« Labellisation des médias » : le mauvais combat d’Emmanuel Macron. Par Jean Mizrahi

Emmanuel Macron possède une réelle qualité — une intuition souvent juste — mais elle s’accompagne d’un défaut rédhibitoire : son incapacité chronique à transformer une bonne idée en politique cohérente. L’exemple du « réarmement démographique » est éclairant : diagnostic pertinent, action inexistante. C’est le travers classique des énarques, rompus aux notes brillantes, incapables d’entrer dans la mécanique concrète du réel. Je connais bien ce travers : beaucoup de polytechniciens (dont je suis) y succombent aussi, quoique moins systématiquement. Je me suis soigné de ce travers.

Mais cette fois, Macron se trompe dès l’intuition. Son idée de « labelliser » les médias relève du pur réflexe de haute administration : l’État sait mieux que la société. Autrement dit : les hauts fonctionnaires, les professionnels de la politique et leurs satellites savent mieux que les manants ce qu’il faut penser.

On pourrait en rire si l’on se souvenait du discours étatique durant la crise du Covid : le masque inutile devenu obligatoire, le café assis autorisé mais pas debout, le train risqué mais pas le métro… Toute une série d’absurdités officielles qui démontraient que « l’information d’État » ne cherchait pas la vérité mais la gestion du troupeau.

Or, labelliser les médias, c’est installer des commissions, des comités Théodule, composés de personnes inévitablement choisies dans le même vivier social, pour décider du vrai et du faux. Comme si ces gens échappaient aux biais cognitifs documentés par des années de recherche : biais de confirmation, d’ancrage, de disponibilité, d’attribution, biais de négativité, etc. Leur composition suffirait à garantir une vision étroite et homogène.

La Vérité — avec un grand V — existe, sans doute. Mais aucun être humain n’en embrasse la totalité. La vérité n’émerge que par la contradiction, et avec le temps. Parfois énormément de temps. Il n’y a qu’à voir la persistance de débats historiques irrésolus, ou le conflit israélo-palestinien qui fracture depuis plus d’un siècle : chacun y scrute les faits pour valider sa propre vision.

Le réflexe macronien relève de cette tentation française : croire que les problèmes se résolvent par une intervention étatique autoritaire. On en voit le résultat : faillite morale d’une société privée de repères, faillite financière d’un État qui se croit omniscient.

Que la manipulation de l’information soit un vrai sujet est évident. Puissances étrangères, partis politiques, groupes financiers, tous tentent d’orienter le discours public. Aucun média n’est neutre : les groupes industriels biaisent leurs titres, le service public sert une idéologie dite « progressiste », les médias indépendants reflètent les obsessions de leurs fondateurs. Mais c’est précisément là que réside la force d’une démocratie : laisser la pluralité des voix se confronter, et non l’enfermer dans un chenal officiel. La vérité jaillit du choc des perspectives — une démarche presque talmudique — bien plus que des décisions de quelques pseudo-sachants.

Quant aux manipulations, elles seraient bien moins efficaces si l’école formait réellement l’esprit critique. Or notre système d’instruction a abandonné cette mission. Il produit des générations qui se gavent d’informations futiles et fausses. Ce n’est pas la faute de TikTok : c’est celle d’un pays qui a cessé d’apprendre à penser.

Reste une question, sans doute la plus importante : Emmanuel Macron et ses pairs souhaitent-ils vraiment l’émergence d’un esprit critique autonome ? Rien n’est moins sûr. Gouverner une population désarmée intellectuellement est tellement plus simple qu’affronter des citoyens capables d’aller eux-mêmes chercher un fragment de vérité.

© Jean Mizrahi

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5 Comments

  1. Bonjour Jean Mizrahi

    La pluralité d’expression n’a jamais été aussi visible, paradoxalement grâce à un outil que certains croyaient pouvoir contrôler — Internet. Même sous des régimes plus autoritaires, comme sous De Gaulle où la surveillance et la censure étaient nettement plus lourdes, on ne pouvait pas imaginer une telle explosion de voix alternatives, même si la répression était plus frontale.

    Aujourd’hui, malgré une certaine « méta-morale » ou un discours souvent verrouillé dans les sphères officielles, une forme de « technocratie intellectuelle » qui tend à homogénéiser la pensée, les réseaux sociaux offrent une scène où la contre-pensée, portée par les jeunes notamment, peut émerger massivement. Les vidéos virales à centaines de milliers, voire millions de vues, sont un signe fort que le monopole narratif est rompu. C’est un phénomène double : d’un côté, le pouvoir étatique français conserve ses réflexes de contrôle et son jacobinisme ; de l’autre, un espace de liberté brute, désordonné mais vibrant, s’est créé.

    Ce foisonnement crée aussi une forme d’émulation où les commentaires deviennent eux-mêmes un champ d’expression politique, sociale, culturelle. Jamais, en Occident, on a été plus libre de s’exprimer.

    Jamais les gens n’ont autant partagé d’idées qu’en ce moment. Le pluralisme et la critique, les contre-pensées sont bien là et s’expriment, et Macron et ses technocrates n’y changeront rien.

    La censure sous de Gaulle s’appuyait sur un État fort et centralisé, un monopole des médias, et une logique de contrôle strict sur toute expression jugée déstabilisante. Cela limitait la pluralité d’opinions et la critique publique, dans un contexte où la France affrontait de profondes crises (guerre d’Algérie, tensions sociales). La liberté d’expression était donc très encadrée, beaucoup plus qu’aujourd’hui, même si les pouvoirs actuels peuvent parfois adopter des postures autoritaires, ils n’ont plus le même contrôle absolu sur les canaux d’information.

