Tribune Juive

Droite. Décombres ou Déni de droite. Par Pierre Cormary

(En communauté d’esprit avec David Di Nota, Pascal Avot, Betty W., Alexandre R.M.,   Marc R., Isabelle M. et quelques autres qui touchent encore la bille et inspirent ce post)

Au moins, c’est clair. Avec son fameux discours du 18 novembre 2025, fait au congrès des maires de France, où il était question de se préparer à une confrontation avec la Russie et à « accepter de perdre ses enfants », le chef d’état-major des Armées, Fabien Mandon, a jeté un pavé dans la mare aux droitards. Comme il y a deux gauches irréconciliables, l’islamogauchiste et la sociale-démocrate sioniste, il y a désormais deux droites irréconciliables, la nationale collabo et l’européenne résistante – pour ne pas dire la décadente et la vaillante, la fin de race et l’humaniste à l’heure. Celle qui n’y croit plus depuis Saint Louis (et qui n’y aurait de toute façon pas non plus cru à son époque) et celle qui estime que rien n’est pas encore perdu et que, bien au contraire, l’Ukraine est la chance pour la France de se retrouver au centre du dispositif et l’occasion pour l’Europe de devenir enfin cette puissance continentale (fédérale ?) frontalière, sécuritaire, nucléaire, identitaire qu’elle devrait être depuis tant d’années.

Car n’en déplaise à nos pacifistes défaitistes dépressifs, la défense et les intérêts de la France passent aujourd’hui par ceux de l’Europe dont le sort se joue à Kiev. Et ne pas vouloir le voir sous prétexte qu’on a aussi des problèmes intra muros, dont l’islamisation et l’insécurité ne sont pas les moindres, est se tromper du tout au tout quant à la valeur d’une nation. D’autant que Mandon, comme beaucoup d’autres généraux, ne cessent de le dire : la France n’est pas si nulle, notre armée est la mieux équipée, première d’Europe, et nous avons une vraie carte à jouer dans l’ordre européen – surtout si l’on se soucie de souveraineté et de rayonnement.

Eh bien non ! À lire tant de forums « droitards », on a l’impression que pour la plupart de nos souchiens, l’idée que la « Fronce » (comme la nomme ironiquement l’amie Betty W.) puisse tenir son rang est tout bonnement insupportable. Tout ce qui pourrait nous redorer le blason les rend malades. Touchez surtout pas à notre déclinisme, pessimisme, obscurantisme, semblent-ils meugler sur les réseaux antisociaux. C’est cela qui sidère : que cette droite soi-disant patriotarde qui se gargarise de De Gaulle, Napoléon, Jeanne d’Arc, Bayard, Duguesclin, Lancelot, se chie dessus dès qu’un vrai militaire lui parle. La force d’âme, le sens de l’honneur et du sacrifice, l’amour martial de la nation, la conscience du tragique, Chanson de Roland et Matière de Bretagne – on croyait que c’était ça, la « Fronce ».  Elle faisait même un peu peur avec son intransigeance cornélienne, son exigence chevaleresque, sa mâle attitude. Sabre au clair ! Tous pour un, un pour tous ! Père, gardez-vous à droite, père, gardez-vous à gauche ! Bernique ! Au premier coup de clairon, c’est courage fuyons !  

Pour autant, nos capitulards ne capitulent pas du tout dans le genre « la lâcheté expliquée à mes filles ». Peu importe que tous les services de renseignement européens s’accordent à dire que la Russie est une menace pour l’ordre mondial. Pour eux qui sont branchés toute la journée sur Radio Kremlin, CNews ou Tocsin (le nouveau site conspi), la vérité est ailleurs (sinon « n’existe plus » comme on le dit au début du dernier Mission impossible). Les media nous mentent, les officiels nous trompent, même la science est suspecte. Et là on touche le fond du problème qui est celui du complotisme contemporain, apanage, hélas, de cette très odieuse droite. Celle-ci qui s’est toujours targuée d’être dans « le réel » se retrouve en tête de l’alter-réalité (en psychanalyse, on appelle ça l’évitement), de la fake news décomplexée, de la pleutrerie organisée – et cela depuis le COVID (car on ne redira jamais assez que la trouille était d’abord du côté des antivax). 

Tous les arguments foireux qu’il faut alors se farcir. À commencer par celui du « vote démocratique » qui devrait décider si l’on se prépare à la guerre ou non. Comme si on avait voté De Gaulle en 1940 avant qu’il ne fasse son appel, ou demandé au petit gars de Géorgie, comme le chantait Michel Sardou dans sa célèbre chanson, s’il tenait tant que ça à venir en Europe nous libérer des nazis. On comprend aisément que les individus n’aient pas d’appétence pour l’engagement militaire.  N’empêche qu’il faut aussi parfois penser les choses à un niveau supra-individuel – et c’est cela à quoi nous servaient l’armée, l’Église, la « tradition », surtout si l’on se disait de droite. Mais notre droite actuelle ne veut plus entendre parler de ça.  Et se croit lucide en ne pensant « qu’à sa gueule » sans se rendre compte que ce « qu’à sa gueule » la conduit dans le mur de l’Histoire où elle risque vraiment de se la casser.

