Tribune Juive

Le Colloque qui embarrasse le Collège de France: Réflexion. Par Annie Cohen

L’annulation du Colloque « La Palestine et l’Europe : poids du passé et dynamiques contemporaines » par le Collège de France suscite une vive controverse, à la croisée des débats sur la liberté académique, le militantisme et les influences extérieures.

Le rôle du Qatar et les critiques sur l’institutionnalisation d’un colloque militant

Le Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP), co-organisateur du colloque, entretient des liens étroits avec des financements qataris.

Le colloque prévu initialement au Collège de France serait-il une « opération d’influence » ?

Le financement qatari aurait- il permis de structurer un colloque très orienté, au point que certains, comme l’hebdomadaire « Marianne », dénoncent une « foire antisioniste » ?

Force est de constater que la programmation rassemblait des personnalités fortement engagées politiquement, sans pluralité visible des points de vue : des chercheurs à l’idéologie militante, pour qui la cause palestinienne ne relève pas seulement de l’analyse académique mais d’un combat politique. Cette dimension idéologique lourde a nourri la polémique, rendant difficile l’articulation avec la mission savante du Collège de France. C’est d’ailleurs cette absence de contradictoire qu’a soulignée l’association inscrite au barreau de Paris, « Actions Avocats », dans son mémoire en intervention devant le Tribunal administratif.

Quant à l’administrateur du Collège, Thomas Römer, il avait justifié l’annulation du Colloque, le 9 novembre, par la nécessité d’assurer la sécurité, d’éviter des troubles à l’ordre public, et de préserver « la sérénité des événements » dans l’enceinte de l’institution.

Le Collège a ainsi voulu rappeler sa « stricte neutralité au regard des questions de nature politique ou idéologique » et affirme qu’il ne soutient aucune forme de militantisme.

Relocalisation et maintien du Colloque

Après l’annulation, le CAREP a déplacé l’événement dans ses propres locaux, à Paris (13ᵉ), et maintenu la retransmission en ligne.

Cette relocalisation montre que le Colloque n’a pas été supprimé, mais ses conditions ont été profondément modifiées : une capacité très réduite de public en présentiel, et un format hybride. Le CAREP a vu dans ce déplacement une « affirmation du principe que le savoir académique ne se limite pas à un lieu », mais cette solution a été contestée par certains comme étant une victoire partielle.

Plaidoyer pour le pluralisme et la neutralité intellectuelle

Depuis plusieurs tribunes, des voix alertent : lorsqu’un Colloque rassemble 38 intervenants d’une même orientation idéologique, sans débat structuré ni voix contradictoire, il y a un risque que la promotion d’une cause prenne le pas sur la recherche. C’est le sens de l’argument : « la liberté académique est menacée quand les lieux de savoir deviennent des vitrines verrouillées du militantisme ».

Ces critiques ne sont pas purement abstraites : elles rappellent que la recherche scientifique nécessite le débat, la confrontation d’idées, le respect de la méthode et des sources — valeurs que l’institution académique doit garantir, et non compromettre.

Le boycott culturel : un parallèle dangereux

Cet épisode s’inscrit, selon certains commentateurs, dans un contexte plus large de « militantisme culturel ». Dans une tribune de la « Revue des deux mondes », l’historien Marc Knobel met en garde contre la montée du boycott culturel d’Israël, qu’il qualifie de « glissement » : d’une critique politique légitime à une stigmatisation des artistes israéliens et juifs, menaçant la liberté artistique.

Knobel explique que des campagnes récentes ont visé des musiciens, des écrivains ou des institutions israéliennes, allant jusqu’à des annulations de concerts, des pressions sur les programmateurs ou des retraits d’œuvres.

Selon lui, ce phénomène s’apparente à une « exclusion collective » qui fragilise la frontière entre critique politique et condamnation culturelle.

L’auteur rappelle en outre que le boycott n’est pas nouveau : il puise ses racines dans des pratiques historiques et politiques plus anciennes, réactivées aujourd’hui dans une stratégie militante moderne.

Pour Knobel, la culture ne doit pas devenir le prolongement d’un affrontement géopolitique ; elle doit rester un espace de contradiction, un lieu de rencontre où la complexité des positions peut s’exprimer.

Une responsabilité publique et universitaire

L’affaire du Colloque du Collège de France met en lumière plusieurs enjeux structurants:

La neutralité des institutions savantes : un établissement comme le Collège de France doit préserver un équilibre entre liberté académique et responsabilité face aux influences idéologiques ou financières.

Le financement extérieur : le rôle éventuel du Qatar dans le soutien à des Think tanks pose la question de l’indépendance des recherches qu’ils coorganisent.

La nécessité du débat pluraliste : sans voix divergentes, les Colloques peuvent basculer vers le simple militantisme, mettant en danger la mission de la recherche.

Les limites du militantisme culturel : censurer ou exclure des artistes selon leur nationalité ou leur origine culturelle peut menacer la liberté artistique et la richesse du dialogue intellectuel.

L’annulation du Colloque révèle une tension profonde entre la promesse d’une université « lieu de savoir » et la montée d’un militantisme académique soutenu politiquement. Le débat désormais se joue au-delà des deux jours prévus : il touche au cœur-même de la mission des institutions intellectuelles, de leur liberté, mais aussi de leur responsabilité face aux engagements idéologiques.

© Annie Cohen

Annie Cohen est avocate

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