants des classes dominantes étudient à Londres, à Paris ou à New York, ils vendent au peuple la fable du Juif tentaculaire.
Mais imaginons une minute que leur rêve morbide s’accomplisse : plus de Juifs.
Leur haine perdrait son carburant, leur nullité et leur prévarication leur alibi.
À qui jetteraient-ils la pierre ?
À Andorre ? Aux nuages ?
Privés de leur bouc émissaire, ils devraient enfin se regarder dans la glace – spectacle insoutenable.
Et que resterait-il du monde ?
Plus d’Einstein pour dévoiler la lumière,
plus de Freud pour disséquer leurs névroses,
plus de Salk pour sauver leurs enfants de la polio,
plus de Chagall pour peindre leurs rêves,
plus de Gershwin pour rythmer leurs illusions,
plus d’Arendt pour leur rappeler la pensée,
plus de Woody Allen pour rire de leur médiocrité,
plus de Spinoza pour leur dire que Dieu n’est pas dans la haine,
et tant d’autres découvertes, inventions et intuitions qui, siècle après siècle, ont fait progresser le monde, la liste est trop longue …
Le monde deviendrait gris, banal, sans étincelle : un désert d’intelligence.
L’antisémitisme est l’impôt que payent les peuples gouvernés par des incompétents.
C’est la monnaie la plus stable des régimes corrompus : quand tout s’effondre, on imprime de la haine.
Elle ne coûte rien, elle rapporte gros, elle justifie tout.
Mais sans le Juif, il ne leur reste que leur faillite nue, leurs palais vides et leur honte inexpliquée.
Les larmes sélectives
Ils pleurent juste à temps, toujours.
Ils s’émeuvent selon le calendrier, avec des larmes calibrées et une indignation recyclable.
Chaque cause a sa semaine, chaque victime sa minute de visibilité — jusqu’à la suivante.
Ils signent les pétitions comme on “like” une photo : pour ne pas rater le train de la vertu.
Mais dès que la victime est juive, l’émotion cale.
Leur compassion s’enraye, leurs lèvres se pincent : ils cherchent une nuance, une “mise en contexte”, un “oui, mais…”.
Là, soudain, les grands défenseurs de la dignité humaine deviennent géopoliticiens, ethnographes, experts en causes profondes.
Ils trouvent toujours une explication qui excuse l’innommable.
Pour un enfant mort à Gaza, on manifeste.
Pour un enfant juif assassiné à Toulouse, on “comprend les tensions”.
Deux morts, deux silences : l’un poétique, l’autre gêné.
C’est la comptabilité morale d’un siècle fatigué : on pleure selon la rentabilité symbolique.
Le Juif leur gâche la mise en scène
Il est le grain de sable dans la mécanique des bons sentiments.
Trop occidental pour être victime, trop victime pour être coupable : il dérange la narration.
Alors on le rature. On le remplace par des concepts. On parle “de tensions”, “de cycles”, “de réponses disproportionnées”.
Et pendant ce temps, les morts ont des visages qu’on floute.
Qu’on ne s’y trompe pas : leur silence n’est pas neutralité, c’est un choix.
Leur compassion sélective nourrit les bourreaux qu’ils prétendent haïr.
En différant l’indignation, ils la rendent caduque.
Et les tueurs, eux, ont compris la leçon : il existe des morts plus rentables que d’autres.
La neutralité comme complicité
Je connais bien cette voix qui dit sans délai : « Restons mesurés, gardons la distance, ne généralisons pas, pas d’amalgame, il ne faut pas stigmatiser, vous n’aurez pas ma haine !»
C’est la voix polie de la neutralité, celle qui aime les nuances quand il faudrait du courage, les parenthèses quand il faudrait des mots simples.
Elle se croit prudente ; elle est lâche.
Elle prétend protéger la raison ; elle enterre la vérité sous les euphémismes.
Je l’entends encore, cette voix. Elle murmure dans les rédactions, dans les ministères, dans les cafés où l’on disserte sur “le conflit” au lieu de nommer les tueurs.
Elle pèse les souffrances sur sa balance analytique : un mort ici, un mort là ; tout se compense, tout s’équilibre.
Et pendant qu’elle mesure, d’autres frappent.
Cette voix, c’est la mienne quand je me tais.
Celle du journaliste qui attend que la marée redescende avant d’avoir une opinion, du diplomate qui confond la dignité et la lâcheté, du voisin qui détourne les yeux parce qu’il veut dormir tranquille.
Nous avons inventé un mot pour cela : neutralité.
Mais c’est un mensonge élégant pour dire complicité.
Car face à la haine, se taire, c’est parler à sa place.
C’est lui céder le micro, l’estrade et la mémoire.
Celui qui prétend rester au-dessus du combat finit toujours par s’asseoir du côté du plus fort.
Et l’histoire, elle, ne retient pas les nuances : elle retient les silences.
Épilogue – Les théoriciens du renversement moral
Ils se présentent comme les gardiens de la nuance, les veilleurs de la complexité.
Ils s’autoproclament “critiques”, “de constructeurs”, “penseurs du care” ; en réalité, ils n’aiment que les bourreaux à condition qu’ils aient bonne presse.
Sous leur plume, la victime devient suspecte, le meurtrier militant, la haine légitime dès qu’elle s’abrite derrière un vocabulaire savant.
Ces professeurs d’ambiguïté retournent la compassion comme un gant :
ils prêchent l’universalisme en pratiquant la hiérarchie des douleurs.
Leur morale est un tapis de conférences, tissé de concepts où trébuchent la vérité et la honte.
Ils citent Marx, Derrida, Foucault, et quelques slogans recyclés pour donner du lustre à leur vide.
Ils pondent des colloques sur la “violence symbolique” pendant que la vraie violence égorge dans les rues.
Ils mesurent la mort au compas idéologique : un crime ici, une excuse là ; l’équilibre est rétabli, le séminaire peut continuer.
Ils ne brûlent pas les livres ; ils les expliquent jusqu’à les vider.
Ils ne haïssent pas ouvertement ; ils “contextualisent”.
Ils n’appellent pas au meurtre ; ils en analysent les causes avec cette satisfaction du demi-dieu qui théorise la boue.
Et pendant qu’ils bavardent, les tueurs n’attendent pas la fin du colloque.
Le monde se déchire, la peur monte, mais eux continuent d’ajuster leur syntaxe,
sûrs d’eux, sûrs de leur pureté intellectuelle.
Qu’en pensent donc ces professeurs d’humanité qui enseignent la haine sous couvert de théorie ?
Ces maîtres à penser qui transforment le meurtre en sujet de mémoire, le fanatisme en poétique du désespoir ?
Leur courage se limite à la tribune ; leur empathie, au communiqué.
Monsieur Le Président Macron n’a pas eu l’audace de nommer les victimes : des juifs .
Ils ne sont pas morts parce qu’Australiens, ses condoléances ont délibérément oublié les juifs …
Et quand il n’y aura plus de Juifs pour les obséder, pour nourrir leurs dissertations et leurs indignations calculées, s’en prendront-ils aux coiffeurs ?
Probablement. Coiffeurs, prenez garde.
Demandez dès aujourd’hui conseil à Girard et Nietzche et méfiez-vous d’Emmanuel, de Juliette , d’Agnès et de tant d’autres bonnes consciences, ils diront : « nous ne pouvons pas rester silencieux » et ils vous accableront.
© Paul Germon
