Dans un ouvrage analytique décapant paru aux éditions Intervalles, « 30 figures de premier plan qui ont en commun une extraordinaire lucidité » proposent, sous la direction de Daniel Salvatore Schiffer, philosophe et écrivain, une Critique de la déraison antisémite[1] appelant à revisiter la philosophie humaniste et universaliste des Lumières, afin d’éclairer les consciences et contrer l’offensive islamiste autant qu’islamo-gauchiste, de ce nouvel antisémitisme qui renait dans le monde occidental et singulièrement en France.
Dans son introduction intitulée « les déraisons de l’antisémitisme », témoignant d’un entretien avec Emanuel Lévinas (à Paris en décembre 1994), D. Salvatore Schiffer donne le ton et l’objectif du livre. Alors qu’il demande à Lévinas de lui préciser sa conception de « l’être comme bonté », la réponse du grand philosophe apparait lumineuse et profondément troublante : « c’est l’amour de l’autre comme tel, comme il est en soi, en tant qu’absolu », définissant ainsi l’exact contraire du nouvel antisionisme antisémite et antioccidental fondé sur la haine absolue de l’être de l’Autre, qui surgit dans nos vies aujourd’hui.
646 faits antisémites étaient recensés entre janvier et juin 2025 et ce chiffre officiel ne comptabilise pas toutes les violences et attaques non déclarées par leurs victimes et celles qui se sont déroulées du mois d’août à nos jours. Il convient d’y ajouter l’interprétation d’un autre chiffe donné par le Ministère de l’Intérieur : une hausse de 112% d’actes antisémites entre 2023 et 2025, sans qu’aucune mesure gouvernementale ou présidentielle notoires n’aient jusqu’alors tenté d’y mettre un frein radical.
Ces violences verbales et physiques à l’égard d’individus appartenant à la communauté juive de France posent une réelle question de fond car elles impactent notre tissus national d’une nouvelle fracture sociale et culturelle qui n’a pas à ce jour trouvé de réponse politique efficace.
Cette abominable réactualisation de la haine du juif, archaïque passion qui traverse les civilisations depuis plus de 2000 ans s’affirme donc à nouveau dans les pays démocratiques où règne la liberté d’opinion, partout en Europe comme aux Etats-Unis, diffusée par une nouvelle logique des idées qui puise son fondement philosophique dans une inversion radicale des valeurs occidentales.
Au XXème siècle l’idéologie antisémite de l’Allemagne nazie avait été fondée sur l’idée déshumanisante de la hiérarchie des races et la volonté politique génocidaire d’exterminer le peuple juif. Après la victoire des forces Alliées, les discours et a fortiori les actes antisémites avaient définitivement perdu toute forme de légitimé politique et socio-cultuelle dans les pays occidentaux où ils sont interdits, au plan national et international, par différentes instances juridiques.
Quelle est donc la source, dans cette deuxième décennie du XXIème siècle du retour du mal absolu, alors même que, paradoxe apparent, l’antisémitisme n’a jamais cessé d’être l’objet d’un combat politique et culturel l’assimilant à la triade infâme « racisme, fascisme, nationalisme »?
Non sans une certaine érudition les analyses de cette « déraison de l’antisémitisme » convergent. Elles montrent que si les vieilles idéologies du XXème siècle ont disparu aujourd’hui en tant que telles, l’antisémitisme renaît, légitimé par les logiques discursives d’une nouvelle idéologie, diffusé par les héritiers actuels d’une gauche qui fut pourtant, dans la guerre contre l’Allemagne nazie, son contempteur le plus virulent.
Comme le démontre le texte percutant du philosophe et historien des idées Pierre-André Taguieff [2] : « Depuis les années 1950, on a assisté à la lente réinvention d’une vision antijiuive du monde, à l’invention d’une judéophobie post-nazie. » dont la propagande antisioniste nous dit-il, a désormais muté en un « antisionisme radical » qui tire « une grande partie de sa force de séduction de son instrumentalisation réussie du néo-antiracisme. », la criminalisation des sionistes leur donnant ainsi « le rôle de l’ennemi absolu dans les propagandes des divers groupes islamistes et de leurs alliés gauchistes ».
Comment se fait-il que la bête immonde ne soit non seulement pas morte mais, ce qui devrait tous nous effrayer, soit redevenue à la mode dans les pratiques militantes d’une certaine jeunesse étudiante comme à Sciences Po ou à la célèbre faculté de la Sorbonne en France (pays des Droits de l’Homme), s’infiltrant partout dans le monde moderne là où est sensée se former l’élite française, européenne et américaine, donc occidentale de demain ?
C’est à cette lancinante question du retour de l’antisémitisme que la Critique de la déraison antisémite apporte un éclairage salutaire et déterminant pour qui veut comprendre les méandres idéologiques d’une réalité criminelle qu’il est urgent de bien voir telle qu’elle est pour la combattre.
[1] Critique de la déraison anti-sémite, Un enjeu de civilisation, un combat pour la paix, Editions Intervalles, paris, 2025
[2] op.cit. Au coeur de l’antisémitisme radical : le mythe du « complot sioniste mondial », pp. 231-268
© Nathalie Krikorian
Nathalie Krikorian est Historienne des idées et philosophe politique
Ce texte a été initialement publié, ce 1er décembre 2025, sur le site Atlantico.fr
