
Et toi : que faisais-tu ce jour-là ? Étais-tu en famille ? Avec des amis ? Au travail ? Au sport, au cinéma peut-être ? Étais-tu attablé en terrasse, jouissant à grands coups d’éclats de rire de cette formidable liberté, de cette joie de vivre à la française ? Avais-tu commandé un verre de vin, une bière ou un cocktail ? De quoi parliez-vous ? À quoi pensais-tu ? Et toi, qu’allais-tu faire après ta longue soirée de travail aux abords du stade : rentrer chez toi pour embrasser tes enfants ? À quoi pensais-tu juste avant ? Et vous — et toi — et lui — et elle qui étiez tous ensemble dans cette salle de concert, mythique : connaissiez-vous ce groupe ? Était-ce la première fois ? Étiez-vous des fans ou veniez-vous les découvrir ? Toi donc, c’était le premier concert : à quoi pensais-tu ? Toi qui étais présent avec ton père : lui tenais-tu la main ? Vous, les amoureux, vous êtes embrassés ? Étiez-vous tous heureux à cet instant précis ?
Pardonnez-moi… Je n’ai pas la place… Pas assez d’encre, pas assez de mémoire pour graver vos prénoms à tous — vous les morts, vous les blessés, vous les orphelins, vous les veufs et les veuves, vous les frères et sœurs… Vous tous qui avez été amputés d’un membre de votre famille… vous les blessés de guerre, des condamné à perpétuité, celle de la souffrance, celle de la culpabilité du survivant, celle des antidouleurs, des antidépresseurs, celle des larmes, quand vient la nuit… Celle des fantômes, les images fantômes… La perpétuité du souvenir, effroyable durant des mourants, celle du bruit, des feux de l’enfer…
Nous vivons avec vos murmures, vos témoignages, votre exemple et votre courage, nous communions dans la souffrance, nous luttons contre l’oubli, nous vivons mais…
10 ans… dix ans que les derniers souffles des martyrs ont fait s’envoler les graines du souvenir. Les graines qui ont germé ici et là, partout en France et partout où la France est aimée. Compassion. Tristesse, empathie, colère, rage, désespoir, mais aussi résistance, résilience, renaissance, solidarité, universalisme, humanisme, cohésion, amour, fraternité.
Et pourtant… Regarde la ma France, 10 ans plus tard, regarde cette violence, cette haine dans les yeux de ses représentants… de ces députés qui bavent de haine. Constate avec amertume la véhémence avec laquelle ils s’invectivent.
Le monde ne va pas mieux. Nous devions honorer ce souffle en cultivant la justice et la paix, nous peinons à y parvenir. Je vous demande pardon, je vais y travailler : revoir ma copie, reprendre mes outils, reprendre mon ouvrage, transmettre, partager, éclairer, lutter, combattre mais aussi rire, rire aux éclats, rire à en pleurer sur les terrasses aux abords des stades et dans les salles de concert, parce que cette liberté c’est ce que nous avons de plus précieux et c’est pourquoi nous devons nous battre jusqu’au bout.
© Jean Tamalet
