Sur France 5, ce soir à 23h20: « Joseph Kessel, la mallette de l’ogre »

Joseph Kessel © INA

C’est l’histoire d’un Juif russe né en Argentine et mort en France. Né de parents qui avaient fui les pogroms de Russie et mort avec la reconnaissance de la France, une étoile de David gravée sur son épée d’académicien. Entre les deux, entre sa naissance en 1898 et sa mort en 1979, mille vies, comme le dit Patrick de Saint Exupéry, le réalisateur de ce brillant documentaire, « la mallette de l’ogre » (une mallette qu’il ne quittait jamais), qui sera diffusé sur France 5 le 28 novembre à 23 heures 20 après « L’armée des ombres » de Jean-Pierre Melville qui s’inspire du roman de Kessel sur la Résistance française. Résistance à laquelle non seulement il participa activement, mais qu’il nourrit et grandit par Le chant des partisans qu’il écrivit avec son neveu Maurice Druon. Et que ma petite-fille de huit ans vient tout juste d’apprendre et de chanter à l’école publique : « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines… » Continuité, continuité.

Ce n’est pas dans le documentaire, car mille vies, c’est difficile à faire tenir dans soixante minutes, mais ça vaut le coup de lire un bout de son discours de réception à l’Académie française. Kessel succédait au duc de la Force, descendant d’une très vieille famille de la noblesse française. Il disait : « … pour remplacer le compagnon dont le nom magnifique a résonné glorieusement pendant un millénaire dans les annales de la France ; dont les ancêtres, grands soldats, grands seigneurs, grands dignitaires, amis des princes et des rois, ont fait partie de son histoire d’une manière éclatante, pour le remplacer, qui avez-vous désigné ?

Un Russe de naissance, et Juif de surcroît. Un juif d’Europe Orientale. Vous savez, Messieurs, et bien qu’il ait coûté la vie à des millions de martyrs, vous savez ce que ce titre signifie encore dans certains milieux, et pour trop de gens.

Oh ! j’entends bien, pour vous la question ne s’est même pas posée et vous êtes surpris, sans doute, de me l’entendre mentionner ici. Mais croyez-moi, le fait même de cet étonnement méritait qu’il fût signalé. Croyez-en quelqu’un qui a beaucoup voyagé, beaucoup écouté et prêté une attention profonde aux voix des hommes qui ont souffert et souffrent encore de la discrimination, des hommes en mal d’équité, de dignité. Pour eux, j’en suis sûr, vous qui formez la plus ancienne et l’une des plus hautes institutions françaises, vous avez marqué, sans même y penser et d’un geste d’autant plus précieux, vous avez marqué, par le contraste singulier de cette succession, que les origines d’un être humain n’ont rien à faire avec le jugement que l’on doit porter sur lui. De la sorte, Messieurs, vous avez donné un nouvel appui à la loi obstinée et si belle de tous ceux qui, partout, tiennent leurs regards tournés vers les lumières de la France. Soyez-en remerciés. »

Joseph Kessel, à cheval, Cheikh Saïd, fusil en bandoulière, et sa marchandise
©13PRODS

Voilà pour la partie juive du personnage. La partie journaliste tient, évidemment, le haut du pavé dans le récit de Patrick de Saint Exupéry. Avec notamment cet épisode en résonnance avec certaines polémiques d’aujourd’hui. En 1930, le directeur du quotidien Le matin remarque cet encore jeune écrivain journaliste. Il l’embauche et lui demande de lui ramener une histoire, un grand reportage. N’importe lequel. N’importe où. Le grand reportage faisait vendre du papier à l’époque. Et Kessel lance : le trafic d’esclaves entre l’Afrique et l’Arabie ! Vendu ! Ce sera son premier grand reportage. On peut écouter ce reportage stupéfiant à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=Ommz1QtrQp8

Les esclaves capturés ou achetés en Afrique noire étaient revendus en Arabie. En 1930 ! Ce n’était pas du fantasme. Et Kessel l’a écrit. Il faut d’ailleurs noter qu’en Mauritanie, l’esclavage n’a été aboli qu’en… 1981.

Voilà une vie. Il y en a 999 autres.

La Cinq, ce soir, vendredi 28 novembre, 23 heures 25.

Après la diffusion à 21h05 de « L’armée des ombres » de Jean-Pierre Melville

© Julien Brünn

Journaliste. Ancien correspondant de TF1 en Israël


Dernier ouvrage paru  : 

L’origine démocratique des génocidesPeuples génocidaires, élites suicidaires. L’harmattan. 2024

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