David Germon, depuis Israël, revient sur les émissions que nous aurions loupées…
Dans un entretien rare et sans langue de bois avec Ayala Hasson, Eyal Tzur-Cohen, ancien haut responsable du Mossad et ex-commandant d’une unité de mista’arvim au sein du Shin Bet, démonte un à un les récits dominants autour du 7 octobre et des négociations sur les otages.
Entre critique de l’administration Biden, clarification du rôle du gouvernement israélien et mise en cause frontale des services de renseignement, il offre un regard intérieur sur ce que l’on a voulu présenter comme des “vérités établies”.
L’émission
Entretien d’Ayala Hasson (journaliste et présentatrice TV israélienne) avec Eyal Tzur-Cohen (ancien haut responsable du Mossad – service de renseignement extérieur d’Israël – et ex-commandant d’une unité de “mista’arvim”, forces spéciales infiltrées se faisant passer pour des Arabes, au sein du Shin Bet – service de sécurité intérieure).
1. Présentation de l’invité
Ayala Hasson (journaliste, présentatrice de l’émission) :
Chacun est libre d’avoir son opinion, et c’est son droit.
Tu as été chef de l’équipe de négociation pour la libération des otages au nom du Mossad (l’agence de renseignement extérieur israélienne), après de nombreuses années à des postes très élevés au sein de l’organisation.
Avant cela, tu as passé de longues années au Shin Bet / Shabak (service de sécurité intérieure, contre-terrorisme) comme chef de l’unité opérationnelle des “mista’arvim” (unité infiltrée opérant en civil, déguisée en Arabes, à l’intérieur des zones palestiniennes).
Après une carrière pleine de risques et de responsabilités – où Ronen Bar (alors cadre supérieur du Shin Bet, devenu plus tard directeur du service) a servi comme ton adjoint dans l’un de tes postes – tu parles plusieurs langues et tu maîtrises parfaitement le “langage” des services de renseignement.
Tu t’appelles Eyal Tzur-Cohen, et c’est ta première interview télévisée.
Voici l’entretien que j’ai réalisé avec toi il y a peu.
Ayala Hasson :
Bonsoir, Eyal Tzur-Cohen.
Eyal Tzur-Cohen :
Bonsoir, Ayala.
Ayala :
Comment vas-tu ?
Eyal :
Je me sens très bien, merci de m’avoir invité.
Ayala :
Merci d’être venu, c’est un honneur pour nous.
2. Parcours dans les services de sécurité
Ayala :
Tu as occupé une multitude de postes au cours de ta vie, des postes où tu as mis ta vie en danger – et parfois celle d’autres personnes – et, cette fois, c’est un exercice d’un autre genre : une interview en plateau. Une arène différente, à laquelle tu n’es pas habitué.
Eyal :
Non, je ne suis pas habitué, mais avec ton aide, je sens que je m’en sors plutôt bien.
Ayala :
Très bien. Alors, en quelques phrases : qui es-tu ?
Eyal :
J’ai servi 35 ans dans le système de sécurité israélien :
- 19 ans au Shin Bet (Shabak) – le service de sécurité intérieure,
- 16 ans au Mossad – renseignement extérieur.
La quasi-totalité de mes postes étaient opérationnels.
Au Shin Bet, j’ai servi comme combattant dans une unité de mista’arvim (forces spéciales infiltrées, opérant en civil dans les zones arabes), puis j’ai commandé cette unité pendant la seconde Intifada (soulèvement palestinien du début des années 2000).
Ayala :
Comme commandant ?
Eyal :
Comme commandant, oui.
Ayala :
Et ton adjoint était Ronen Bar ?
Eyal :
Oui. Ronen Bar (alors cadre supérieur du Shin Bet, devenu plus tard directeur du service) était mon adjoint pendant la seconde Intifada, pendant deux ans.
Ayala :
Même s’il ne venait pas de cette unité…
Eyal :
Exact, il ne venait pas de cette unité, il n’a pas “grandi” en tant que arabiste (officier spécialisé dans la langue et la culture arabes). Moi oui. Toute ma carrière, je suis issu de ce monde-là.
Ayala :
Et au Mossad ?
Eyal :
Au Mossad, j’ai occupé divers postes :
- chef de division (équivalent à la direction d’un grand département opérationnel),
- adjoint d’un chef de département,
- puis deux postes de chef de département :
- chef du département “Afka” (nom de code interne, chargé de missions opérationnelles spécifiques),
- et chef du département “Tevel” (département chargé des relations et coopérations avec les services étrangers et des opérations à l’international).
