Tribune Juive

Courbevoie : Lettre à une enfant juive que la France a lâchée. Par Richard Abitbol

Tu as été violée dans les locaux désaffectés d’une crèche
© LP/Benjamin Derveaux

Courbevoie, juin 2025

« Il faut toujours prendre parti. La neutralité aide l’oppresseur, jamais la victime. Le silence encourage le bourreau, jamais le tourmenté. » Elie Wiesel – Discours du Prix Nobel de la paix, 10 décembre 1986

Tu t’appelles toujours « la victime » dans les articles.  

On ne dit plus ton prénom, on dit « la collégienne de 12 ans ».  

Comme si te nommer te rendrait trop humaine, trop réelle, trop insupportable pour ceux qui préfèrent regarder ailleurs.

Mais moi je veux te nommer, même si la loi m’interdit de le faire.  

Je veux que tu saches que des milliers de gens pensent à toi ce soir, qu’ils pleurent pour toi, qu’ils ont mal avec toi.  

Tu avais 12 ans. Douze.  

L’âge où on commence à peine à rêver d’amour, où on rit avec ses copines dans la cour de récré, où on craint encore le noir mais où on croit que le monde est juste.

Ils t’ont traînée dans une crèche abandonnée.  

Ils t’ont violée à tour de rôle.  

Ils t’ont brûlé les cheveux.  

Ils t’ont forcée à avaler du papier.  

Ils t’ont craché dessus en hurlant « sale juive ».  

Soixante minutes.  

Une éternité.

Et toi, tu as cru que tu allais mourir.  

Tu l’as dit au tribunal, d’une voix toute petite :  

« J’ai pensé que c’était fini. »

Hier, le 18 novembre 2025, la cour d’appel de Versailles a décidé que l’un de tes bourreaux, celui qui avait 13 ans lors des faits, méritait… une réduction de peine.  

De neuf ans à sept ans.  

Avec une « mesure éducative » en prime, comme un petit cadeau.  

Son avocate a osé dire que les juges avaient enfin « considéré la personnalité de mon client plutôt que de céder à l’émotion collective ».

L’émotion collective.  

C’est ainsi qu’on appelle désormais l’horreur qu’on ressent quand on imagine sa propre fille à ta place ?  

C’est ainsi qu’on nomme la nausée qui nous prend quand on apprend que ton violeur sortira probablement dans trois ou quatre ans, à peine majeur, pendant que toi tu porteras les brûlures, les cauchemars, la peur panique des garçons, la honte qu’on t’a injectée dans les veines, jusqu’à ton dernier souffle ?

Tu as 13 ans aujourd’hui.  

Tu ne mets plus de maillot de bain.  

Tu ne fais plus de gym.  

Tu ne marches plus jamais seule.  

Ta famille a dû déménager.  

Ta mère dort à peine.  

Ton père doit l’avoir cette rage sourde qui lui ronge le ventre chaque fois qu’il croise un uniforme de magistrat.

Et la République, elle, a choisi le camp du bourreau.  

Parce qu’il est jeune.  

Parce qu’il faut « préparer sa réinsertion ».  

Parce que l’antisémitisme, finalement, ce n’est pas si grave quand la victime est juive et que les coupables sont mineurs.

On nous a vendu des marches blanches, des discours larmoyants, des « plus jamais ça ».  

Et quand « ça » arrive, quand une enfant juive est torturée parce qu’elle est juive, la justice française répond : circulez, il n’y a rien à voir, juste un petit excès de jeunesse.

Je pense à toi ce soir, petite fille sans nom dans les journaux.  

Je pense à tes yeux qu’on n’ose plus regarder en face.  

Je pense à tes nuits hantées.  

Je pense à ton corps qu’on a brisé et à ton âme qu’on a piétinée.

Et je te demande pardon.  

Pardon au nom de ce pays qui n’a pas su te protéger.  

Pardon au nom de cette justice qui t’a condamnée à perpétuité pendant qu’elle caressait la tête de ton bourreau.  

Pardon au nom de tous ceux qui se taisent aujourd’hui.

Tu mérites mieux qu’une République qui plie devant la barbarie.  

Tu mérites qu’on hurle ton histoire jusqu’à ce que plus personne n’ose détourner le regard.

Je hurle avec toi.  

Nous sommes des milliers à hurler avec toi.

Tu n’es pas seule.  

Jamais.

© Richard Abitbol

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