La hanoukkia sur le sable et la lâcheté autour. Par Nataneli

On m’objectera que ce n’était qu’une chandelle, qu’un rite parmi d’autres, une scène fugitive au bord d’une mer lointaine. Je soutiens l’inverse : c’était un révélateur. Une hanoukkia dressée sur le sable de Bondi, et, autour, la capacité d’une société à tolérer la présence juive, visible, tranquille, sans qu’elle devienne prétexte à la meute.

Hanouka n’a rien d’un divertissement exotique. C’est une commémoration de survie, un rappel de continuité, la transmission d’une fidélité. Huit lumières disent, avec sobriété, que l’identité juive ne se négocie pas, ne s’efface pas, ne s’excuse pas. Ce geste ne réclame rien d’autre que ce que toute démocratie se vante d’accorder : la liberté de conscience et la sûreté ordinaire.

Or c’est précisément cette normalité qui est attaquée. Ce qui se présente, trop souvent, n’est pas une critique, encore moins une pensée. C’est une hostilité de réflexe. Elle ne procède pas d’un examen, mais d’un conditionnement ; elle ne s’appuie pas sur des faits, mais sur des formules ; elle ne vise pas des actes, mais des êtres. Elle aime les silhouettes grossières, les amalgames commodes, les accusations générales, parce qu’ils dispensent de comprendre. Elle se nourrit d’une paresse morale : celle qui fait confondre un Juif avec une abstraction, puis l’abstraction avec un coupable désigné d’avance.

Ce que l’on nomme “tension” ou “conflit importé” ne suffit pas à expliquer cette déchéance. Une société se juge à la façon dont elle protège les minorités lorsque le vent tourne, lorsque l’humeur s’échauffe, lorsque la rumeur enfle. À ce test, trop d’esprits échouent. On accepte que l’injure se banalise, que l’intimidation prenne ses aises, que l’on filme, que l’on cerne, que l’on crie, que l’on menace — et l’on feint ensuite de s’étonner que des citoyens renoncent à se montrer, à célébrer, parfois à vivre au grand jour.

Il faut dire les choses avec netteté : l’antisémitisme contemporain se pare volontiers des vêtements de la vertu. Il se dit “politique”, il se dit “humanitaire”, il se dit “indigné”. Il emprunte le lexique des causes justes pour conserver, intacte, la vieille passion : désigner le Juif. Il n’a pas toujours la brutalité du passé ; il en garde la structure. Hier, on accusait le Juif de tous les maux ; aujourd’hui, on lui conteste le droit d’être là, tout simplement là, dans l’espace public, sans passer au préalable par un tribunal idéologique.

On voit alors prospérer une contorsion commode : certains exigent des Juifs qu’ils soient exemplaires, irréprochables, silencieux, et surtout invisibles. On leur impose une condition que l’on n’impose à personne : se justifier d’exister. Voilà la vraie obscénité. Car une démocratie qui tolère que des familles aient peur d’allumer une hanoukkia, qui tolère que des enfants apprennent à baisser la voix sur leur identité, qui tolère que des femmes hésitent à porter une étoile de David, abdique plus qu’un principe : elle abdique une part d’elle-même.

Je ne méconnais pas les douleurs du monde, ni la force des images, ni la tentation des camps. Mais aucune douleur n’autorise la persécution symbolique. Aucune cause ne confère le droit de viser un voisin pour ce qu’il est. Et aucune indignation ne devient noble lorsqu’elle s’acharne sur une minorité déjà chargée d’histoire, déjà familière de l’exclusion.

La question, au fond, est simple : voulons-nous d’un monde où une cérémonie juive, paisible, devienne une scène de tension, un sujet de sommation, une occasion d’hostilité ? Voulons-nous d’un ordre public où l’on demande aux Juifs de se faire discrets pour que les autres demeurent calmes ? Cette logique est une capitulation. Elle réinstalle, sous des dehors neufs, l’antique règle : “Taisez-vous, cachez-vous, adaptez-vous”.

Il est temps, au contraire, de rétablir une exigence élémentaire : la protection de la vie civique ordinaire. La liberté religieuse n’est pas un caprice ; elle est un droit. La laïcité n’est pas une arme contre les croyants ; elle est une garantie pour tous, afin que personne n’impose sa foi, et que nul ne soit inquiété pour la sienne. La sûreté n’est pas une faveur ; elle est la condition même de la citoyenneté.

Une tribune n’a pas à se payer de grands mots. Elle doit seulement rappeler ceci : quand on laisse s’installer l’intimidation, on prépare l’avilissement général. Aujourd’hui, ce sont des bougies que l’on harcèle ; demain, ce sera autre chose. L’habitude de désigner, de traquer, d’exiger des reniements, finit toujours par s’étendre. Ceux qui applaudissent ces scènes au nom d’une cause découvriront, un jour, que la meute ne connaît pas la gratitude.

La hanoukkia sur le sable n’était pas un défi. C’était une présence. Une présence juive, calme, ancienne, légitime. Et si une société ne sait plus accueillir cette présence sans crispation, alors elle n’a pas seulement un problème “communautaire” : elle a un problème de civilisation.

Qu’on laisse donc les lumières se lever, sans sommation, sans hurlements, sans menaces. Qu’on rende à chacun le droit simple d’exister au grand jour. Et qu’on ait, enfin, le courage de nommer l’ennemi : non pas une communauté, jamais, mais la haine elle-même — sa vulgarité, sa contagion, sa prétention à remplacer la pensée.

Haï (חי).

©️ Nataneli

Nataneli Lizee est journaliste et Correspondante de Presse

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