En tout, j’ai été environ huit ans chef de département, et j’ai pris ma retraite il y a un an, en 2024.
3. Rôle dans les négociations pour les otages
Ayala :
Et tu as été chef de l’équipe de négociation pour la libération des otages, n’est-ce pas ?
Eyal :
Oui. À partir du 7 octobre (attaque du Hamas contre le sud d’Israël en 2023), j’ai dirigé l’équipe de négociation :
- d’abord pour la libération des deux premières otages,
Natalie et Judith Raanan (mère et fille, citoyennes américaines), - libérées vers le 20 octobre, quelques jours après l’attaque.
Ensuite, j’ai dirigé le round de novembre, où environ 110 otages – femmes et enfants – ont été libérés.
On voit d’ailleurs à l’écran certaines images de ce round, qui paraît aujourd’hui déjà lointain.
Ayala :
Jusqu’au changement d’administration américaine…
Eyal :
Oui. J’ai terminé mes fonctions lors des élections américaines, quand Donald Trump a remporté les élections (retour à la Maison-Blanche).
4. Le rôle de l’administration Biden dans les négociations
Ayala :
Je veux te parler du Qatar, du Hamas, et de la manière dont ce dossier a été géré.
Il y avait une image publique du rôle de l’administration Biden dans le dossier des otages – une certaine “légende” – et, en coulisses, c’était autre chose. Que s’est-il passé derrière le rideau ?
Eyal :
L’administration Biden a accompagné les négociations de manière très significative durant l’année 2024, à partir du moment où le premier round (le round de novembre) s’est effondré.
Je pense que le public manquait de base factuelle pour vraiment évaluer et comprendre à quel point l’implication de l’administration Biden et de ses envoyés – comme Tony Blinken et Jake Sullivan (émissaires américains de haut niveau envoyés par la Maison-Blanche pour gérer le dossier) – a été peu constructive pour les négociations.
Ayala :
“Peu constructive” ?
Eyal :
Oui, pas constructive pour ce que nous cherchions à obtenir.
Nous étions autour de la table, et…
Ayala :
Ils ont fait échouer les négociations ?
Eyal :
Je ne dirais pas qu’ils les ont “fait échouer” de manière directe.
Mais leur politique, surtout à partir d’avril 2024, était fortement influencée par :
- la campagne électorale américaine,
- la peur de certains groupes politiques internes aux États-Unis qui les regardaient d’un mauvais œil.
Tout cela a eu un impact très important.
Nous n’avons pratiquement pas vu de pression américaine réelle :
- ni sur les médiateurs du Qatar,
- ni sur le Hamas lui-même.
Au contraire, la plupart des pressions exercées par l’administration Biden, nous les avons ressenties principalement sur le gouvernement israélien.
Ayala :
Comment cela s’est-il traduit concrètement ?
Eyal :
Surtout sur les “leviers” essentiels que nous pouvions utiliser dans les négociations, à un moment où ils étaient critiques :
- l’aide humanitaire (son volume et son rythme, utilisés comme levier de pression sur le Hamas),
- la liberté d’emploi de certaines munitions (restrictions sur les types de frappes et d’armes),
- les limites imposées à notre liberté d’action, notamment :
- l’entrée dans d’autres zones de la bande de Gaza,
- y compris Rafah (ville au sud de Gaza, dernier bastion du Hamas), où l’administration américaine avait de fortes réserves.
Ayala :
Donc, d’un côté, beaucoup de sympathie et d’empathie affichées envers les familles des otages, et, de l’autre, ces restrictions…
Eyal :
Exactement. D’un côté, sympathie et empathie publiques très fortes vis-à-vis des familles d’otages – en façade.
Mais, en pratique, au moment où il aurait été possible de pousser vers un accord plus global, ces leviers critiques nous ont été retirés, ou sérieusement restreints.
5. « Nous n’étions pas à un cheveu d’un accord »
Ayala :
Est-ce qu’à cette période-là, il y avait une possibilité de deal complet – une transaction globale sur tous les otages, comme on l’a souvent entendu dans les médias ?
Eyal :
Non. Absolument pas.
En 2024, jusqu’au changement d’administration américaine, nous n’avons jamais été proches d’un accord, pas même “à un cheveu”, contrairement à ce qui a été raconté parfois dans les médias.