Suit l’objection « technique ». « D’un côté vous dites que l’armée russe est à bout de souffle et que le régime risque de s’effondrer mais de l’autre, vous prétendez que la Russie pourrait attaquer les Pays Baltes, la Finlande et même la Pologne et la Roumanie. Faudrait savoir ! »  Contradiction profane car comme l’expliquent le colonel Goya sur LCI ou Ulrich Bounat, diplômé du master Géopolitique et Sécurité Internationale de l’Institut Catholique de Paris, certes, l’armée russe est au bord de l’effondrement mais l’économie de guerre dans laquelle s’est réfugié Poutine continue de plus belle, et il ne faudra, après le statut quo en Ukraine (que les Russes célèbreront comme une victoire quoi qu’il arrive) qu’à peine trois à quatre ans avant qu’elle ne se reconstitue tant bien que mal et ne recommence ses offensives mortifères – sans oublier le fait que pour Poutine, le soldat russe est de la chair à canon. Qu’importe qu’on se fasse massacrer du moment qu’on avance d’un centimètre par semaine.

Autre antienne : les Ukrainiens ont perdu depuis le début (« on le sait depuis dix ans ! »). Et en cette semaine si importante de pourparlers pour la paix (quoique d’après un plan américain traduit du russe), certains en ont des jouissances géostratégiques. « Ce n’est pas aux vaincus de dicter leurs conditions de paix, voilà ce qui arrive quand on perd une guerre ha ! », comme l’écrit un de ces russistes douguiniens sur son mur Facebook, ravi de voir un peuple se faire écraser par la botte russe et subir un Holodomor 2 auquel on assistera en bouffant du pop-corn – se  pâmant déjà à l’idée que « le pianiste à queue » (ou « pianobite ») soit envoyé en camp de concentration, sinon se fasse abattre en bonne et due forme et comme le craignait l’historien Stéphane Courtois, maître d’œuvre du Livre noir communisme et pour qui Poutine est dans la logique de Staline[1]. Étonnant comme ceux qui se sont dit antisoviétiques pendant des décennies n’entendent même plus ça – et voient désormais dans l’ex-KGBiste Poutine « le rempart de nos valeurs », comme on dit au Salon Beige. De toute façon, pour eux, la nouvelle URSS, c’est l’UERSS. L’ennemi absolu, ce n’est pas Poutine, Xi Jinping ou Kim jong-un, même pas Erdogan, non, c’est « Ursula von der La Hyène » qui nous a imposé ces calamiteux bouchons de bouteilles d’eau qu’on s’en renverse partout quand on les ferme. Inversion totale des valeurs, des situations et des causes. Confusion abjecte des pailles et des poutres : bien sûr que l’Ukraine n’est pas un État net mais comment oser comparer les mazarinades de Zelenski face à l’Etat maffieux et prédateur du Mage du Kremlin ?  Perversion intellectuelle ultime qui consiste à faire de l’agresseur l’agressé, de la victime le coupable et de Poutine un type patient et arrangeant avec qui « il faudra un jour se réconcilier ».  

Consternante, aussi, la nouvelle allégeance de nos droitardés à la folie trumpienne. Eux qui, jusqu’à une période récente, étaient anti-américains jusqu’à l’os et passaient leur temps à dénoncer la domination yankee, les voilà-t-il pas qui lèchent le cul de Donald et jouissent non-stop de l’abominable séquence de Zelenski humilié par ce dernier et Vance dans le bureau ovale. Fascination de la force brute. Éloge érogène de la violence. Désir de servitude. Masochisme viriliste.    La « Fronce », on vous dit.

Enfin, il y a l’objection ultime, absurde, incroyablement hypocrite, celle de l’exhortation à l’engagement personnel. « Si vous êtes pour la guerre, alors allez la faire vous-même ! ». En voilà une idée qu’elle est bonne ! Parce que vous vous étiez engagés contre Daesh, vous, à l’époque ? Vous aviez pris les armes contre le terrorisme islamiste qui, si j’en crois vos fils de discussions, a l’air d’être votre cheval de bataille ? À moins que vous ne fassiez partie de la BAC de votre cité ? Non ? Alors comment on va faire pour mettre la racaille au pas si vous-même n’y allez pas ? Au moins, rassurez-moi, vous êtes pompier ? Non plus ? Vous êtes contre les incendies et vous n’êtes pas pompier ? Curieux.

