Tribune Juive

Poutine à Dresde : un cadre du système répressif soviéto-est-allemand (1985–1990) – Par Nicolas Carras

« L’éthique du KGB me convenait. J’ai compris qu’il fallait défendre l’État, quel qu’il soit. » – Poutine

« Les coups étaient rares. Ils préféraient la privation sensorielle, le silence, la lumière permanente, la désorientation. C’était une torture psychologique d’une perfection glacée. » – Un ancien prisonnier de la prison de Hohenschönhausen

On entend parfois Vladimir Poutine expliquer que l’Occident sombre dans le fascisme, voire dans une sorte de nazisme rampant. L’ironie est totale. S’il existe bien un endroit en Europe où l’on pouvait respirer l’air vicié d’une véritable police politique — torture, disparitions, purges internes, fichage généralisé, terreur de proximité — c’était dans l’Allemagne soviétique, précisément là où Poutine a servi comme officier du KGB. Autrement dit, avant de distribuer des leçons de morale antifasciste, encore faudrait-il ne pas avoir fait carrière dans l’un des appareils les plus répressifs au monde. Le donneur de leçon vient directement d’une machine qui broyait des vies dans la cave, entre deux rotations administratives. Si Poutine veut vraiment parler de fascisme européen, il sait très bien où regarder : il lui suffit de se souvenir de son propre bureau.

Il a parfaitement appris comment fonctionnent les systèmes de terreur, et une fois rentré en Russie, il n’a rien désappris.

Dès son ascension sous Eltsine, il a remis en route les vieux réflexes : neutraliser, intimider, coopter, briser. Puis, une fois solidement installé au pouvoir au début des années 2000, il n’a fait qu’étendre cette mécanique sur tout le pays — police politique reconfigurée, journalistes éliminés, opposants envoyés en prison ou en exil, ONG écrasées, guerres menées dans le sang. Tout cela ne tombe pas du ciel : c’est la continuité logique d’un homme formé dans l’appareil répressif soviétique, et qui n’a jamais cessé de s’en servir.

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Entre 1985 et 1990, Vladimir Poutine sert comme officier du KGB à Dresde, en République démocratique allemande. Il opère sous couverture de la Maison d’amitié soviéto-allemande. Ce n’est pas un poste anodin : Dresde est l’un des centres de coopération structurée entre le KGB et la Stasi, la police politique de la RDA.

La Stasi est, dans les années 1980, l’une des appareils répressifs les plus perfectionnés et intrusifs d’Europe. Elle organise la surveillance totale, les arrestations politiques, les emprisonnements dans des conditions inhumaines, les tortures psychologiques (Zersetzung), les déportations internes, les disparitions temporaires, les internements psychiatriques forcés et le transfert de prisonniers vers l’URSS. (Sources : Archives de la Stasi ; John O. Koehler, Stasi: The Untold Story ; Rapport Amnesty International RDA 1983–1989 ; BStU, Bundesbeauftragter für die Stasi-Unterlagen.)

Le KGB n’administre pas les prisons est-allemandes. Mais il travaille avec ceux qui les remplissent. Les officiers soviétiques, dont Poutine, sont impliqués dans : l’identification et la surveillance des dissidents, la coordination contre les mouvements opposés au régime, le repérage d’activistes pro- occidentaux, l’interrogation et l’exploitation d’informations fournies par la Stasi, la coopération pour empêcher les fuites vers l’Ouest, la gestion des « contacts hostiles » et du recrutement d’informateurs. (Sources : BStU, dossiers de coopération KGB–Stasi, série HVA/KGB ; Catherine Belton, Putin’s People ; Andrew & Mitrokhin, The Mitrokhin Archive.)

Aucune source ne prouve que Poutine ait personnellement torturé ou tué quelqu’un. Mais les archives établissent clairement qu’il est un agent opérant au cœur d’un système répressif, dans un État qui pratique quotidiennement la coercition politique et la persécution d’opposants. Il participe directement au fonctionnement du réseau KGB–Stasi, l’un des instruments les plus sophistiqués du contrôle totalitaire à la fin de la Guerre froide. (Archives BStU, dossiers internes sur la résidence soviétique de Dresde.)

La RDA, durant son séjour, mène : emprisonnement massif d’opposants (chiffres estimés : plusieurs milliers par an), disparitions temporaires d’activistes, pressions psychologiques extrêmes, « ventes

» de prisonniers politiques à l’Ouest (plus de 33 000 entre 1963–1989), tortures psychologiques documentées. (Sources : Hubertus Knabe, Die Täter sind unter uns ; prison de Hohenschönhausen archives ; Amnesty International reports.)

Les années 1985–1990 sont aussi marquées par la répression de manifestations, notamment après 1987, quand les mouvements d’opposition commencent à s’organiser. Le KGB, installé dans un bâtiment adjacent à la Stasi, est mobilisé pour surveiller les étudiants, les intellectuels et les membres de l’Église protestante engagés dans les groupes civiques émergents. (Sources : Mike Dennis, The Stasi: Myth and Reality ; BStU dossiers Groupe d’opposition de Dresde (1987–1989).)