Il y a eu des hauts et des bas, des sensations de progrès, mais c’était :
- un pas en avant, deux pas en arrière.
Nous n’avons jamais été “à un pas” d’une grande transaction, comme certains briefings l’ont laissé croire. Cela n’a jamais été la réalité.
Ayala :
Alors qui a brieffé les médias ? Les journalistes n’ont pas inventé ces “fuites”… d’où ça venait ?
Eyal :
Il faut dire les choses honnêtement :
le public – et souvent les médias eux-mêmes – n’avaient pas la base factuelle complète.
Ils ne voyaient pas :
- la complexité totale,
- tous les acteurs en jeu,
- toutes les contraintes parallèles.
Beaucoup de gens – dans les médias, dans le public, et chez certaines familles d’otages – se sont accrochés à des hypothèses simplistes :
“Si seulement on résout ce point-là, tout sera réglé.”
Alors qu’en réalité, il y avait une “caravane de chameaux” de problèmes derrière chaque étape.
6. La position du gouvernement israélien sur un accord
Ayala :
Est-ce que le gouvernement s’est opposé à la libération des otages ?
Eyal :
Non. Jamais.
Je n’ai jamais ressenti que le gouvernement s’opposait à un accord.
Au contraire :
- tout au long du processus, j’ai ressenti que le gouvernement voulait un accord,
- il voulait un bon accord,
- un accord qui ait une signification stratégique,
pas seulement une libération ponctuelle, mais un cadre qui ne détruit pas totalement la position stratégique d’Israël.
Ayala :
Surtout quand il s’agit de libérer tous les otages.
Eyal :
Bien sûr.
Quand Trump était déjà en Israël, l’accord final sur la table était, selon moi, significatif et beaucoup plus favorable que tout ce qui avait été proposé pendant l’année 2024 – y compris la fameuse “offre Biden” de mai 2024.
Pour moi, un bon accord, c’est un accord où :
- le premier otage libéré
et - le dernier otage libéré
ont la même probabilité réelle de sortir vivants.
Si, en tant que chef de la négociation, je sais que le dernier otage a beaucoup moins de chances que le premier, ce n’est pas un bon accord.
7. Le 7 octobre et l’échec du Shin Bet (Shabak)
Ayala :
On entend beaucoup de choses sur l’armée, sur les dysfonctionnements dans Tsahal.
On entend beaucoup moins sur le Shin Bet (Shabak).
Que s’est-il passé le 7 octobre ?
Comment est-il possible que le service de sécurité intérieure d’Israël n’ait pas eu un seul agent humain à Gaza (source HUMINT) qui, avant le 7 octobre, décroche son téléphone pour dire :
“Les gars, ils sont en train de vous préparer une tromperie monumentale, préparez-vous.”
Comment une telle situation peut-elle exister ?
Eyal :
D’abord, je dois préciser :
je n’ai pas participé aux enquêtes internes du Shin Bet.
La plupart ont eu lieu au cours de l’année écoulée, alors que j’avais déjà quitté le service.
Mais, quand je regarde les choses, il est évident qu’il y a eu un échec majeur.
Pour répondre pleinement à ta question, il faudrait :
- s’asseoir avec toute la base factuelle,
- voir toutes les décisions prises,
- et en tirer des conclusions structurées.
Ayala :
Tu es un professionnel du renseignement, tu comprends la “matière”.
Tu connais le Shin Bet, le Mossad, le Hamas, tu as été mista’arèv à l’intérieur de Gaza.
Qu’est-ce qui s’est passé, selon toi ?
Eyal :
Je pense qu’une réalité où :
- il n’y a aucune alerte HUMINT (renseignement humain, informateurs sur le terrain),
- et où, en parallèle, le réseau SIGINT (renseignement d’origine électromagnétique : écoutes, interceptions) n’a pas permis de fournir une alerte,
c’est un échec gravissime.
Ce qui m’inquiète beaucoup, d’après ce que j’ai entendu sur certains débriefings, c’est une sorte de tendance à se cacher derrière le “tablier” du niveau politique :
comme si on disait :
“Si seulement la politique avait été correcte, alors le service aurait rempli sa mission.”
Je pense que toi et moi, nous voulons vivre dans un pays où les services de renseignement – et ceux qui les dirigent – savent qu’ils doivent :
- alerter,
- déjouer,
- apporter des analyses et des recommandations,
quelle que soit la politique décidée au sommet.