Encore que là je suis injuste car n’en déplaise à nos déserteurs ratiocineurs, d’après un sondage des Échos[2], 57 % des jeunes gens interrogés seraient prêts à défendre leur pays, dont 51 % en allant combattre en Ukraine. « Le sentiment que le conflit entre l’Ukraine et la Russie, aux portes de l’Union européenne, représente un péril tangible, est bien présent », note une spécialiste. Le regain patriotique qui va de pair avec une conscience européenne – en voilà une vraie bonne nouvelle et qui prouve que pour notre jeunesse, il n’y a pas que les Arabes, les Arabes, les Arabes dans la vie ni même les wokes, les wokes, les wokes. C’est ce que Macron a bien compris avec sa très bonne idée d’un service militaire volontaire. Si ça se trouve, ce sont les non-binaires aux cheveux bleus qui vont nous sauver la mise.

Indignes ceux qui osent alors parler des « morts pour rien », tant structurés qu’ils sont par la haine de soi, le défaitisme à tout crin qu’ils en oublient la noblesse militaire. Comme le dit l’ami Marc Roland, vrai homme de droite s’il en est, lui, et qui s’y connaît : « un soldat de métier n’est jamais mort pour rien car il y a un éthos du guerrier qui dépasse la notion de victoire ou de défaite, de succès ou d’échec. Mishima a écrit des belles choses là-dessus. Ou alors il faudrait en conclure que des milliers de soldats français sont morts pour rien malgré leurs exploits au front et qu’il y ait eu victoire ou non. » En effet, si l’on raisonne ainsi, alors Jeanne d’Arc a été brûlée pour rien et le Soldat Inconnu aurait dû l’être un peu moins. Bassesse sanguinaire du pacifisme.

Mais le comble de l’ignominie fut atteint par Philippe de Villiers le 21 novembre dernier sur CNews[3] lorsque celui-ci osa reprendre à son compte les assassinat d’enfants de ces derniers temps, victimes en effet de la racaille islamiste (et qu’il nomma tour à tour de sa voix aigrement chagrine : Philippine, Lola, Elias, Thomas, Mathis[4]), en faisant un prétexte pour se désengager en Ukraine et, partant de là, se soumettre, sinon se vendre à Vladimir Poutine, exercice dans lequel il excelle depuis longtemps – et comme le rappelle cette vidéo mémorable, datant du 16 août 2014 et toujours visible sur YouTube[5], et dans laquelle on le voit se livrer à un hallucinant léchage de boules, s’appropriant la France comme offrande sacrificielle faite à son nouveau maître, osant prétendre que nombre de compatriotes chérissent Vlad dans leur cœur, s’excusant en leur nom des sanctions européennes qui commençaient à toucher la Russie, allant jusqu’à renier son Napoléon chéri devant son tsar adoré – ne comprenant pas dès lors qu’après une pareille déclaration d’amour, son parc d’attraction vendéen renverrait désormais au camp de concentration russe,  « sa maison mère » comme dit l’ami Pascal Avot.  

Comme on lui préfère la parole tellement plus noble de Jean-Marie Bockel, cet ancien sénateur qui, parce qu’il a perdu précisément un fils à la guerre[6], comprend mieux que quiconque la position du CEMA et ne craint pas de soutenir celui-ci, évoquant dans une émouvante interview comment et pourquoi son fils s’engagea au Mali et ce que signifiait pour lui « la fraternité d’âme avec ses partenaires africains »[7]. Car oui, les nationo, « nos enfants », c’est-à-dire nos soldats, ont toujours été envoyés de par le monde au Liban, au Mali, au Tchad, en Afghanistan afin de faire respecter le droit international – ce concept qui pour vous est si irréel, risible, méprisable alors qu’il devrait être considéré comme notre Décalogue contemporain. Servir le monde au nom de son pays – en voilà une parole de grand Français. À laquelle peut s’ajouter celle toute aussi haute du général Desporte qui déclare sur RTL[8] qu’ « il faut se préparer à la guerre pour que celle-ci n’arrive pas », reprenant le célèbre adage romain – le même que conspue désormais Michel Onfray toujours sur CNews[9], arguant qu’il n’est qu’une formule de lycéen boutonneux qui a trop lu les pages roses (latines) du dico. Michel Onfray pris en flagrant délit de wokisme, soit dit entre parenthèse – ce qui pour un confusionniste professionnel n’est pas si étonnant mais passons.