    La crise de la démocratie ne vient pas du manque de pluralisme, qui est aujourd’hui plus fort que jamais, mais plutôt du fait que les gens n’engagent pas d’actions concrètes pour reprendre en main leur destin, notamment le contrôle de leur argent. L’intellectualisme, même s’il s’accompagne d’un fort pluralisme, n’a en rien résolu un grand nombre de problèmes en France. Il semble même être devenu un refuge. Or, décrire les problèmes ne suffit pas à les résoudre.

    Tous les problèmes franco-français ont été analysés, décrits, disséqués. Cela fait des décennies que les difficultés au sein de l’Éducation nationale, par exemple, ont été exposées dans le détail — pourtant, rien n’a véritablement évolué dans le bon sens. Si les citoyens sont mécontents, ils n’ont qu’à bloquer les écoles. S’ils jugent qu’ils paient trop d’impôts, ils n’ont qu’à bloquer Bercy.

    Au-delà des discours et des analyses, ce sont les actions concrètes qui font bouger les choses.

    Mais je ne vois pas beaucoup d’intellectuel(le)s appeler les gens à mener ces actions. 200 000 personnes qui bloquent Bercy pour la grande réforme fiscale, et peut-être que le gouvernement changera quelque chose.

    La liberté n’est pas tombé du ciel.

    A++

  2. Il n’existe aucun pluralisme autorisé dans la sphère officielle où la désinformation atteint un degré jamais atteint. Tout le réel est nié. Donc les mensonges les plus énormes et les plus ignobles peuvent être martelés par les médias officiels. Du style « Israël commet un génocide a Gaza », « l’islam est une religion d’amour et de paix », « le racisme anti-blancs n’existe pas », « Macron est un as de l’économie et le monde entier l’adore », « la Russie veut envahir Paris et Berlin », « un homme et une femme c’est la même chose » et ainsi de suite…La propagande sous de Gaulle et même celle de l’URSS n’était rien en comparaison. Quant aux médias qui tentent d’informer le public et de faire quelque chose qui s’apparente à du journalisme, ils sont attaqués par l’Etat. Voilà ce que les sots nomment encore la démocratie libérale, alors qu’on ne peut plus s’exprimer QUE sur les réseaux sociaux. Or ceux-ci sont également dans le collimateur de nos dirigeants qui ont déjà multiplié les attaques arbitraires contre la liberté d’expression, par exemple sur Twitter. Sans les réseaux sociaux, l’Europe et les États-Unis (où en 2020 plusieurs grands noms du journalisme ont déclaré qu’il leur était impossible de faire leur travail en raison du « politiquement correct », que presque toutes les vérités étaient désormais incompatibles avec la doxa officielle) seraient comparables à la Corée du Nord. Emmanuel Macron ressemble de plus en plus à Kim Jong-un.

    • « La propagande sous de Gaulle et même celle de l’URSS n’était rien en comparaison. »

      Qu’est-ce qu’il ne faut pas lire. Jamais il n’y a eu autant de liberté d’expression qu’aujourd’hui, jamais des gens n’ont autant démonté la propagande qu’aujourd’hui, sans craindre d’être déporté ou torturé… Jamais les gens ne se sont autant exprimé qu’aujourd’hui en Occidenet et ont autant partagé leurs idées qu’aujourd’hui, avec des centaines de milliers de vidéo chaque année, et de tous les pays.

      Ce que vous appellze « sphère officielle » est aujourd’hui concurrencée en permanence par YouTube, TikTok, X, Substack, podcasts, médias indépendants, chaînes d’opinion, intellectuels et militants de tous bords — un paysage radicalement plus divers que sous De Gaulle où la télévision d’État contrôlait presque tout, ou que dans l’URSS où le pluralisme n’existait simplement pas.

      Les positions que vous évoquez comme exemples de « propagande » sont des simplifications destinées à produire de l’indignation, pas des citations réelles, et les comparer à la censure soviétique ou nord-coréenne relève de l’absurde.

      En URSS, un citoyen pouvait être arrêté pour une blague, un écrivain envoyé au Goulag, un étudiant exclu pour un mot.

      En France, on peut insulter le président en direct à la télévision, publier librement des livres hostiles au pouvoir, créer des chaînes YouTube suivies par des millions d’abonnés pour contester l’État, sans risquer la prison.

      L’idée que « sans les réseaux sociaux, l’Europe serait la Corée du Nord » est un non-sens historique. La Corée du Nord est un système totalitaire fermé où aucune critique publique du régime n’existe, aucune diversité d’information n’est tolérée, et toute dissidence se paie de camps de travail ou de la mort, avec impossibilité de s’échapper du pays.

      Enfin, assimiler Macron à Kim Jong-un relève davantage d’une figure de style que d’une analyse ; quel que soit le jugement porté sur Macron, il préside un régime où il existe des oppositions parlementaires, des syndicats, des manifestations massives, des médias privés qui le critiquent quotidiennement, des élections libres, et une société civile foisonnante.

      La critique du politiquement correct est légitime ; dire que l’Occident est devenu la Corée du Nord ne l’est tout simplement pas.

  3. quelle mouche a piqué macron
    de relancer cette labellisation
    incroyable cela est dangereux
    après la lamentable séquence
    sur affaire conclue
    décidément il est temps qu il parte

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