Tribune Juive

Relations franco-israéliennes et perceptions depuis la guerre contre le Hamas en 2023 – Par Nicolas Carras

Depuis le déclenchement de la guerre contre le Hamas en octobre 2023, la France n’a pas fourni d’aide militaire directe officielle à Israël au sens de déploiement de troupes, financement explicite ou envoi massif de munitions. Cependant, des exportations d’armements et de composants militaires à destination d’Israël ont continué, notamment dans le domaine des équipements électroniques, pièces pour drones, composants optiques et équipements liés à la défense. Ces exportations, évaluées à environ 30 millions d’euros en 2023, incluent des matériels destinés à la fabrication ou à la maintenance de drones israéliens utilisés dans le conflit.

Le gouvernement français affirme ne pas livrer d’armes pour les opérations offensives à Gaza, mais maintient les contrats en cours et autorise certaines livraisons sous licences déjà accordées, avec une suspension partielle des nouvelles demandes.

Parallèlement, une coopération discrète mais active entre la DGSE et le Mossad s’est renforcée, notamment sur les questions de renseignement antiterroriste, cyberdéfense et surveillance géospatiale pour traquer les réseaux du Hamas à l’étranger.

La diplomatie française reconnait le droit d’Israël à se défendre.

En ce qui concerne les échanges commerciaux, la France importe d’Israël environ 1,5 milliard de dollars par an, principalement des équipements optiques, électroniques, médicaux, des produits chimiques, ainsi que des produits agricoles comme les fruits et légumes. Ces importations incluent aussi des composants technologiques et matériels industriels.

Du côté des exportations, la France envoie vers Israël des biens d’une valeur comparable, notamment des huiles essentielles, parfums, cosmétiques, matériel électrique et électronique, machines industrielles, véhicules, produits pharmaceutiques et produits chimiques divers.

Ces échanges témoignent d’une relation économique active et réciproque, sans signe de boycott ou de restriction drastique, renforçant les liens entre les deux pays dans plusieurs secteurs clés.

Il existe également en France de nombreux jumelages entre villes françaises et israéliennes, ainsi que des échanges culturels, universitaires et scientifiques réguliers. La culture israélienne est présente dans les festivals, les institutions artistiques et les centres culturels, notamment à travers le cinéma, la musique, la littérature ou la recherche technologique. Plusieurs radios et médias juifs français, souvent proches d’Israël, participent aussi à la diffusion d’une parole librement pro-israélienne, sans censure ni hostilité institutionnelle. Ces liens multiples, concrets et vivants, contredisent toute idée d’un rejet global d’Israël par la France : ils témoignent au contraire d’une interaction continue, d’un dialogue culturel et humain bien réel, enraciné dans la société civile autant que dans certaines institutions publiques.

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Une fiche du site officiel de la ville de Strasbourg cite explicitement le jumelage avec Ramat Gan en Israël signé en 1991. Le rapport du ministère français indiquait en 2008 que “66 collectivités territoriales françaises sont engagées dans des coopérations décentralisées avec leurs homologues israéliennes”, listant notamment “56 communes : Aix-en-Provence/Ashkelon, Antibes/Eilat, Bordeaux/Ashdod …” Un article de presse mentionne qu’il existe « près d’une cinquantaine de jumelages entre villes françaises et israéliennes, parmi lesquels Marseille- Haïfa, Antibes-Eilat, Bordeaux-Ashdod, Cannes-Tel Aviv, Strasbourg-Ramat Gan« .

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Il est erroné d’assimiler une politique critiquant ou s’opposant ponctuellement à certaines actions d’Israël, aussi stupide soit cette politique, ainsi que la diplomatie qui implique des contacts avec des acteurs palestiniens parfois hostiles à Israël, à un antisémitisme d’état.

Il est vrai que depuis la guerre des Six Jours en 1967, le ton officiel de la France envers Israël a changé, notamment avec la politique de Charles de Gaulle* qui a marqué durablement l’attitude de l’État français.

Depuis cette époque, la France qualifie certaines zones comme la Judée, la Samarie et le Golan d’ »occupation », alors que le mandat britannique de 1922, qui fait droit aujourd’hui, ne les considérait pas comme telles.

Ce positionnement a pu alimenter chez certains l’idée d’une hostilité constante envers le peuple juif et l’état d’Israël depuis la fin des années 1960. Pourtant, la réalité est bien plus complexe, mêlant des considérations historiques, juridiques et géopolitiques, sans réduire cette posture à une animosité systématique ou à un antisémitisme d’état.

Cette complexité tient au fait que la position française s’inscrit dans un contexte international mouvant, où les enjeux diplomatiques, stratégiques et normatifs interfèrent.

Par ailleurs, les critiques, même absurdes, adressées à certaines politiques israéliennes, ne visent pas l’existence même d’Israël ni son peuple, mais concernent des questions spécifiques comme la légalité des implantations ou le respect des droits des populations palestiniennes.

