Tribune Juive

Israël dans la logique impériale. Par Roland Asaraf

Préambule

Cette réflexion vise à trancher, de manière rigoureuse et dans un langage profane non biblique, la guerre qui divise les Juifs : entre ceux qui croient en l’empire, en son dollar et en ses armes pour assurer la sécurité, et ceux qui croient en Dieu pour sauver Israël.

Les seconds ont du mal à s’adresser aux premiers, qui ne disposent pas des références bibliques qui leur permettraient de comprendre le monde biblique en profondeur. Or, la Bible est un livre de géopolitique, un livre de psychologie, un livre d’anthropologie et un livre de philosophie : un héritage des mondes anciens, mais aussi du monde moderne,car la psychologie et la biologie humaines n’ont pas changé depuis 3 000 ans. Ceux qui ne connaissent pas les leçons de l’expérience des anciens sont condamnés à refaire les mêmes erreurs.

Israël dans la logique impériale

Cette série de textes vise à contextualiser et analyser les événements dramatiques qui ont secoué Israël depuis les années 1990, tout en cherchant à prendre le maximum de recul par rapport au discours institutionnel — médiatique comme universitaire — de notre empire globalisé. Il en résulte une analyse qui peut surprendre, comme tout regard extérieur.
Certaines questions sur notre civilisation ne sont jamais abordées. Par exemple : pourquoi quelques millions d’habitants sur un territoire grand comme trois départements français monopolisent-ils l’attention d’un système globalisé qui gère des milliards d’individus sur des centaines de millions de km²? L’Inde et le Pakistan, qui rassemblent plus de 1,7 milliard d’habitants, semblent presque invisibles dans le débat public, y compris concernant le Cachemire. Pourquoi un seul peuple, celui de la Bible, est-il considéré comme étranger et occupant sur un seul petit territoire dans toute la Planète, la terre de la Bible ? Pourquoi autant d’énergie financière diplomatique  médiatique et militaire pour empêcher des Juifs de vivre sur la terre de la Bible ?


Sans surprise, le discours dominant des institutionnels Juifs promus par l’empire n’aborde jamais ces questions. Ce discours se contente de demander à Israël, pour sa sécurité physique prétendument, de se vider de toute sa dimension symbolique — celle de la Bible — et de supprimer toute présence juive en Judée-Samarie, conformément aux pressions médiatiques et diplomatiques. Il s’agirait d’accepter un marché : obtenir une promesse de garantie impériale de sécurité en échange du renoncement à la dimension spirituelle et politique du peuple d’Israël. Mais pourquoi le renoncement d’Israël à sa dimension spirituelle et biblique a-t-il autant d’importance pour l’empire ?


Et pourquoi ce marché pour la sécurité n’est-il pas un marché de dupes ? Renoncer à la Judée-Samarie pour obtenir une garantie de protection américaine, scellée par un traité — un simple morceau de papier — assurerait-il réellement la sécurité de Tel-Aviv ? Peut-on faire confiance à un empire dont un des piliers est  l’industrie de l’armement et le commerce des armes et un autre  pilier et le marketing un joli mot pour la manipulation des masses,  pour garantir des traités de paix ?

Ces questions, qui mettent le discours convenu à l’épreuve du réel, devraient pouvoir être posées. Pour l’empire, un traité a la même valeur que sa monnaie : il permet d’acheter quelque chose de tangible contre un morceau de papier dépourvu de valeur intrinsèque. Les accords de Camp David sont allègrement violés par l’administration actuelle ; l’Égypte construit une infrastructure militaire offensive dans le Sinaï. Les accords d’Oslo n’ont pas été tenus : l’OLP et le Fatah sont financés par l’empire sans respecter leur engagement de renoncer à la violence.
Ce phénomène ne se limite pas au Moyen-Orient : on le retrouve dans les accords de Minsk vis-à-vis de la Russie, que François Hollande a lui-même reconnu avoir été signés pour ne pas être respectés.

Le piège d’Oslo : quelle est la logique de l’empire ?