Non, mieux vaut relire L’Étrange défaite de Marc Bloch, citée par l’ami David Di Nota (en Ukraine depuis un an comme reporter indépendant, chapeau David !) dans un de ses derniers posts[10], et qui rappelle comment à l’époque, « alors que la nuit s’étendait sur la Tchécoslovaquie et que le dépeçage de l’Europe avait déjà commencé, Bloch nous peignait une bourgeoisie française trop occupée à mater du délinquant pour s’intéresser à Hitler. » Drame de cette droite loboto-bolloréisée qui, à force d’obsession sécuritaire et identitaire (les Arabes, les Arabes, les Arabes) ne comprend plus rien à ce qui se passe en Europe et la menace directement. « Telle une concierge entièrement vouée à la propreté de son immeuble, la bourgeoisie sécuritaire a la certitude que le problème de la violence consiste à balayer devant sa porte. C’est dire si la solidarité militaire européenne aura toujours à ses yeux quelque chose de dispendieux et, pour tout dire, de suspect. » C’est là ce déni de droite, erreur qui vient de loin, consubstantielle à elle-même pourrait-on dire, et dans laquelle elle persévère aujourd’hui comme naguère. Et précisons-le : autant la nationale de manière décomplexée que la libérale de manière honteuse. Car comme le dit encore Pascal Avot, où sont les libéraux ? Que foutent David Lisnard ou François-Xavier Bellamy en lesquels on aurait pu mettre pourtant certains espoirs ? Pourquoi est-ce le seul Raphaël Gluksmann à monter au créneau dans cette affaire – lui-même détesté dans son camp entre autres pour cette raison ? Au moins Emmanuel Macron, à qui l’on peut reprocher beaucoup de choses, ne se trompe ni de récit ni de monde ni de valeurs. Comme l’a écrit Arthur Chevallier dans Le Point[11] (décidément, ce post est une synthèse des autres et d’ailleurs se conçoit comme tel), l’Histoire donnera raison à Macron. Et marquera du sceau de l’infamie pour l’éternité cette droite fin de race. Qui dénie le droit. Qui rate le coche. Qui pleurniche. Droite ouin ouin. Droite décombres. Droite conspi, tordue, gerbante. Droite pétouniste ou poutainiste, comme on voudra. Droite qui parle d’ailleurs comme l’extrême gauche. Droite de concert avec LFI, Fabien Roussel et même Juan Branco (allez jeter un coup d’œil sur le mur de ce dernier). Consanguins et révolutionnaires qui font du bouche à bouche ! Cabinet des antiques balzaciens et Démons dostoïevskiens en tournée ! Peste rouge brune en branle. Ce soir, Monsieur Ouine dîne chez Monsieur Raspoutine. Étrange défaite, disait-on ? Pas si étrange.  

© Pierre Cormary


[1] https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/il-vient-pour-s-emparer-des-richesses-de-l-ukraine-declare-stephane-courtois-a-propos-de-vladimir-poutine_VN-202503130924.html

[2] https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/les-jeunes-font-preuve-dun-veritable-regain-de-patriotisme-selon-une-etude-2088663

[3] https://www.facebook.com/watch/?v=825335894003859

[4] Mathis – enlevé et séquestré par son père, converti à l’islam, confié à ses « frères musulmans » et toujours porté disparu.

[5] https://www.youtube.com/watch?v=uTYacqnm5PI

[6] Et que d’aucuns veulent salir en expliquant que celui-ci est mort d’un simple accident d’hélicoptère alors que l’on était en plein combat à terre et que c’est en voulant décoller qu’il y a eu cette collision entre les deux appareils.

[7] https://www.rtl.fr/actu/international/ce-risque-il-faut-en-parler-jean-marie-bockel-dont-le-fils-est-mort-au-mali-en-2019-soutient-le-general-mandon-sur-rtl-7900569050?fbclid=IwY2xjawOTr7VleHRuA2FlbQIxMABicmlkETBkbXVYaEpyVlhheWxHeEduc3J0YwZhcHBfaWQQMjIyMDM5MTc4ODIwMDg5MgABHrZx0V3MjvqFNeuF-hlOLlSPz6VvSBKmDA1yE8BIPkHr_85q5NyPKZEWrRjn_aem_UhaFmOKLaIq47X_115ODDQ

[8] Idem

[9] https://www.dailymotion.com/video/x9tu8d2

[10] https://www.facebook.com/permalink.php?story_fbid=pfbid0XX6fY2yChPbDD787dy9SvysTNNeMPBT5Ei69QSJtA1TNYgtePyNV5drJzg6mjgzPl&id=100007016836023

[11] https://www.lepoint.fr/debats/pourquoi-l-histoire-donnera-raison-a-emmanuel-macron-25-11-2025-2604053_2.php


Pierre Cormary est critique littéraire chez « Zone Critique », « Causeur » et « La Revue des deux mondes ». Il a notamment participé aux « Cahiers de l’Herne » de Michel Houellebecq et de Pierre Michon, ainsi qu’à « Faire effraction dans le réel », ouvrage collectif consacré à Emmanuel Carrère, publié chez P.O.L en octobre 2018.


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