Pas se cacher derrière l’argument :
“On avait prévenu, donc c’est bon.”
Ayala :
Et si “on avait prévenu”, on aurait dû se préparer, sinon c’est encore pire.
Eyal :
Exactement.
Dire “nous avons alerté” ne suffit pas.
Si on a alerté, il fallait aussi s’assurer que l’on était préparés.
Sinon, c’est encore plus grave.
8. Mossad vs Shin Bet : qui couvre Gaza ?
Ayala :
Dis-nous un mot sur Ronen Bar (ex-directeur du Shin Bet), tu le connais.
Eyal :
Je le connais, c’est un homme talentueux.
Mais ce jour-là, il a échoué.
Les raisons de cet échec lui appartiennent, et il devra les exposer dans les enquêtes et devant le public.
Je peux ajouter une chose, valable pour lui comme pour certains de ses prédécesseurs :
Le Mossad, depuis des années, voulait avoir “pied et main” dans la lutte contre le Hamas, parce qu’il comprenait que :
- la guerre contre le Hamas est internationale,
- pas seulement une affaire de Cisjordanie et de Gaza.
En 2016, quand j’étais chef d’un département de contre-terrorisme au Mossad, nous voulions très fortement être impliqués dans ce qui se passait à Gaza.
Ayala :
Et le Shin Bet a refusé, je connais l’histoire.
Eyal :
Oui, le Shin Bet a refusé.
J’ai souvent cité une phrase de Rabin (ancien Premier ministre Yitzhak Rabin) qui disait :
“Nous avons une maladie qui s’appelle ‘ça ira’.”
Quand un service de renseignement te dit :
“Ne t’inquiète pas, on gère, on est dessus”,
tu dois comprendre qu’il y a un problème, qu’il y a un risque que personne ne soit vraiment “dessus”.
9. Le nouveau chef du Mossad : Ruman Gofman
Ayala :
À propos du Mossad : que penses-tu de la nomination de Ruman Gofman (nouveau directeur du Mossad, ancien secrétaire militaire du Premier ministre) ?
Eyal :
D’abord, je lui souhaite beaucoup de réussite.
Je suis convaincu qu’il comprend l’ampleur du défi qui l’attend.
Ces dernières années, on voit que le monde du secret, de l’espionnage et du contre-espionnage,
lié à la technologie et à la cyber-dimension,
est devenu d’une complexité exponentielle.
Diriger un organisme comme le Mossad, aujourd’hui, c’est une véritable profession, au même titre que :
- la médecine,
- l’ingénierie,
- ou d’autres métiers extrêmement exigeants.
Il faut une compréhension profonde :
- de toutes les branches du renseignement,
- de la logique opérationnelle,
- et des dilemmes éthiques et stratégiques.
Ce n’est pas facile.
Il devra s’entourer des bonnes compétences, pour pouvoir prendre les bonnes décisions au quotidien.
10. Menace iranienne, Hamas, Hezbollah : la stratégie du “temps”
Ayala :
L’Iran est-il encore très dangereux pour nous ?
Eyal :
Oui, extrêmement dangereux.
Et pas seulement l’Iran : Hamas, Hezbollah et l’Iran ont aujourd’hui une stratégie commune :
Maintenir Israël dans un niveau “supportable” d’insatisfaction.
- Insatisfaction – parce qu’ils veulent continuer à agir contre nous.
- Mais “supportable” – pour éviter que nous nous levions pour une guerre totale contre eux maintenant.
Pour eux, le temps est un facteur clé :
- ils veulent gagner du temps,
- se réorganiser,
- se reconstruire,
- nous faire “ramper” progressivement vers la situation d’avant le 7 octobre.
Hamas cherche à se réimplanter et nous endormir à nouveau,
pour nous tromper à nouveau plus tard.
Ayala :
Donc, pendant que nous sommes occupés à nous disputer en interne, eux préparent déjà le “next”, le prochain coup.
Eyal :
Oui.
Nous ne pouvons pas accepter cette situation.
Nous ne pouvons pas :
- revenir à une politique de “containment” (laisser l’ennemi se renforcer tant qu’il ne dépasse pas certaines lignes),
- renoncer à une présence au sol quand elle est nécessaire,
- adopter une posture trop défensive,
- nous laisser dicter notre conduite uniquement par la pression internationale.
Sinon, nous reviendrons au même point.
