
Bravo, Ariane Mnouchkine. Avec cette lettre ouverte en soutien à Charlotte Gainsbourg parce qu’elle figure sur la « liste de la honte » (honte pour l’auteur de la liste (spécialiste ès Inquisition !), pas pour les listés, évidemment), vous avez fait un pas, un de plus après celui de votre mea culpa de juin 2024 (« Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. »), un pas de plus, donc, sur le chemin du dessillement. Un petit pas. Entrouvrant un peu les yeux, vous constatez avec tristesse et même colère qu’à gauche, on n’a pas beaucoup protesté contre cette liste. Parce que vous avez entrouvert les yeux grâce à cette liste, vous avez aperçu une petite partie de cette immense supercherie morale, deux fois séculaire, qu’est la gauche, perchée sur sa Montagne (la gauche radicale), ou accrochée à ses pentes (la gauche molle), depuis la Révolution française. Une supercherie morale dont vous fûtes, toute votre vie et votre œuvre durant, à la fois la victime et la complice. Et vous n’êtes pas la seule. Beaucoup d’entre nous furent, comme vous, chacun à sa place, brillante comme la vôtre ou plus modeste, à la fois victimes de cette supercherie morale, tant son autorité était lourde et générale, et complices en la reproduisant.
Comme la déliaison d’avec le christianisme et l’autorité de son Dieu (selon le terme judicieusement choisi par Marcel Gauchet), la déliaison d’avec cette indue autorité morale de la gauche est longue et difficile. Elle sera peut-être aussi longue que la déliaison d’avec le christianisme : plusieurs siècles ont été nécessaires. Mais ça commence. Pour preuve, votre petit pas. Vous êtes préoccupée par la liste, bien sûr, et c’est bien (on pourrait presque dire : « c’est gentil »), mais vous êtes surtout – encore, hélas – préoccupée par la gauche. La liste, c’est grave bien sûr, mais, à vos yeux, ce qui est encore plus grave, c’est que la « gauche » n’y réagisse pas. Et pourquoi c’est grave ? Parce que ça fait le jeu du Rassemblement national ! Vous ne pouvez pas – pas encore – vous en empêcher : « …nous qui nous disons de gauche, écrivez-vous (…) Allons-nous vraiment laisser le Rassemblement National prétendre être le seul recours des Français juifs ? » Un jour, peut-être, vous vous indignerez parce que c’est indigne. Tout simplement. Parce que la gauche est indigne. Vous y venez, tout doucement. Encore un petit pas, Madame Mnouchkine. S’il vous plaît. Julien Brünn
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𝗟𝗲𝘁𝘁𝗿𝗲 𝗼𝘂𝘃𝗲𝗿𝘁𝗲 𝗮̀ 𝗖𝗵𝗮𝗿𝗹𝗼𝘁𝘁𝗲 𝗚𝗮𝗶𝗻𝘀𝗯𝗼𝘂𝗿𝗴 𝗽𝗮𝗿 𝗔𝗿𝗶𝗮𝗻𝗲 𝗠𝗻𝗼𝘂𝗰𝗵𝗸𝗶𝗻𝗲
Chère Charlotte,
J’ai mis du temps à trouver une adresse où vous écrire, voilà pourquoi ce n’est qu’aujourd’hui que je peux vous dire l’indignation, la colère, l’angoisse, pour ne pas dire le chagrin sombre que j’ai ressenti et ressens toujours après avoir découvert la liste établie par Julien Théry, professeur d’histoire à l’Université Lumière Lyon 2. Liste que certains qualifieraient de gestapiste.
Même si le texte de votre tribune co-signée dans Le Figaro sur la reconnaissance par Emmanuel Macron d’un État palestinien — surtout son début —m’avait paru mériter une très vive discussion, même si j’eusse aimé, pour qu’elle soit plus équilibrée, que votre alarme s’appliquât aussi au gouvernement indéfendable de Benjamin Netanyahu, rien, absolument rien, ne peut expliquer et encore moins excuser, une ignominie telle que cette liste dénonciatrice, calomnieuse, mensongère, digne des pires heures des pires années de l’histoire de notre pays.
Une liste ! En 2025, une liste, désignant des Français juifs et quelques Français, (non juifs, eux, mais, pire, amis et complices des juifs) à la haine, à la vindicte, à l’ignorance et à l’imbécilité publiques. Comment imaginer cela ? Comment penser cela ? Comment admettre que cela ne soulève que de petites explications temporisatrices de la part du ministre de l’Enseignement Supérieur (dont j’ai d’ailleurs oublié le nom) ?
Comment supporter que l’extrême-droite soit la seule à sembler s’en offusquer, non sans une certaine délectation ? Insensés que nous sommes, nous qui nous disons de gauche, après avoir abandonné le drapeau français, la Marseillaise, la laïcité, et tant d’autres symboles, au Rassemblement National, allons-nous aussi lui abandonner les Juifs ?
Allons-nous vraiment laisser le Rassemblement National prétendre être le seul recours des Français juifs ? De borgnes que nous sommes déjà, allons-nous carrément nous crever les deux yeux tant nous avons peur, si nous osons parler, de finir, nous aussi, pour délit d’opinion, couchés sur des listes de plus en plus longues, de plus en plus nombreuses, de plus en plus folles, de plus en plus fatales.
Voilà, Charlotte, ce que je voulais vous dire. À vous, à tous. À moi-même.
Affectueusement,
Ariane