Cette distinction est fondamentale pour comprendre que la posture française relève davantage d’une volonté de médiation et de recherche de solutions durables que d’une hostilité généralisée ou idéologique.

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— Il faut aussi reconnaître qu’elle s’accompagne d’une volonté d’exister politiquement dans le conflit, de peser symboliquement sur la scène internationale, et de se poser en arbitre moral. La France cherche ainsi à maintenir une image d’équilibre et d’indépendance, à se présenter comme la voix de la raison entre les blocs, comme la puissance capable de dire le juste face aux excès supposés des uns et des autres. Cette position lui permet de renforcer son statut diplomatique tout en nourrissant une forme de vertu politique, souvent perçue comme l’expression d’un universalisme humaniste. Mais cette posture glisse parfois vers un réflexe de supériorité morale : celui de se tenir du côté du bien, de s’afficher plus juste, plus mesurée, plus lucide que les protagonistes eux-mêmes. Cette dimension symbolique et communicationnelle s’inscrit aussi dans une logique de politiquement correct : éviter toute position susceptible de choquer certaines sensibilités, ménager l’opinion publique et les équilibres internes, donner à la diplomatie française une image d’équité qui rassure, quitte à paraître distante ou ambiguë.

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Les nombreuses résolutions onusiennes auxquelles la France a souvent apporté son soutien, critiquant régulièrement certaines actions israéliennes, contribuent à l’impression d’un double jeu.

D’un côté, la France affirme son amitié et son partenariat avec Israël, notamment sur les plans économique, culturel et sécuritaire. De l’autre, elle reconnaît officiellement l’Organisation terroriste de libération de la Palestine (OLP) depuis les années 1980 et soutient des résolutions à l’ONU qui dénoncent la politique israélienne en Judée et Samarie, à Gaza ou au Golan, ainsi que la manière dont Israël mène sa guerre contre le fanatisme palestiniste.

Ce positionnement peut légitimement faire penser que la France tente de ménager ses alliances en jouant sur deux tableaux, cherchant à équilibrer son soutien à Israël tout en affirmant un engagement pour les droits palestiniens, ce qui nourrit parfois des suspicions d’hostilité ou d’incohérence dans sa politique étrangère.

Cependant, malgré ces ambiguïtés apparentes, il est incorrect de qualifier cette posture d’antisémitisme, car la réalité diplomatique est plus nuancée : la France maintient des liens étroits avec Israël, reconnaît son droit à exister et à se défendre, et si elle avait réellement adopté une position antisémite, ces relations auraient été rompues depuis longtemps.

Affirmer que Macron ou la France auraient un « fond d’antisémitisme » à travers leur politique est une simplification abusive.

L’antisémitisme existe encore dans la société française, comme ailleurs, et on a pu voir depuis octobre 2023 une forte hausse des acte antisémites en France, mais il est combattu par l’État. La France ne considère pas cette violence antisémites comme légitime, et n’en fait pas la promotion, l’apologie. cela serait le cas si l’état français était antisémite. Il mènerait donc une politique antisémite sur son territoire.

Les choix diplomatiques et les critiques politiques ne doivent pas être confondus avec de la haine ou une hostilité raciale. Cette distinction est essentielle pour une compréhension claire et nuancée.

Même si certaines décisions politiques peuvent apparaître maladroites, voire franchement incohérentes — comme vouloir reconnaître un état palestinien en pleine guerre contre Israël, alors que la situation sur le terrain est profondément instable, marquée par l’absence d’unité palestinienne et la présence de multiples groupes islamistes hostiles à Israël — il est injuste et simpliste d’en conclure que cela reflète un vieux fond chrétien d’hostilité envers les Juifs.

Ces choix relèvent davantage de calculs diplomatiques, d’une volonté de préserver un rôle médiateur ou d’anticiper une solution politique, que d’une animosité historique ou religieuse.

Réduire ces positions à un présupposé antisémite revient à ignorer la complexité des enjeux contemporains et la diversité des motivations qui guident la politique étrangère française.

De plus il n’est pas interdit en France de critiquer les politiques aberrantes concernant Israël.

Et l’état français, c’est un très grand ensemble d’individus, ne partageant pas tous les mêmes idées.

Il y a débat.

Qu’il y ait des antisémites ne veut pas dire que l’état EST antisémite.

Les choix politiques sont ce qu’ils sont, parfois consternants, parfois incohérents, et résultent d’un mélange complexe de facteurs : orientations idéologiques, stratégies nationales, alliances internationales, pressions internes et externes.

La politique est par nature chaotique, marquée par des contradictions et parfois des aberrations, mais cela ne doit pas conduire à prêter des intentions malveillantes là où il n’y en a pas.

Faire des procès d’intention sans preuves tangibles est dangereux et contre-productif.

En France, il n’existe ni lois antijuives, ni boycott officiel d’Israël, ni appels gouvernementaux à sa destruction. Il y a certes des maladresses, des lâchetés, du politiquement correct, du laxisme, un manque de lucidité parfois énorme dans certaines décisions, mais ces défauts peuvent très bien relevés de la faiblesse humaine, de la débilité, et des limites du système politique, non d’une haine structurelle ou systématique envers le peuple juif ou l’état d’Israël.