Après la fin de la guerre froide, la disparition de la menace que représentait l’URSS a modifié la hiérarchie stratégique des administrations américaines, tant globalement qu’au Moyen-Orient. Israël, puissance régionale soudain libérée d’une menace existentielle, est devenu un acteur dont la visibilité et la charge symbolique — religieuse et historique — pouvaient gêner la logique impériale américaine, tant dans la gestion régionale qu’internationale. C’est vrai aussi sur la scène intérieure : l’opinion publique américaine est en effet profondément attachée aux symboles bibliques et à des idéaux universels comme la démocratie, la liberté et la paix — non comme de simples slogans de marketing pour justifier des guerres, des coups d’État et vendre des armes, mais pour leur sens véritable dans toute sa complexité.
Dans ce contexte, la première Intifada, largement mise en scène par les grandes agences de presse de l’empire pendant des années, n’est pas dépourvue de signification : elle coche les indicateurs d’une révolution de couleur destinée à orienter l’opinion publique en amont des pressions qui allaient se matérialiser dans les conférences de Madrid (1991) et d’Oslo (1993-1995). Ces conférences ont servi à obtenir d’Israël le consentement d’introduire l’OLP — une organisation vouée à la destruction d’Israël — sur son propre territoire. Les instruments de pression utilisés visant Israël sont les aides financières, l’assistance militaire et le support diplomatique.
Aucune pression équivalente n’a été exercée sur l’OLP ou le Fatah concernant leur charte, leur éducation scolaire, leur propagande médiatique ou leurs actions terroristes. Aucune conditionalité n’a été appliquée pour limiter leur financement ou leur autonomie opérationnelle dans la violence meurtrière.
Le Fatah et sa branche armée, les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, ont revendiqué de nombreux attentats sans que le garant des accords ne réagisse, et — plus grave encore — sans qu’Israël ne demande publiquement aux États-Unis d’assumer leur prétendu rôle de garant.

Exemples d’attentats revendiqués :
– 21 mars 2002, rue King George, Jérusalem : attentat suicide, 3 morts et près de 60 blessés ;
– 5 mars 2002, restaurant Seafood Market, Tel-Aviv : fusillade et attentat suicide, 3 morts et 35 blessés ;
– 4 mars 2002, Beit Shemesh : attentat suicide, 1 mort et 4 blessés ;
– 27 janvier 2002, Jénine : fusillade revendiquée, 1 mort ;
– 22 janvier 2002, Jérusalem : fusillade contre un bus, plusieurs blessés.

Le Hamas, issu de la mouvance des Frères musulmans, n’a pas été introduit par Israël. Il a émergé dans un contexte où certaines de ses activités sociales et religieuses étaient acceptées avant la première Intifada. L’organisation s’est ensuite étendue sur le plan politique et armé, financée par le Qatar, lui-même dépendant de la protection militaire américaine et du système bancaire américain.
Ces dynamiques locales s’inscrivent dans une logique impériale globale : les grandes puissances cherchent à institutionnaliser des rapports de force asymétriques pour gérer de multiples populations, souvent par des intermédiaires chargés de sous-traiter la violence et d’alimenter des conflits qu’elles prétendent ensuite pacifier contre des contreparties. Dans ce cadre, les petites puissances régionales comme Israël doivent être contraintes lorsque leur autonomie ou leur symbolique menace cette stratégie, tandis que des acteurs locaux fragmentés, comme l’OLP ou le Hamas, servent de leviers.

Symboles, empire et religion

Le droit international contemporain formalise ces rapports de force pour les étendre dans le temps : le Conseil de sécurité confère aux grandes puissances un poids juridique supérieur par le droit de veto, et la légalité stabilise l’ordre tout en reposant sur une menace implicite de coercition. La loi fonctionne comme un vecteur symbolique permettant de mettre en scène un rapport de forces.
Ainsi, la diplomatie impériale peut être vue comme une promesse de paix et de sécurité permanentes fondée sur des conflits permanents. Un paradoxe fondamental sous-tend le maintien d’un empire : il dépend d’une menace, intérieure ou extérieure, pour asseoir son pouvoir. L’empire occidental, via les États-Unis, a régulièrement cherché à fabriquer des ennemis ou à amplifier des conflits afin de maintenir ou étendre la dépendance des pays vassaux. Cela peut prendre des formes directes (Ukraine, confrontation avec la Russie) ou indirectes, en se posant comme protecteur. C’est ainsi qu’une nation peut être déstabilisée sous couvert de protection, puis progressivement vassalisée par des moyens politiques, économiques et militaires, mais cette vassalisation n’est possible que s’il y a une faiblesse symbolique dans la nation cible.