Poutine admet lui-même avoir été plongé dans cet univers. Dans son autobiographie First Person, il raconte :

« L’éthique du KGB me convenait. J’ai compris qu’il fallait défendre l’État, quel qu’il soit. » Cette phrase suffit à situer son cadre mental.

Après la chute du mur et l’effondrement de la RDA, il brûle d’importants dossiers soviétiques pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains des manifestants, un épisode confirmé par plusieurs témoins locaux. (Sources : The Washington Post, 2000 ; Andrew & Mitrokhin ; témoignages recueillis par le BStU.)

Poutine n’a peut-être pas torturé personnellement. Mais il est un maillon actif d’un appareil répressif, au cœur d’un État employant systématiquement la coercition, la surveillance, l’emprisonnement politique et la destruction du dissident. C’est ce milieu — celui du KGB et de la Stasi — qui forme le futur dirigeant de la Russie.

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« Ceux qui disent du mal du passé soviétique n’aiment pas la Russie. » – Poutine

Vladimir Poutine ne s’est jamais excusé, ni publiquement ni implicitement, pour les crimes du KGB, les crimes de la Stasi, les crimes du système soviétique, les victimes de la répression en URSS, les victimes de la répression dans les pays satellites, les prisonniers politiques, les disparus, les torturés, les déportés, ni même pour son propre rôle à Dresde.

Et il n’a jamais rendu hommage aux victimes de la dictature soviétique ou est-allemande.

Lors de toutes ses visites en Allemagne après 2000 : aucun dépôt de gerbe devant les lieux de mémoire du régime est-allemand, aucun discours rappelant les victimes de la Stasi, aucune reconnaissance du rôle criminel de l’État est-allemand. Au contraire, il a déclaré en 2009 à Berlin : « La RDA a contribué à la culture et à la stabilité européennes. » Ce qui a suscité de vives critiques, notamment des victimes du régime est-allemand et des défenseurs des droits humains.

Aucun hommage clair aux victimes. Même devant : les fosses communes, les sites d’exécutions, cimetières du Goulag, les monuments aux victimes de la Stasi.

Poutine s’est toujours abstenu de parler de victimes, crime, répression, responsabilité. Il parle uniquement d’erreurs, d’excès, de pèriodes difficiles, de necessité historique. Il refuse toute qualification morale.

C’est incompatible avec toute reconnaissance des victimes. Poutine n’a jamais demandé pardon.

Jamais regretté. Jamais reconnu. Jamais commémoré.

Il a hérité du système, il s’en est nourri, et il l’a reproduit.

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Les torturés par la Stasi :

« Hohenschönhausen était un lieu conçu non pas pour punir mais pour détruire intérieurement. Les méthodes psychologiques de la Stasi ont laissé chez les victimes des blessures souvent plus profondes que les coups. » – Hubertus Knabe (historien, directeur du mémorial.

La Stasi privilégiait la torture psychologique (Zersetzung), mais la torture physique a aussi existé, surtout au début (années 50-60) et dans les prisons spéciales comme Hohenschönhausen.

Prisonniers politiques emprisonnés (1949–1989) : 200 000 à 250 000 personnes (chiffre officiel de la Gauck-Behörde, les archives de la Stasi). Parmi eux, torturés physiquement ou psychologiquement

Estimation d’historiens : 40 000 à 60 000 victimes de sévices physiques OU psychologiques graves (confiscation du sommeil, privation sensorielle, isolement total, chantage familial, positions douloureuses, coups, humiliations).

Victimes de la « Zersetzung » (torture psychologique, spécialité de la Stasi, documentée dans les directives internes) : au moins 300 000 personnes ont subi des mesures de Zersetzung (BStU, 2012).

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« La RDA prétendait être l’antifascisme pur. Mais c’était un système qui utilisait les méthodes fascistes : la peur, la surveillance, la destruction des existences. »

« Le but de la Stasi n’était pas de punir. C’était de détruire. Lentement, silencieusement, de l’intérieur. »

« La Stasi n’observait pas seulement les gens. Elle détruisait les vies. »

« La dictature ne se contente pas de surveiller. Elle façonne des hommes qui surveillent, mentent et obéissent. »

« La RDA n’était pas un État entouré d’un mur. C’était une prison entourée d’un État. »

« La Stasi était comme un cancer qui se glissait dans toutes les relations humaines. Rien ne lui échappait. »

« Le socialisme réel voulait fabriquer un homme nouveau. Il n’a fabriqué que la peur. »

« La RDA était un système si fragile qu’il devait surveiller tout le monde en permanence. »

« L’antifascisme d’État servait surtout à justifier une répression sans limite. Il fallait contrôler, punir, faire taire. »

« On ne trouvait pas la Stasi seulement dans les bureaux. Elle était dans les familles, dans les couples, dans les amitiés. »

« La vie quotidienne était une performance. Chaque mot pouvait être utilisé contre toi. On survivait, mais on ne vivait pas. »

« La RDA avait industrialisé la peur comme d’autres pays industrialisent l’acier. »

© Nicolas Carras

Nicolas Carras est Créateur (vidéo – son – photo), artiste, poète


https://nicolascarras.wordpress.com/

Cet article fait suite à deux autres articles publiés sur Tribune Juive :

La Russie de Poutine : entre paranoïa, héritage soviétique et anti-occidentalisme

La Russie de Poutine… Une menace ?

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