11. Comment le même pays a-t-il connu le 7/10 et, ensuite, des succès spectaculaires ?
Ayala :
Comment peut-il se faire que le même pays, avec les mêmes services de renseignement et les mêmes forces de sécurité,
ait connu le 7 octobre – un échec monumental –
et, dans les deux années suivantes, ait réalisé des succès opérationnels phénoménaux ?
Ça semble contredire le bon sens.
Eyal :
Je suis d’accord, c’est déroutant.
Parfois, cela tient aussi aux personnes à la tête des organisations :
- leur culture de responsabilité,
- leur capacité à écouter les alertes,
- leur style de commandement.
Les enquêtes devront répondre précisément à cette question.
Je me réjouis de voir la capacité de résilience du pays, du public, des forces sur le terrain – ce que j’appelle la “reconstruction” de l’État après le choc.
Mais l’échec du 7 octobre restera une tâche très difficile à effacer.
12. Le nouveau chef du Shin Bet : David (Dudi) Zini
Ayala :
Tu as été candidat à la direction du Shin Bet également.
Que penses-tu de David Zini (général, nouveau chef du Shin Bet) ?
Eyal :
Honnêtement, je ne le connaissais pas personnellement avant que son nom ne soit évoqué.
Je suis sûr que c’est un homme bien, un combattant courageux, avec un joli parcours – “un roi de la terre”, comme on dit ici.
La vraie question est :
“Dispose-t-il des capacités et des connaissances spécifiques nécessaires pour diriger le Shin Bet dans l’état où il se trouve aujourd’hui ?”
Seul l’avenir le dira.
Pour l’instant, c’est son défi, et il devra s’y confronter.
Ayala :
Tu penses qu’on le “sabote” de l’intérieur ?
Eyal :
Je ne le pense pas.
Je ne vois pas de complot interne pour l’empêcher de réussir.
Je pense simplement que sa réussite – ou son échec – dépendra :
- de sa capacité à comprendre la “profession” du renseignement,
- à s’entourer des bonnes personnes,
- et à assumer une pleine responsabilité face aux échecs comme aux succès.
Ayala :
Son succès est aussi le nôtre, celui de tout le pays.
Eyal :
Tout à fait.
13. Fin de l’interview
Ayala :
Merci beaucoup, Eyal, d’être venu et d’avoir accepté cette première interview télévisée après une carrière entière dans l’ombre.
Eyal :
Merci à toi, Ayala, merci de m’avoir invité.
14. Débat en plateau après l’interview
(Après l’entretien, Ayala Hasson discute en plateau avec plusieurs commentateurs : journalistes et analystes, dont certains anciens militaires et spécialistes du renseignement. Les noms précis ne sont pas toujours indiqués dans la transcription ; on les désigne donc comme “Commentateur 1”, “Commentateur 2”, etc.)
Commentateur 1 (ancien militaire / analyste en plateau) :
Waouh… Il faut dire que c’est un homme remarquable.
C’est quelqu’un de simple, direct, honnête.
On sent la profondeur dans chacune de ses réponses :
- ce ne sont pas des “réponses TikTok”,
- chaque fois, il donne un contexte, une explication, une nuance.
Il a cassé beaucoup de narratifs simplistes, que ce soit :
- “les Américains sont pour nous / contre nous”,
- “le gouvernement a saboté les accords”, etc.
Commentateur 2 (journaliste/commentateur) :
Je retiens surtout un point dramatique :
Pendant des mois – voire des années – on nous a répété que “le gouvernement avait empêché des deals sur les otages”.
C’était très difficile, en tant que citoyen, même d’imaginer que ce soit possible.
Et lui vient nous dire, avec l’autorité de quelqu’un qui était au cœur des négociations :
“C’est du pur fantasme. Ça n’est jamais arrivé.”
C’est une réfutation frontale d’un récit qui a dominé le débat public.
Commentateur 3 (analyste) :
Il insiste aussi sur un point essentiel :
“Nous sommes des professionnels du renseignement.
Nous ne sommes pas des politiciens,
nous ne devons pas faire de politique intérieure ou étrangère.
Nous devons alerter, déjouer, fournir des analyses,
quelles que soient les orientations du gouvernement.”
Pour lui, le renseignement est une profession, et la politique – même américaine – ne peut pas servir d’excuse à l’échec.
Commentateur 4 :
Sur les États-Unis, il met le doigt sur quelque chose de très important :
- le modèle américain au Moyen-Orient (Irak, Libye, Syrie),
- les erreurs de jugement,
- et le fait que, au moment de sensibilité maximale,
l’administration Biden a :- attaqué publiquement le gouvernement israélien,
- parlé d’ultimatums, de sanctions sur les armes, etc.