L’empire, la religion et Israël

Un empire institué ne se définit pas par un peuple ou un territoire, mais par une organisation sociale de grande échelle fondée sur la centralité des symboles. Ces symboles doivent être perçus comme plus puissants que ceux des peuples vassaux pour que ces derniers se placent sous leur tutelle.
Prenons l’exemple du dollar : simple image imprimée, mais symbole de puissance économique et politique, une idole païenne moderne, comme l’ont décrit Marx ou Bachelard. La croyance dans le pouvoir de l’image est absurde à l’échelle individuelle ; elle prend son sens à l’échelle collective, car elle repose sur le mimétisme décrit par René Girard : le désir naît de la reconnaissance de l’image par les autres. Ce n’est pas l’image qui possède une valeur intrinsèque, mais la valeur que les autres lui attribuent, ce qu’on appelle aussi  la valeur de marché.
Ainsi, un empire se centralise toujours autour d’une projection collective de pouvoir sur des images mises en scène par une oligarchie. Concernant le dollar, il est géré par une banque centrale, la Fed, au statut privé depuis 1913, donnant à quelques familles non élues un pouvoir considérable sur l’administration américaine, dont un des rôles est de maintenir la prééminence du dollar.
La géopolitique peut être comprise comme l’usage de symboles de puissance destiné à renforcer la légitimité de ces mêmes symboles. Cette logique s’inscrit dans la continuité historique des empires antiques — Assyrie, Babylone, Perse, Rome, Constantin — pour lesquels l’autorité politique reposait sur la vénération d’images, d’emblèmes et d’objets investis d’un pouvoir symbolique. Les idoles de l’Antiquité n’étaient pas seulement des objets religieux ; elles jouaient un rôle central dans la structuration de l’imaginaire collectif et dans la consolidation du pouvoir.
Si l’empire repose en grande partie sur la force des images et des représentations — autrement dit sur un système de signes remplissant une fonction comparable à celle des idoles antiques — cela entraîne plusieurs conséquences :

  1. L’illusion n’est pas identifiée comme telle par les populations gouvernées, qui ne perçoivent pas le caractère cultuel ou quasi religieux de ces symboles. Comme dans les cultes impériaux antiques, le rituel est intégré au quotidien au point de devenir invisible.
  2. Le pouvoir tend à se mettre en scène dans des contextes marqués par la violence, la crise ou le traumatisme, au moyen d’événements publics ou médiatiques qui renforcent sa légitimité. De même que les empires d’Assyrie ou de Rome mettaient en avant leurs conquêtes pour prouver la puissance de leurs dieux, les puissances contemporaines tirent une partie de leur capital symbolique de conflits et de destructions passés ou présents.
  3. L’affaiblissement des systèmes de croyance des peuples soumis favorise l’adoption des symboles impériaux. Ce processus — déplacements forcés, effacement des traditions, uniformisation culturelle — existait déjà dans l’Antiquité et perdure aujourd’hui. La perte des repères symboliques permet à la puissance dominante d’imposer les siens, comme jadis les panthéons impériaux remplaçaient les cultes locaux.
  4. La transcendance tend à être reléguée hors de l’espace public, car une transcendance non maîtrisée échappe au contrôle impérial. La laïcité, dans ce contexte, peut devenir un espace de diffusion des symboles de l’empire — un équivalent moderne du forum ou du temple — où les mots, les valeurs et même la monnaie remplissent une fonction comparable à celle des idoles : des objets investis d’un pouvoir politique par le regard collectif. Le marketing politique et économique moderne reprend ainsi des mécanismes identiques à ceux des systèmes cultuels antiques : la création d’images auxquelles on accorde une autorité, et qui structurent la perception du réel.
    Ainsi, loin d’être une rupture radicale, le système contemporain prolonge en grande partie les mécanismes antiques : il continue de s’appuyer sur la force des représentations pour produire l’adhésion, maintenir la cohésion et organiser le rapport au pouvoir.

Le peuple juif et la symbolique biblique

La réaffirmation par le peuple juif de son lien au texte biblique et à la terre d’Israël peut être perçue comme un défi à cette architecture symbolique. Depuis Constantin, les empires ont cherché à intégrer l’héritage biblique au service de leur pouvoir. Il n’est donc pas surprenant que sur le billet vert et au dos soit inscrit « In God We Trust » de manière discrète par rapport aux symboles païens comme la pyramide, l’œil, ou l’image de George Washington sur le recto . Placer Dieu au service du pouvoir comme outil de marketing  ou l’écarter de la scène publique au profit du culte de la personnalité,  sont  les deux faces du même billet. Das les deux cas, le système symbolique impérial tend à écarter le peuple juif de son rôle central dans la tradition biblique, en lui substituant d’autres figures selon les contextes :

Un principe biblique transformé en outil symbolique peut ainsi être mobilisé pour contester au peuple juif la souveraineté sur sa terre historique. L’attention marquée envers certaines figures politiques israéliennes, telles qu’Itamar Ben Gvir ou Bezalel Smotrich, est révélatrice : pourquoi sinon l’empire occidental les considère-t-il comme plus menaçants que les dictateurs sanguinaires qu’il soutient pourtant ailleurs, notamment en Afrique et aujourd’hui en Syrie ?
Dans cette logique, la géopolitique impériale vise à maintenir ses symboles dominants tout en intégrant ceux des peuples soumis dans une stratégie communicationnelle élargie, prolongeant la logique du syncrétisme religieux impérial antique, où les dieux conquis étaient intégrés au panthéon de la puissance victorieuse.La force de l’empire est la fragilité d’Israël

