Tribune Juive

Addictions et drogues en Israël: une situation amplifiée par le traumatisme du 7 octobre 2023 et la guerre qui a suivi. Par Francis Moritz

Addictions et drogues en Israël : Après le 7 octobre, Une crise en accélération, la menace, Traumatismes, médicaments et mutation silencieuse d’une crise nationale

En Israël, la question des addictions n’est plus un phénomène marginal. Elle est devenue un enjeu de santé publique majeur. Les données les plus récentes, issues de l’Israel Center for Addiction and Mental Health (ICAMH), ainsi que d’enquêtes universitaires et parlementaires, révèlent une transformation profonde des usages, amplifiée par le traumatisme du 7 octobre 2023 et la guerre qui a suivi.

Entre 2022 et 2025, le paysage des addictions israéliennes change de nature : moins centré sur les drogues illicites classiques, davantage orienté vers les médicaments psychoactifs, les opioïdes prescrits, les sédatifs, sans oublier la montée des addictions comportementales (internet, réseaux sociaux, jeux vidéo).

1. Un pays sous pression : le contexte 2022–2025

Entre avril 2022 et février 2025, trois vagues d’enquêtes nationales menées par l’ICAMH permettent de mesurer l’impact de la guerre et du traumatisme collectif sur la consommation de substances.

Les résultats sont sans ambiguïté :

Autrement dit : la guerre n’a pas créé les addictions, elle les a accélérés. Elle a eu un effet d’amplification chez les consommateurs existants et en a créé de nouveaux, tant parmi ceux appelés à se battre que parmi ceux de retour du front. Les syndromes post traumatiques se sont multipliés. Les angoisses sont devenues monnaie courantes au sein des familles avec des enfants, filles ou garçons en âge d’être mobilisés.  

2. Les substances les plus consommées : alcool, cannabis… puis médicaments

Alcool et cannabis : toujours en tête

L’alcool reste la substance la plus consommée dans le pays, suivi du cannabis :

Ces niveaux rejoignent ceux observés dans les pays occidentaux les plus consommateurs.

Le tournant majeur : les médicaments psychoactifs

L’évolution marquante ne concerne plus les drogues illicites, mais les substances prescrites :

Selon les analyses du Taub Center, Israël a atteint autour de 2020 le plus haut taux mondial de consommation d’opioïdes prescrits par habitant, devant les États-Unis et le Canada.

Cette « épidémie silencieuse » continue de se développer, en grande partie sous le radar de la société israélienne.

3. Addictions comportementales : le pic du 7 octobre

Les usages problématiques liés :

ont également connu un pic brutal immédiatement après le 7 octobre.

Ces comportements ont ensuite tendance à redescendre graduellement en 2024, mais certains — notamment l’usage excessif d’Internet — restent durablement au-dessus du niveau d’avant-guerre.

4. Jeunes et adolescents : un signal d’alarme rouge

Le rapport du Centre de recherche de la Knesset sur les élèves de 5e à 12e classe est sans appel :

Et chaque année, près de 1 000 adolescents sont pris en charge par les services sociaux pour addiction à des substances psychoactives.

En clair : les médicaments opioïdes sont en train de devenir la nouvelle drogue des adolescents, bien avant d’autres substances plus visibles.

Pour toutes ces raisins, ce sont les jeunes qui sont les plus vulnérables et les plus touchés.

5. Les groupes les plus exposés

Les études révèlent des zones sociales particulièrement vulnérables :

Jeunes adultes (18–34 ans)

Ils concentrent les taux les plus élevés d’usage problématique, de troubles anxieux, de dépression et de SPT.

Hommes

Plus touchés que les femmes par les addictions comportementales (pornographie, jeux vidéo, gambling) et par l’usage de cannabis.

Population séculière et traditionnelle

Plus forte consommation de cannabis, plus de dépression et de SPT (syndrome Post traumat).

Population ultra-orthodoxe

Usage plus important de sédatifs et tranquillisants sur ordonnance, souvent normalisé dans un cadre strict.

6. Une santé mentale fragilisée

Le bouleversement provoqué par le cataclysme du 7 octobre a entrainé une explosion des symptômes psychiques :

Les données issues des caisses de santé, notamment Maccabi, montrent une augmentation spectaculaire des diagnostics :

Ce niveau de traumatisme collectif constitue un terreau fertile pour l’automédication et les addictions. Ils s’agissent aux perturbations dejà entrainées par une forte présence sur les réseaux sociaux, la télévision, notamment. La multiplication massive des fake news constitue une nouveau facteur d’anxiété qui trouve aussi son exutoire, dans la prise de médicaments ou de drogues.

7. Un système de soins morcelé

Israël souffre d’un système de prise en charge éclaté qui n’a pas été résolu à date.  Cette division entre les organismes, diminue l’efficacité des soins et en rend l’accès d’autant plus difficile aux patients. Il faut y remédier.

 Les caisses de santé gèrent la santé mentale courante,

Résultat

Une fragmentation des services, un manque de coordination, des délais de traitement démesurés, et des patients qui passent d’un guichet à l’autre

Les chercheurs de l’ICAMH craignent un scénario déjà observé dans d’autres pays en situation de conflit :
une normalisation à long terme de niveaux élevés d’anxiété, de syndromes PT et d’abus de substances.

Les facteurs de risque — insécurité, le deuil, la fréquences des cérémonies ade deuil, les menaces de guerre — n’ont pas disparu. Ils se sont installés.

Conclusion : une crise silencieuse qui devient visible, qui s’installe

En Israël, l’addiction n’est plus un phénomène sociologique marginal. C’est un révélateur puissant :

La dynamique observée entre 2022 et 2025 annonce un défi de long terme :
prévenir une crise des opioïdes “à l’américaine” tout en prenant en charge une population traumatisée en profondeur.

Cinq chiffres à retenir

Sanctions pour usage de drogues en Israël — Synthèse

1. Usage personnel

2. Trafic, production, import/export

3. Alternatives à la prison

4. Particularités

Israël a des ennemis à combattre à l’extérieur, il est aujourd’hui face à un fléau intérieur, redoutable par ses ravages et le défi qu’il constitue. Il faut agir vite et fort.  Ce sont les consommateurs qui font le marché.

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine. Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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