Il est clair qu’Israël est observé à la loupe, et que le moindre de ses gestes est scruté, commenté, condamné ou instrumentalisé.

Cette focalisation permanente crée un déséquilibre médiatique et moral. Alors que d’autres conflits provoquent des massacres massifs, comme les persécutions de chrétiens en Afrique ou les guerres civiles au Moyen-Orient, ils reçoivent une attention bien moindre.

Israël devient ainsi, dans le discours public, une sorte d’État à part, jugé selon des critères différents de ceux appliqués à d’autres nations. Cette disproportion alimente l’idée fausse qu’Israël serait l’état voyou du monde, alors qu’il s’agit d’un état souverain confronté à des menaces constantes et à des choix de sécurité difficiles.

Ce traitement différencié participe à la construction d’un imaginaire politique biaisé où Israël est perçu comme le centre moral du désordre mondial, au détriment d’une analyse honnête et comparative des réalités géopolitiques.

Il serait réducteur de voir dans cette logique une seule motivation antisémite.

L’hostilité envers Israël s’inscrit dans un ensemble de dynamiques plus vastes : idéologiques, géopolitiques, historiques et médiatiques. Elle résulte autant d’une culture de la suspicion envers les puissances occidentales, d’un tropisme tiers-mondiste, que d’un héritage colonial mal digéré. S’y ajoutent la simplification médiatique, la polarisation politique et la méconnaissance du conflit lui-même. L’antisémitisme y joue un rôle, mais il n’en épuise pas la logique ; il s’y mêle à d’autres facteurs qui, ensemble, produisent une perception biaisée et disproportionnée d’Israël dans l’opinion publique.

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idéologiques — Sous ce terme se rassemblent des courants très différents : l’antisionisme politique (qui conteste la légitimité ou les politiques de l’État israélien), les postures tiers- mondistes et anti-impérialistes (qui voient Israël comme un avatar de l’Occident), des courants d’extrême droite ou d’extrême gauche qui instrumentalisent le conflit pour des fins internes, et des héritages intellectuels (décolonialisme, postmodernisme) qui favorisent la dénonciation des puissances perçues comme dominantes. Ces motivations idéologiques se traduisent par des jugements rapides et normatifs, par une tendance à essentialiser les acteurs, et par une propension à confondre critique politique et condamnation ontologique.

géopolitiques — Ici entrent en jeu les intérêts stratégiques et les alignements d’État : rivalités régionales (Iran, Turquie, Arabie saoudite), calculs d’alliance (relations avec les États arabes, rôle au sein de l’UE et de l’OTAN), enjeux sécuritaires (lutte antiterroriste, routes maritimes, commerce d’armes) et considérations économiques (échanges technologiques, énergie, marchés). Les positions publiques d’un pays peuvent chercher à préserver des alliances concurrentes, à maintenir un rôle de médiateur, ou à limiter les retombées domestiques d’un conflit, d’où des postures parfois contradictoires entre communication et pratique diplomatique.

historiques — Les représentations actuelles s’enracinent dans des séries d’événements et de mémoires : le mandat britannique et les frontières issues de 1920-22, l’indépendance gagnée d’Israël en 1948 et les déplacements de populations, la guerre de 1967 et le tournant gaullien, la mémoire de la Shoah en Europe, ainsi que l’héritage colonial et post-colonial des puissances européennes. Ces strates historiques façonnent les récits — responsabilité, culpabilité, droit, réparation — et influencent la manière dont les opinions publiques et les élites politiques interprètent et réagissent aux événements contemporains.

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Il faut aussi distinguer ce qui est visible publiquement dans le débat politique et ce qui se joue en coulisses sur le plan diplomatique.

Les déclarations officielles, souvent destinées à l’opinion publique, peuvent refléter des postures stratégiques, des compromis ou des messages symboliques, tandis que les échanges privés entre états révèlent parfois des réalités bien différentes, plus pragmatiques et nuancées.

Un dirigeant peut ainsi tenir publiquement un discours ferme ou critique, tout en menant en privé des négociations ou coopérations étroites qui ne sont pas rendues publiques. Cette dualité entre communication officielle et diplomatie secrète est une constante des relations internationales, rendant nécessaire une analyse fine et prudente pour comprendre pleinement la politique d’un pays.

Note :

Par ailleurs, certains critiques ont vu dans cette prise de position une manifestation d’antisémitisme d’état, une accusation cependant largement débattue et nuancée par les historiens, qui soulignent que la politique de de Gaulle s’inscrivait dans une réorientation géopolitique visant à rééquilibrer les relations dans le Moyen-Orient, plus qu’à exprimer une haine ou un préjugé raciaux.

Raymond Aron, Chronique d’un siècle (1983), recueil d’articles et d’essais, où il revient sur la guerre des Six Jours et les réactions en Occident.

© Nicolas Carras


https://nicolascarras.wordpress.com/

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