
Disney+ traîne encore sa réputation de fabrique à rêves propres et bien repassés. Pourtant, la plateforme a commencé à injecter dans son catalogue des récits qui sentent la terre, la sueur, et parfois la morgue. Elle s’éloigne du sucre, s’approche du béton. Deux titres le prouvent : Les Disparues de la Gare et The Murdaugh Murders. Deux séries qui n’ont rien de féerique. Elles rappellent que même chez Disney, les monstres ne chantent pas toujours.
Les Disparues de la Gare avance en économie de moyens. Tout est retenu, pensé, comprimé. La réalisation se cale sur la géographie : une gare fantôme, des rues qui n’espèrent plus rien, une province où les lampadaires sont fatigués avant les habitants. Le récit fonctionne par petites secousses, à peine visibles. Pas de spectaculaire. Pas de grand discours. La série montre comment un environnement banal peut devenir un piège lent. Le crime n’a pas besoin de fracas : il prospère dans les creux. Cette sobriété, c’est son moteur. On ne regarde pas une enquête : on regarde le terrain qui bouffe les gens.
The Murdaugh Murders, c’est l’autre école. L’Amérique XXL. Tout déborde : l’argent, les privilèges, les morts, les mensonges. Le documentaire n’a même pas besoin d’en rajouter : l’affaire est déjà trop pleine. Le montage est tendu, les témoins parlent comme s’ils jouaient leur peau, et chaque épisode rajoute une couche de corruption comme on rajoute du gravier sur un pneu crevé. Ici, la chute n’est pas progressive : elle est permanente. Le clan Murdaugh s’effondre tout en continuant de croire qu’il tient encore debout. Ça donne une série nerveuse, saturée, où chaque révélation écrase la précédente.
La comparaison produit un contraste net. La série française explore le vide : l’absence d’indices, l’absence de bruit, l’absence d’issue. Elle montre comment l’inertie d’un territoire finit par devenir un acteur du drame. La série américaine explore l’excès : trop d’histoires, trop d’influences, trop de dégâts. Deux manières opposées de filmer la violence : le manque contre le trop-plein. L’une inquiète par étouffement, l’autre sidère par accumulation.
C’est là que Disney+ surprend. La plateforme ne se contente plus de ses licences rassurantes. Elle sert aussi du vrai noir, sans fioritures. Les Disparues de la Gare et The Murdaugh Murders montrent qu’elle sait passer du murmure français au vacarme américain. Deux récits qui prouvent que le crime, même sous bannière Disney, n’a rien d’un manège. Mickey n’a pas changé de sourire : c’est le monde autour qui a perdu le sien.
© David Castel
Ex-avocat, hébréophone & parémiographe. Écrit entre deux cafés, trois procès et mille aphorismes.