Tribune Juive

Nouvelle tournée en Israël du pianiste classique Jérôme Rigaudias: Portrait et Interview Par Hagay Sobol

Nouvelle tournée en Israël du pianiste classique Jérôme Rigaudias

les 21 et 22 décembre 2025

Portrait

Le pianiste Jérôme Rigaudias allie talent, virtuosité et répertoire exigeant. Après ses études au Conservatoire National de Région de Clermont-Ferrand, il a poursuivi sa formation au niveau international et perfectionné sa technique auprès de professeurs exceptionnels issus du Conservatoire Tchaïkovski de Moscou. Il vit aujourd’hui entre Bruxelles et Paris.

Jérôme Rigaudias se produit régulièrement dans des salles de concert renommées dans les plus grandes villes telles Paris, Lyon, San Francisco, Cracovie, Rome ou Bruxelles. Son vaste répertoire, allant du baroque à la musique contemporaine, comprend des œuvres célèbres comme le Concerto n° 2 de Rachmaninov, celui en fa majeur de J.S. Bach, les Variations en ut mineur de Beethoven, ou les Tableaux d’une exposition de Moussorgski[i]. Il explore également des compositeurs moins connus du grand public, tel Charles-Valentin Alkan, dont certaines œuvres ont été oubliées, alors qu’elles sont d’une très grande facture.

Jérôme Rigaudias enseigne le piano et la musique de chambre. De retour d’Istanbul où il a été pianiste permanent pendant six ans, il est membre du Collectif Arietta (rassemblant des musiciens de différentes cultures, France, Belgique, Turquie, Italie, Géorgie, Israël…) et a fondé le Trio Iveria en 2000.

Homme de conviction, Jérôme Rigaudias n’hésite pas à s’engager auprès de ses confrères et à soutenir les causes humanitaires, allant jusqu’à porter la musique bien loin des salles de concert. Ainsi, il a donné des récitals pour des détenus dans l’enceinte d’une prison, sur le quai d’une gare ferroviaire ou dans un théâtre en cours de rénovation. Il a soutenu l’association « Enfance et Partage » ou une collecte de fonds pour un groupe d’enfants au Honduras avec des programmes de musique classique.

Interview

Hagay Sobol (HS) : Jérôme Rigaudias (JR), vous revenez en Israël en décembre pour une nouvelle série de concerts. Quel souvenir gardez-vous de votre précédent passage en 2016, notamment des récitals que vous aviez donnés à Bar Am et à Rosh Pina, en pleine Galilée ?

JR : je garde un souvenir très ému de cette série de concerts en Galilée, je connais assez bien le pays mais c’était une région que je ne connaissais pas, très belle. J’ai été touché par l’accueil, avec un public très averti. A Bar Am, le kibbutz a un magnifique auditorium !

HS : En quoi ces concerts de 2016 ont-ils influencé votre relation avec le public israélien ?

JR : C’était simple, direct et chaleureux ! J’ai longuement échangé avec le public, de questions musicales bien sûr, mais également de la vie de tous les jours en Israël ou en France… Après les concerts j’ai été invité par plusieurs personnes. On avait l’impression que l’on se connaissait depuis toujours.

HS : Quelle est la raison de votre retour en Israël aujourd’hui et y a-t-il un lien entre les programmes musicaux de 2016 et ceux que vous proposerez en décembre prochain ?

JR : Revenir jouer en Israël après neuf ans, mais surtout après les deux années effroyables que nous venons de passer collectivement est évidemment une très grande émotion. Je le vis un peu comme une dette, ou un engagement symbolique. Je remercie la Cheffe d’orchestre Ada Pelleg et le centre de Musique de Galilée pour Ieur invitation, qui me touche particulièrement. Il y a bien un “fil rouge” musical entre les deux évènements. Je donnerai les 21 et 22 Décembre un programme très différent de la dernière tournée, mais l’opus 1 1 1 de Beethoven est à nouveau au programme, et à mon sens, aucun compositeur ne parle mieux que lui de la Fraternité.

HS : Existe-t-il une différence entre le public de Tel-Aviv ou Jérusalem et le public parisien par exemple ?

JR : Il y a une très grande affinité du public israélien avec la musique classique. De l’ordre de l’évidence. Les salles elles-mêmes contribuent à établir ce lien. Par contre, les différences avec le public français sont plus difficiles à percevoir. Pour moi, elles se situent davantage à un niveau individuel. Mais je peux avoir le même type d’échanges avec le public parisien, quand je joue par exemple à la Salle Colonne à Paris. Les “habitués” ont le même rapport à la musique.

