Tribune Juive

Être juif. Par Dov Maimon

Il y a actuellement, dans ce groupe, un débat important sur ce que signifie être juif, en particulier lorsque l’on n’est pas religieux. Je me permets donc de partager quelques éléments issus de la recherche contemporaine sur l’identité juive, domaine sur lequel je travaille au JPPI (pour reprendre Philip Roth, je suis un « juifologue »).
C’est un peu long — merci d’avance de votre patience.

1. Une distinction fondamentale : individu, communauté, peuple

Dans la plupart des diasporas, l’identité juive se vit surtout à travers les dimensions individuelle et communautaire, alors que la dimension nationale et politique est moins présente.
On se vit comme individu ou comme membre d’une communauté, mais pas toujours comme partie d’un peuple souverain.

Cette nuance — en apparence légère — est en réalité décisive pour comprendre les dynamiques de continuité, de transmission, ou les réponses face à la violence et à la barbarie.

2. La religion : une composante parmi d’autres

Dans ce cadre, la frontière entre « religieux » et « laïque » est souvent secondaire.
En Israël, où la majorité des Juifs sont laïques, la religion n’est qu’un élément parmi d’autres de l’identité. L’un des objectifs du sionisme a même été de redonner une place pleine et entière au Juif laïque ou athée qui demeure profondément attaché à son peuple, à son histoire et à sa culture.

3. Endogamie : une logique d’exil, pas un absolu

La centralité du mariage intra-juif est une stratégie de survie diasporique, pas une constante théologique immuable.
Dès la Bible, des figures centrales — Joseph, Moïse, David, Salomon — ont épousé des femmes étrangères.
Lorsque la majorité environnante est juive, que la langue, la culture et la vie publique sont juives, ces stratégies perdent une grande part de leur fonction.

4. Le judaïsme : religion, culture, peuple, civilisation

On réduit souvent le judaïsme à la religion, mais la recherche montre qu’il s’agit d’un ensemble complexe:
• une religion,
• un peuple,
• une culture,
• une mémoire,
• une sensibilité,
• une civilisation,
• un projet collectif.

Delphine Horvilleur rappelle qu’on n’a pas besoin de croire pour appartenir au peuple juif — ce que confirment de nombreux travaux internationaux.

5. Levinas : “être au monde” et “quant à soi”

Pour formuler cela de manière philosophique, on peut reprendre Levinas :
• le judaïsme n’est pas seulement un corpus de croyances,
• c’est une manière d’être au monde,
• et un quant à soi — une manière singulière de se situer dans l’existence, d’assumer une responsabilité envers autrui, d’inscrire son destin dans celui d’un collectif qui traverse l’histoire.

Ces notions lévinassiennes permettent de comprendre que l’identité juive est avant tout une forme d’existence, une orientation éthique et une inscription dans une histoire longue.

6. Une image possible : système d’exploitation et applications

Pour expliquer cela de manière contemporaine, certains chercheurs utilisent une métaphore numérique :
• les « applications » sont les pratiques concrètes : traditions, langue, cuisine, culture, fêtes, engagements sociaux, etc.
• le « système d’exploitation » est la structure identitaire profonde qui organise le rapport au monde.

Dans cette image, le judaïsme n’est pas chaque pratique isolée, mais l’architecture qui permet à l’ensemble de tenir.

7. Israël : une immersion identitaire complète

Vivre en Israël — entouré de Juifs, parlant hébreu, participant aux institutions collectives — crée une immersion identitaire unique.
Cette immersion renforce naturellement les dimensions nationale, culturelle et historique de l’identité, et permet une expérience difficilement reproductible en diaspora.

© Dov Maimon

Dob Maimon est Senior Fellow, à JEWISH PEOPLE POLICY INSTITUTE

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