Lorsque le peuple juif renonce à son propre patrimoine symbolique au profit d’images impériales, ce patrimoine peut être réinterprété et retourné contre lui — exactement comme dans l’Antiquité, où les panthéons dominants captaient la légitimité des peuples conquis. Le discours palestiniste actuel mobilise précisément des références bibliques, ce qui montre que l’enjeu n’est pas seulerment géopolitique, mais aussi symbolique.
Le fait qu’Israël ait laissé l’OLP détruire son patrimoine archéologique en Judée-Samarie, ou accepté l’implantation de structures politiques soutenues de l’extérieur — OLP puis Hamas — sur la terre de son héritage historique, a contribué à la situation qui a conduit aux événements du 7 octobre.
De ce point de vue, l’antisionisme tire son efficacité de la défiance généralisée des peuples envers l’empire sous lequel  Israel a choisi de se placer au point de se soumettre à un système qui a un intéret à son affaiblissement à sa destruction, et lorsque le peuple juif adopte lui-même les idoles de l’empire,  se positionne en tant que protégé de l’empereur  il se retrouve dans une position analogue à celle des minorités privilégiées des systèmes impériaux anciens : tant que le centre est fort, elles bénéficient de l’illusion de leur protection ; lorsqu’il s’affaiblit, elles en subissent les conséquences.

La Bible elle-même tire les leçons de ces mécanismes.  Elle avertit à plusieurs reprises que le culte des idoles entraîne la domination par des puissances étrangères et des destructions sociales et matérielles.

Juges 2:11-15 – Le cycle des Juges :
« Les enfants d’Israël firent ce qui est mal aux yeux de l’Éternel et servirent les Baals et les Astartés. Ils abandonnèrent l’Éternel, le Dieu de leurs pères, qui les avait tirés du pays d’Égypte, et suivirent d’autres dieux, des dieux des peuples qui étaient autour d’eux, et ils se prosternèrent devant eux et irritèrent l’Éternel. La colère de l’Éternel s’enflamma contre Israël, et il les livra entre les mains de ravisseurs qui les dépouillèrent. »

La conclusion est que le véritable champ de bataille est celui de l’opinion publique. Les soit-disant Palestiniens  ne sont que des instruments sacrificiels utilisés pour  à la fois ternir l’image d’Israël,  et le détruire à petit feu.

Pour l’empire américain, comme pour n’importe quel empire régnant sur des cultures imprégnées de la révélation biblique, la Bible n’est qu’un puissant outil de marketing. Il sait que c’est une arme psychologique plus efficace que des bombes et des missiles qui nous sont offerts en échange du renoncement à incarner ce que nous sommes.

Ainsi les armes ne sont qu’une chimiothérapie offerte par l’empire  sous condition que nous abandonions notre arme de prévention du cancer à son profit. Le système montre que notre véritable ennemi réside en nous memes. Cet ennemi c’est  le doute, celui  de la  valeur et de la puissance des symboles de la bible.

La paix ne se construira pas sous l’égide d’un empire dont la puissance repose sur la vente d’armes, sur la captation des marchés rendue possible par des guerres de destruction menées depuis plus d’un siècle, et sur l’adhésion des masses obtenue par des méthodes de manipulation, notamment ces conférences de paix qui ne servent qu’à mettre en scène le pouvoir ce qui ne peut se faire qu’avec notre consentement servile.

Le 7 octobre et Oslo démontrent qu’un retour au sens loin de la culture de l’image et du marketing est nécessaire.  Prendre le risque de déplaire aux prétendus puissants, pervers narcissiques manipulateurs d’images, magiciens d’Oz du moment, permet de nous respecter et être respectés de ceux qui détiennent le véritable pouvoir, si nous leur montrons la voie, celle  de la libération du culte des images, l’opinion publique.

© Roland Assaraf


Chercheur et physicien au CNRS, Roland Assaraf travaille à Sorbonne université, participe au blog « Perditions idéologiques » et collabore avec Yana Grinshpun dans le domaine de l’analyse du discours et en particulier du discours de propagande.

Roland Assaraf est membre du parti « Decidemos », au sein de la coalition « Décidons Nous-Mêmes », un des nombreux partis en France qui  propose  la construction d’un système fondé sur le modèle Suisse.


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