HS : Lors de votre tournée en Galilée, vous aviez joué dans des lieux parfois très intimes. Est-ce que la configuration des salles influence votre manière de jouer ?

JR : Jouer dans de petites ou grandes salles, qu’elles soient israéliennes ou parisiennes, n’est jamais un sujet pour moi. En revanche, je suis toujours passionné par l’instrument, le type de piano, que j’aurai pour le concert. Ainsi, je retrouverai le piano de Rosh Pina avec beaucoup de bonheur !

HS : Pourriez partager avec nous une anecdote de l’un de vos concerts de 2016 ?

JR : Il m’en vient une à l’esprit qui fait le lien entre les deux séries de concerts, ceux de 2016 et d’aujourd’hui. A l’époque, tout s’était organisé simplement et rapidement. Par contre, pour Décembre 2025, tout a été infiniment compliqué. Chaque sujet a été longuement discuté, évalué, et j’ai dit oui à tout, ou presque. Je me suis uniquement opposé à une modification du programme. Il m’a été également demandé de donner un titre, ce qui n’a pas été facile. Nous avons choisi « Heartvoice » (Voix de cœur). C’est à la fois le message que j’aimerais transmettre par cette série de concerts, mais cette “nouveauté”, par rapport à 2016, témoigne également du besoin de nommer les choses avec justesse, à l’heure où, en France en tout cas, le langage est largement dévoyé.

HS : Pour celles et ceux qui vous ont découvert il y a neuf ans et qui viendront vous entendre à nouveau cet hiver, quelle émotion particulière Ieur réservez-vous ?

JR : La joie, immense, de les retrouver !

HS : En France, certains artistes font face à des controverses ou des appels au boycott, comme récemment avec des interruptions de concerts israéliens à Paris. Comment vivez-vous cela en tant que pianiste français, et en quoi vos expériences positives à Bar Am et Rosh Pina, renforcent-elles votre engagement culturel malgré le contexte politique tendu ?

JR : Comme beaucoup de musiciens je le vis très mal. Ces boycotts sont d’une injustice absolument scandaleuse. Ils s’accompagnent malheureusement d’une méconnaissance profonde à la fois de l’histoire et des enjeux contemporains, mais aussi d’une très grande violence. Le concert de Lahav Shani à la philharmonie de Paris a été particulièrement traumatisant. Il faut saluer non seulement le talent des musiciens, mais aussi Ieur sang-froid et Ieur courage. Ces boycotts sont, pour moi, la négation même de ce que représente la culture. J’essaie, à mon niveau, de corriger autant que je le peux ce phénomène inquiétant, et encore une fois totalement injuste. Ma présence ici en Israël participe de cette volonté, et d’autres choses sont organisées en France dans ce sens.

HS : La musique classique peut-elle servir de pont culturel entre la France et Israël, surtout dans un climat politique marqué par des débats sur le conflit au Moyen-Orient ?

JR : Oui la musique classique, et d’ailleurs toutes les formes de musique et d’art en général, participent de la compréhension du monde, de soi-même et de l’Autre. Elles constituent donc “un pont”, un accès, menant à la connaissance. Chaque œuvre est un témoignage. Et certains témoignages, si on parle de Beethoven par exemple, ont une portée universelle.

HS : Neuf ans après vos récitals en Galilée, comment percevez-vous l’évolution de ces échanges artistiques, et quel message espérez-vous transmettre avec vos concerts de décembre prochain ?

Ça ne concerne pas uniquement le milieu culturel ou musical. Les échanges scientifiques, universitaires, médicaux… sont au cœur même de tout ce qui fait la richesse de notre vie en commun. De ce point de vue, la collaboration avec Israël me semble indispensable, par son apport dans des domaines très variés, mais aussi et peut être surtout, par son Ethique et les valeurs que ce pays représente.

Plus encore qu’un message de solidarité, c’est un message de Fraternité que j’aimerais transmettre. Une fraternité qui peut prendre plusieurs visages, mais qui reste pleine et entière, chaque œuvre du programme en témoigne.

Propos recueilli par Hagay sobol


Pour le plaisir


[i] Le critique musical français Frédéric Gaussin, présent au concert, a écrit dans La Lettre du Musicien : « Un programme dense et spirituel, privilégiant des structures insistantes, cycliques et variées… Rigaudias a le sens de l’harmonie, du drame et de la mise en scène : des contrastes bienvenus qui n’excluent pas les surprises… Tableaux d’une exposition a mis en évidence l’affinité du pianiste avec l’univers de Moussorgski »


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