Il faut être d’une naïveté extrême pour penser que le Hamas ne suit pas cela en temps réel
et ne durcit pas ses positions en entendant ce discours.
Commentateur 5 :
Je veux, moi, être un citoyen – pas un sujet – dans un pays où :
- les services de sécurité sont au bon endroit, au bon moment,
- avant un désastre comme le 7 octobre,
- et où ils ne se cachent pas derrière le niveau politique quand ça tourne mal.
Eyal Tzur-Cohen ne blanchit pas le niveau politique – il ne lave personne de toute responsabilité –
mais il dit clairement :
“Les services doivent prendre leur part, sans se cacher derrière les dirigeants.”
Commentateur 6 :
Et, en même temps, il nous rappelle que ces services sont composés de personnes exceptionnelles :
- qui mettent leur vie en jeu,
- qui refusent d’introduire la politique dans leur travail opérationnel.
Eyal est le prototype de l’homme de terrain qui :
- simplifie les choses,
- parle clair et net,
- ne se protège pas derrière des formules creuses.
On devrait se souvenir de cet entretien, et tout le pays devrait le voir, pour comprendre que :
“Une organisation, ce n’est pas un bloc abstrait ;
ce sont des individus, avec leur intégrité et leur conscience professionnelle.”
15. Ce que l’interview dit, en clair (explication synthétique)
Pour t’aider à exploiter ce texte dans tes articles ou interventions, voici les messages clés de l’interview, en langage direct :
- Sur les négociations d’otages
- L’administration Biden a montré de l’empathie en façade, mais a, selon lui, privé Israël de ses principaux leviers (munitions, liberté d’action à Gaza, pression réelle sur Qatar et Hamas).
- Contrairement au narratif médiatique, Israël n’a jamais été “à un cheveu” d’un grand accord en 2024.
- Le gouvernement israélien n’a pas saboté les accords : il voulait un accord “bon stratégiquement”, pas une capitulation.
- Sur le “deal Trump”
- Après le retour de Trump à la Maison-Blanche, l’accord sur la table était, selon lui, le meilleur proposé depuis le début de la guerre.
- Un bon accord, pour lui, est un accord où le dernier otage a autant de chances de sortir vivant que le premier.
- Sur le 7 octobre
- L’absence d’alerte HUMINT (aucune source humaine à Gaza) et d’alerte SIGINT (renseignement électronique) est, selon lui, un échec colossal du Shin Bet.
- Il dénonce la tendance à “se cacher derrière le politique” : un service de renseignement doit assumer sa responsabilité “quelle que soit la politique”.
- Sur la relation Mossad – Shin Bet
- Le Mossad voulait depuis des années être davantage impliqué contre le Hamas, y compris sur Gaza, justement parce que la menace est internationale.
- Le Shin Bet a bloqué cette implication, ce qu’il considère comme une erreur structurelle.
- Sur les menaces actuelles (Iran, Hamas, Hezbollah)
- Leur stratégie commune :“Maintenir Israël dans une insatisfaction supportable” :
assez pour nous affaiblir,
pas assez pour déclencher une guerre totale contre eux. - Leur objectif : gagner du temps, se reconstruire, nous ré-endormir, pour pouvoir nous surprendre à nouveau.
- Leur stratégie commune :“Maintenir Israël dans une insatisfaction supportable” :
- Sur les nominations à la tête du Mossad et du Shin Bet
- Il souhaite réussite à Ruman Gofman (Mossad) et David Zini (Shin Bet), mais rappelle que :“Diriger ces organisations est une profession à part entière.”
- Ils devront maîtriser le métier du renseignement, s’entourer des bons professionnels, et assumer la responsabilité de leurs décisions.
Les propos d’Eyal Tzur-Cohen dérangent parce qu’ils obligent à revoir la grille de lecture :
ni complot politique interne, ni récit confortable d’un “accord avorté à la dernière minute”, mais une combinaison de pressions extérieures, d’erreurs professionnelles et de responsabilités partagées.
Au-delà des clivages droite–gauche, son témoignage pose une question centrale :
Israël veut-il des services de renseignement qui se protègent derrière le politique,
ou des professionnels qui assument, préviennent et agissent – avant le prochain 7 octobre ? —
© David Germon
