La nouvelle marranisation. Par Paul Germon

En 2014, Tribune Juive publia un texte de moi-même intitulé :

« La marranisation des Juifs de France est en cours. »

J’ignorais alors à quel point les années suivantes allaient confirmer cette intuition.

Le mot me semble aujourd’hui bien juste.

Je ne pensais pas qu’il dépasserait la France — qu’il désignerait bientôt tout l’Occident.

Mais nous y sommes : une époque où la dissimulation est redevenue une condition de survie morale.

I. Le retour du masque

Le vieux fantôme revient.

Pas celui des pogroms ni des ghettos : celui, plus subtil, qui se glisse dans les salons cultivés et les plateaux bien peignés.

L’air est devenu soupçon, la bien-pensance une nouvelle inquisition.

On ne demande plus au Juif de se convertir, seulement de s’excuser.

D’être discret, modéré, raisonnable — et surtout : de ne pas rappeler qu’il est encore debout.

Nous revoilà Marranes.

À Paris, à New York, à Londres.

Nous pratiquons la pudeur identitaire comme d’autres le yoga.

On baisse la voix quand on dit « Israël » —

comme nous le faisions lorsque j’étais jeune en Tunisie,

où nous changions, dans nos conversations, le nom d’Israël en Canada,

pour que les murs n’entendent pas.

Le réflexe est revenu, raffiné, occidental : même peur, autre décor.

On pèse les mots comme autrefois nos ancêtres pesaient la farine pour le pain du shabbat, dans les caves de Tolède.

Le monde nous aime tant qu’on reste transparents.

Et pourtant, nous avons un pays.

Un peuple revenu d’entre les morts.

Une langue sortie de la poussière des synagogues, des filles qui pilotent des avions de chasse et des garçons qui inventent des prothèses neuronales.

Mais nous continuons à demander la permission d’exister.

Nous avons trop de morts derrière nous pour feindre,

et trop de vivants devant nous pour nous taire.

II. La France, ce pays qui s’aime juste

La France n’est pas antisémite, non.

Elle est pire : elle est mal à l’aise.

Elle ne hait pas le Juif ; elle redoute ce qu’il lui renvoie — son propre renoncement, sa fatigue morale, son incapacité à se battre encore pour la vérité.

Elle adore le Juif du passé : celui de Péguy, de Zola, de Simone Veil.

Celui qu’on encadre, qu’on cite, qu’on dépose au Panthéon.

Mais elle redoute celui du présent, celui qui ose dire : Israël ne s’excuse pas.

Le Juif qui ne pleure plus, ça la dérange.

Elle préfère l’enfant d’Auschwitz au soldat du Néguev.

Dans les cafés, les universités, les dîners, on ne dit plus « Israël coupable », on dit « les deux camps».

C’est la même phrase, en plus chic.

L’antisémitisme a troqué la matraque pour le ton professoral.

C’est un racisme en col blanc, parfumé à la morale universelle.

Les nouveaux inquisiteurs ne brûlent plus nos livres : ils nous expliquent nos douleurs.

Ils nous pardonnent d’exister, mais à condition qu’on le fasse discrètement.

Et les élites applaudissent — toujours prêtes à aimer les Juifs à condition qu’ils se haïssent un peu eux-mêmes.

Mais cette fois, nous ne partirons pas.

Nous avons appris la leçon.

Ni le mépris ni la peur ne nous feront courber l’échine.

Nous ne demanderons plus à la République la permission d’être ce qu’elle a promis de protéger.

Et tant pis pour ceux qui courbent l’échine, vivent dans les beaux quartiers et invoquent l’immigration de leurs grands-parents fuyant les pogroms russes du début du XXᵉ siècle pour s’intégrer dans « notre admirable pays ».

Leur pensée figée et insubtile, leur idéologie de benêts vertueux, leur brouille le cerveau.

III. Israël, mémoire du futur

Ils ne comprennent pas : Israël n’est pas une terre, c’est une mémoire debout.

Un miracle géographique, planté entre la mer et le désert.

Le seul pays au monde où la Bible a une armée de l’air.

Chaque innovation agricole, chaque greffe cardiaque, chaque satellite lancé depuis le Néguev prolonge le même verset : Am Yisraël Haï.

Le peuple d’Israël vit, crée, invente — et c’est cela qu’on ne pardonne pas.

Pas son pouvoir : sa vitalité.

Pas son armée : sa résurrection.

Ils supportent nos morts, mais pas nos victoires.

La nouvelle marranisation ne nous étouffera pas.

Elle accouchera d’une génération qui parle haut, clair et sans honte.

Car cette fois, le Juif n’a plus besoin de se cacher pour survivre : il se montre pour témoigner.

Et si le monde préfère le silence, nous ferons du bruit.

Nous avons trop de morts derrière nous pour mentir,

et trop de vivants devant nous pour nous courber.

Notre avenir n’est pas dans l’excuse, mais dans la lumière.

IV. L’Amérique, miroir à retardement

Les trente pour cent de Juifs qui ont voté pour Mahdani à New York ne réalisent pas encore le mal qu’ils ont fait à leur peuple — et à l’Amérique.

Ils ont cru voter pour la justice ; ils ont voté pour la confusion.

Ils ont voulu paraître du bon côté de l’Histoire ; ils se sont placés du côté de l’oubli.

Ils ont, sans le savoir, contribué à leur marranisation future.

Car c’est ainsi que tout recommence : non par la haine ouverte, mais par la honte intériorisée.

Le Juif qui cherche à se faire aimer finit toujours par disparaître sous le regard de ceux qu’il veut séduire.

Les Marranes du XXIᵉ siècle n’allumeront pas de chandelles en cachette : ils likeront les bons posts, signeront les pétitions correctes et s’excuseront d’avoir une mémoire.

La modernité leur a donné Internet, pas la liberté.

Et quand ils comprendront, il sera trop tard pour dire : « Je ne savais pas. »

© Paul Germon

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2 Comments

  1. Ce que raconte M. Germon est juste et réel. Connaissez-vous la « tradition » tunisienne de la chtakah qui consistait à demander au Juif de se baisser et tendre sa nuque pour qu’il reçoive une grande baffe. Mon père nous racontait cette anecdote, peut-être vraie, peut-être fausse où un très jeune enfant musulman demande à un vieux Juif de se baisser à son niveau pour qu’il reçoive la chtakah qui lui est due. Actuellement, cette « tradition » n’existe plus; elle est devenue « morale ».

  2. Bravo pour cet édito Paul…souhaitons un sursaut de la République et de de la part de certains de notre communauté qu’elle soit New Yorkaise, Française ou européenne.
    Soyons fiers d’affirmer notre identité !!!

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